vendredi 7 février 2014

Le "sermon du Boogie-woogie", temple du Mas des Abeilles, le 11 janvier 2014
Actes 3, 1 à 11.
Cette prédication a été donnée à l'occasion d'un culte "musical" ;
Avant de lire ce texte, il vous faut écouter le "sermon du Boogie-woogie", par Eddy Mitchell.
http://www.ina.fr/video/I07151961



Un sermon qui n’en est pas un !
Mais qu’est-ce qu’un "sermon" ?
Étymologiquement, c’est une discussion, un discours, une parole partagée sur.
Nous préférons, aujourd’hui, le terme de "prédication", car le mot sermon est devenu synonyme de discours moral, long et fatigant ;
"Prédication", du latin predicare, qui signifie proclamer, dire devant.
Les catholiques aujourd’hui parlent "d’homélie", du grec omileô (omilew) ,  qui signifie "conversation".
Les mots ont changé avec l’histoire, à une époque (la Renaissance)  on a même parlé de "prône" (du latin praeco, publication publique). 

Mais qu’importent les mots.
La question que nous pose la chanson est : un sermon, qu’est-ce que c’est ?

Avant d’aller plus loin, une parenthèse historique.
Avant l’an mille, on ne prêchait guère dans les églises, seuls les évêques avaient ce privilège.
Il faudra  attendre la Réforme dite Grégorienne  pour que l’on forme le clergé séculier et que l’on commence, un peu, à prêcher, avec le 12ème siècle et la naissance des ordres mendiants et prêcheurs,  franciscains et dominicains.
Alors, la prédication fait véritablement son apparition en Occident. Mais elle reste rare. Ce n’est qu’avec la Réforme protestante qu’elle devient systématique à chaque culte et que, surtout, elle prend la place centrale que l’on sait.


Mais revenons à notre question :
C’est quoi,  une prédication ?

Eh bien, c’est tout le contraire du sermon du boogie-woogie !
Car le sermon du  boogie-woogie est un sermon
Contre,
une parole qui dit ce qu’il faut faire, en l’occurrence ici ce qu’il ne faut pas faire.
Et force est de constater que Eddy Mitchell ne caricature pas tant que cela.
Longtemps, trop longtemps, la prédication fut comprise comme un discours  qui dénonce et surtout qui prescrit une attitude, un comportement, une praxis.
A l’image d’une Eglise qui souvent  s’est comprise et  complue dans ce rôle-là : prescrire une morale.

Et là, je m’interroge et même je m’insurge : comment  avons-nous fait pour autant trahir  le message originel de l’Evangile ?
Comment avons-nous fait pour transformer la Bonne Nouvelle en…  mauvaise nouvelle ?
Où l’amour, en effet, est devenu « péché mortel » ?

Cette petite phrase du texte dénonce bien, selon moi, le court-circuit qui a fait disjoncter les Eglises pour parvenir au 19ème siècle à cette image terrible de l’Evangile : une parole qui condamne et qui interdit.
« Nous sommes devenus des chrétiens perpétuellement en carême, des chrétiens sans Pâques »…
Et c’est le nouveau Pape François, lui-même, qui le dit en ces termes !

Il nous faut, je le crois, je le sens, je le veux, revenir à la racine même de l’Evangile,
Au ressort premier de la Bonne Nouvelle :
Dans toutes nos condamnations, une  Parole vient nous libérer et nous relever pour nous remettre en marche.

Alors si la prédication chrétienne authentique ne peut pas être une parole contre, quelle est-elle ?

Une parole pour,
Une parole qui dit le bien et le beau possibles, par-delà nos échecs, nos violences et nos deuils.
Une parole qui désigne un orient, un horizon, une personne :
Christ et
Sa Parole.
Au cœur de toute prédication chrétienne authentique,
Il ne peut pas ne pas  y avoir  Christ et Sa Parole !

Mais attention : L’Evangile se trouve aussi  dans l’Ancien Testament ; par exemple : Abraham et la parole qu’il reçoit : va et sois bénédiction (Gn. 12, 2)

De sorte que le sermon du Boogie-woogie n’est pas un sermon car il ne part pas des Ecritures et ne vise pas à faire  résonner une parole d’Evangile.
Et, hors de cela,  pas de prédication chrétienne authentique !
Il me faut donc, tout de suite, m’arrêter et revenir au texte biblique.
Je vous propose d'écouter la lecture du livre des Actes, au chapitre 3,  les versets  1 à 11.
C’est la première prédication chrétienne !
Une seule parole, deux verbes :
« Lève-toi et marche »
Là,  dans ces deux verbes, tout est dit.
Tout est résumé,
Tout est proclamé.

Toute prédication chrétienne authentique partira toujours de cela, car ces mots ne sont pas ceux de Pierre mais du Christ lui-même et renverront toujours à cette même Parole, promesse pour chacun, chacune d’entre nous.
Nous invitant à mettre nos pas dans ceux du Christ qui relève et qui met en marche.
2       verbes : Relever et marcher

Le premier, en grec, est le même que celui que nous traduisons parfois par résurrection ( egeirô, egeirw) :
-        "Ressuscite",   dit  Pierre car l’homme  ne naît  pas humain, il le devient,  à chaque pas, il naît.

Vivre,  c’est naître à chaque pas,
                C’est ressusciter à chaque pas…

-        Et marche !
A l’image de Jésus, "l’homme qui marche".

Car notre vie sera toujours une marche, en funambule, par-dessus le tragique et l’absurde,
par la seule force de cette Parole reçue et qui nous met en marche.

Et cela ne peut qu’immanquablement  nous conduire à la
louange ; pas à la condamnation.

« L’homme entra avec eux dans le temple, marchant, bondissant et louant Dieu », nous précise le texte.
L’homme ne condamne rien :   il loue.

De sorte que toute prédication est toujours et d’abord louange !

Bien sûr, elle est aussi, parfois  une parole qui fait rupture, une parole d’arrachement.
Car il faut toute la force de la Parole pour nous arracher à la tyrannie des apparences et des évidences, mais la finalité sera toujours la bénédiction.
( Cf.  le verset 26 du discours de Pierre qui suit notre récit). 

Ainsi, la prédication, c’est fondamentalement une interprétation de la parole de l’Evangile qui vise à réorienter nos vies vers l’essentiel :
La vie !
La vie plus forte que la mort !
Pour le dire d’une façon plus pieuse  et théologique, vers Christ, vainqueur de la mort.

Mais allons plus loin.
Qu’est ce qui a permis à Pierre sa première prédication de 2 mots :
Le regard
Notre texte dit de Pierre et de Jean :
"Fixant les yeux sur lui" !
Pierre et Jean ne sont pas passés sans voir.

Ils ont risqué le regard,
Ils ont risqué la rencontre.

Et cette rencontre a  provoqué leur première prédication.
Ainsi, la prédication chrétienne authentique sera toujours aussi une rencontre avec l’homme à qui elle parle.
Cette rencontre avec vous, avec toi et toi et toi,
avec chacun d’entre nous.

De sorte que nous pouvons dire que la prédication est le confluent d’une double interprétation :
celle de la parole de l'Evangile,
et celle de notre commune humanité.
Avec comme finalité, toujours, de changer notre regard,
pour découvrir qu’à la place d’une parole qui condamne,
une parole qui relève est possible,
et que l’autre, le différent, le gênant, peut aussi être relevé, si je risque un autre regard sur lui.

Revenons au sermon du Boogie-woogie..
Pour être authentique, il aurait dû dire :
            L’Evangile me l’a dit
L’amour, quoi qu’il arrive
Sera plus fort que la mort
Cette nouvelle, il me faut l’annoncer à ma paroisse.

Davantage de Boogie-woogie avec nos prières du soir
Davantage de Boogie-woogie, Davantage de Boogie-woogie
Faites toujours davantage de Boogie-woogie avec vos prières du soir
Maintenant l’amour est devenu notre seule lumière
Ne trahissez pas notre Père Eternel
Davantage de Boogie-woogie avec nos prières du soir…

Je pourrais continuer le pastiche, mais à quoi bon…..

Mes amis, dire que l’amour est notre seule lumière,
notre seul orient, c’est juste.
C’est tout l’Evangile.
Mais c’est encore ne rien dire du tout en même temps.

Car qu’est-ce qu’aimer ?
en vérité ?
Lorsque le tragique et l'absurde s’ouvrent sous nos pas,
que trahison et impuissance nous terrassent ?
Il nous faudra toute une vie pour tenter d’en vivre,
et une prédication par semaine ne sera pas de trop pour permettre de ne pas perdre l’équilibre et garder le cap.

Car vivre est un travail de funambule,
relevé pour marcher sur le fil ténu  de l’amour,
par-dessus l’abîme du tragique et de la mort,
Avec pour seul balancier
cette  Parole venue d’ailleurs…
Et cela au rythme du boogie-woogie …

Quelle aventure ?
Quelle extraordinaire aventure !
Qu’il nous en soit ainsi.

                                           Pasteur Jean-François Breyne