Prédication
à l’occasion du culte « d’au revoir » du 29 mai 2016
Au
temple de l’Oratoire
Texte :
Luc 9, 11 à 17
Et nous, qui
sommes-nous ?
La foule ?
Les
disciples ?
Une continuité
de la parole et de l’action du Christ lui-même ?
Souvent, nous
réduisons spontanément notre lecture de ce texte aux seuls disciples :
l’Eglise serait leur continuité.
Mais si nous
étions aussi, et d’abord, comme cette foule, cette foule tout à la fois
désemparée et en même temps pourtant là, enracinée dans cette confiance qui,
malgré sa souffrance, nous murmure que là, dans nos cultes, nos offices et
notre Bible, peut résonner une parole vive, une parole de vie, une parole
vivante et vivifiante.
Car en vérité,
nous le savons bien, l’homme ne vit pas seulement de pain, mais d’une parole
qui relève et qui réanime en nous la confiance, l’espérance et l’amour.
J’aime à le
dire et le redire : on ne nait pas humain, on le devient, par la seule
force d’une parole reçue.
Et cette parole
vive se laisse, pour moi, entendre et entrevoir dans les mots du Vieux livre, et
dans les visages de tous ceux qui reflètent, par leur vie, cette
parole.
Je voudrais
pour ce matin retenir trois mots :
Donner,
Bénir,
Remercier.
***
Le premier,
c’est donner !
Il est surprenant
de voir comment, dans le dialogue qui s’engage entre les disciples et le
Maître, deux logiques s’affrontent :
Il faudrait acheter, disent les disciples, acheter
tellement pour nourrir cette foule que cela est impossible…
A cela Jésus
répond :
Donnez-leur vous-mêmes !
Acheter et
donner.
Acheter :
logique du monde.
Logique
économique, logique bien compréhensible de la survie. Il faudrait tellement
acheter pour pouvoir rassasier tous les besoins…
Mais le Maître
de l’Evangile nous propose de faire un
pas de côté, de nous décaler, car lui nous parle de « don ».
Donner !
Voilà la
grammaire de l’Evangile : celle du don.
Mais allons
plus loin. Avant de nous précipiter sur ce que nous pouvons donner,
comprenons-nous encore un instant comme la foule assoiffée et affamée, et
relevons un point fondamental : nous sommes, en vérité, ce que nous avons reçu.
L’essentiel, le
plus essentiel de ce que nous sommes, chacun d’entre nous, ne provient pas de
ce que nous avons gagné, acquis à la force de notre poignet, mais bien de ce
que nous avons reçu.
Ce que je suis,
je le dois à cette Parole, reçue dans mon enfance, puis découverte à l’âge de
mon adolescence déjà. Mais surtout, elle m’a été offerte à travers des visages,
qui ont été comme autant de reflets de cette parole de vie.
Car nous sommes
ce que les rencontres ont fait de nous !
Je suis ce que
les rencontres ont fait de moi !
Et parmi ces
visages qui ont fait de moi ce que je suis, bon an, mal an, parmi ces visages
qui ont compté, beaucoup sont ici ce matin, devant moi.
Davantage
même : tous, d’une façon ou d’une autre, vous avez contribué à faire de
moi ce que je suis.
L’ai-je acheté,
tout cela ?
Bien sûr que
non !
Cela est
cadeau.
Comment
pourrais-je l’oublier ?
Comment
pourrais-je vous oublier ?
C’est
impossible, puisque vous êtes, désormais, une partie de ce que je suis.
Et si nous
réapprenions, ma sœur, mon frère, mes bien-aimés comme le dirait mon collège
Jean-Christophe, si nous réapprenions
non pas tant à acheter, ni même encore à donner, mais à apprendre d’abord à recevoir, dans l’émerveillement de la
grâce ???
Recevoir cette
parole vive, cette parole vivante et vivifiante qui veut nous faire grandir en
humanité, à travers toutes les paroles que nous balbutions, tant du haut de nos
chaires qu’au travers des plus ordinaires rencontres, ordinaires et pourtant
toujours incroyables.
Afin de nous
ouvrir ainsi à la bénédiction et à l’action de grâce.
***
Ce récit, dit
de la multiplication des pains, et qui est celui de la multiplication du don et
d’une Parole qui fait vivre, ce récit, dis-je, est parfaitement synoptique, et
c’est un fait assez rare dans les évangiles. C’est-à-dire qu’on le trouve
raconté chez Matthieu, chez Marc, chez Luc et chez Jean.
Pourtant les 3
premiers nous disent que Jésus, prenant les 5 pains et les 2 poissons, prononce
« la bénédiction ».
Mais le 4ème
évangile, Jean, préfère employer un autre mot : « rendre
grâce ».
Mais continuons
d’abord en nous arrêtant sur la bénédiction.
Il me semble
que, par-delà nos récents débats synodaux, notre texte nous replace face au
cœur de la foi, face au message essentiel de l’Evangile : la bénédiction.
Face à la
souffrance, au désespoir, à la violence même parfois, une seule réponse : la
bénédiction.
Que
dis-je ? Multiplier la bénédiction, les gestes de bénédiction.
La bénédiction,
c’est risquer une parole bonne, une parole qui désigne un bien, un beau, un bon
possible.
Qui dit le OUI
inconditionnel de Dieu au monde et à l’homme.
C’est cela que
nous avons voulu dire aux baptisés ce matin, c’est cela que nous n’avons eu de
cesse, avec Denis, et avec vous tous, non seulement de vouloir dire, mais
d’être et de poser des gestes de bénédiction.
D’être des
êtres, je me risque, de et pour la bénédiction.
Qui montrent,
qui désignent, à temps et à contretemps, une autre manière d’être au
monde : non plus dans la méfiance et la défiance, mais en nous enracinant
dans la bénédiction.
Le seul NON que
nous voulons dire, opposer, c’est le NON à tout ce qui maudit l’autre, et
voudrait le réduire à son origine, à son orientation sexuelle, à ses errances
et ses souffrances.
Car oui, nous
croyons, comme le dit admirablement le Père Maurice Bellet, que « si Dieu
est, il est en l'homme ce point de lumière qui précède toute raison et toute
folie et que rien n'a puissance de détruire. Peut-être alors que croire en Dieu
consiste en ceci : croire qu'en tout être humain existe ce point de lumière[1] »…
« Alors la grande affaire, l’unique affaire est que le chemin ne se perde
pas dans la ténèbre, que se lève, au cœur même de la nuit, la lumière
irrépressible que rien ne détruira[2] ».
Et face à
toutes les violences, à toutes les souffrances, à toutes les errances, à toutes
les logiques qui voudraient nous faire croire que l’homme se réduit à ce qu’il
vaut économiquement et socialement, nous voulons, à temps et à contretemps,
proclamer : « pas à vendre ».
Et répondre par
une parole de bénédiction, par la multiplication de la bénédiction, par la
démultiplication d’une parole qui ouvre, pour chacun, un commencement nouveau,
un chemin possible.
Mais pourquoi
Jean préfère-t-il employer le mot de « eucharistie », de
remerciement, plutôt que celui de bénédiction ? Mot magnifique, nous
l’avons vu, qui dit notre commune vocation, l’appel premier qui fut adressé à
Abraham : « va, et sois bénédiction », et qui retentit toujours
pour chaque homme ?
Car oui, mes
bien-aimés, nous sommes appelés à être des artisans de bénédiction. Voilà
peut-être ce qui peut donner sens et souffle à nos existences si souvent à bout
de souffle.
***
Mais Jean, lui,
préfère « action de grâce », eucharistie !
Pourquoi ?
Pour au moins
deux raisons, et j’en termine par là.
-
La
première, c’est que le 4ème évangile déplace la signification de ce
récit de multiplication des pains : le pain multiplié est désormais, par
le choix de ce qui devient un mot technique et qui désigne la Cène, ce pain
devient explicitement chez Jean celui de la Cène, c’est-à-dire le pain de sa
présence dans sa parole, de sa parole qui se fait présence.
Nous
confirmant ainsi que ce qui peut nous nourrir vraiment, c’est bien sa présence
dans sa parole, c’est son amour dans sa présence.
Voilà
le carburant de la vie chrétienne, voilà ce qui est notre carburant le plus
intime, voilà ce qui est « ma came », comme le disent les plus
jeunes.
-
Mais
ce faisant, Jean nous rappelle aussi autre chose d’essentiel : que la vie
elle-même est « action de grâce ». Car si la vie est don, si elle est
une revendication pour la bénédiction, alors elle est aussi « action de
grâce ». Si nous parvenons à ouvrir nos vies en actions de grâce, alors
tout est transfiguré. Rendre grâce, c’est allumer une lumière dans les
ténèbres, fussent-elles les plus obscures.
Alors, mes
amis, merci pour tous ces dons ;
Merci pour tous
ces visages, merci pour tous vos visages.
Merci pour
toutes ces rencontres, merci pour tous ces projets.
Merci, aussi,
pour les larmes confiées, partagées, traversées.
Merci d’avoir
été pour moi la plus belle des aventures, celle de la foi partagée, celle de la
vie, celle de la grâce vécue ensemble, jour après jour.
L’appel, pour
moi, m’appelle ailleurs.
Et partir, oui,
c’est mourir un peu !
Mais je ne
perds pas tout, car je pars, nous partons,
mais plus riches désormais de tout ce que nous avons vécu ensemble.
Alors merci. Eucharistos.
Et merci à Celui qui fait de toutes nos rencontres, de
chacun de vos visages, une trace de sa Grâce.
Amen. Oui, cela
est vrai !
Pasteur Jean-François Breyne