mercredi 22 janvier 2014

Prédication de Noël, Oratoire  2013.
Texte biblique : Jean 1, 1 à 18.


Je ne voudrais pas casser l'ambiance, mais il m'arrive de me demander :
-        que faisons-nous ici ?
-        que faisons-nous, Noël après Noël, à fêter l'anniversaire d'une naissance qui pourtant ne semble ne rien avoir changée !
-        et puis, cette nuit, pas même d'étoile dans la nuit : rien que pluie et tempête…

"je trouve que tout va de travers chez nous…
que plus personne ne sait ce qu'il fait ou ce qu'il doit faire…
tout le temps se passe en querelle…
tout n'est que guerre éternelle…[1]" !
C'est Voltaire qui , en 1758 déjà, écrivait ces mots qui semblent bien toujours d'actualité !

Oui, comment fêter Noël, au cœur du désastre,
alors que la souffrance, la séparation, la maladie, 
le deuil nous terrasse ?
Comment fêter Noël alors que la violence imbécile se déchaine encore et toujours partout, ou que l'on vient de porter en terre sa grand-mère  ?
Comment fêter Noël au milieu du doute, du désespoir, 
de la révolte ?

Comment fêter Noël alors même que la foi devient, pour beaucoup de nos contemporains, synonyme de fanatisme aveugle ou bien d'archaïsme pour demeurés mentaux ?

Mais au fait, qu'est-ce que Noël ?

Chez nous, les Breyne, nous avons un petit sapin, et lorsque l'on passe devant, il se met à chanter des cantiques.
Cette année, nous ne l'avions pas sorti, mais l'une de mes filles ( la plus grande) nous disait hier :
-        Pas de Noël sans le sapin qui parle !
          Car  Noël, c'est le sapin qui chante !

Et bien, elle n'était pas loin de l'essentiel : car Noël, n'est-ce pas cela d'abord : une parole qui nous rejoint ? 

En effet, s'il s'agissait non pas tant de fêter l'anniversaire d'une naissance, que de nous déplacer pour nous replacer devant l'essentiel ?  
Essentiel qui est Parole et lumière ?!

C'est vrai, la réalité de ce monde, c'est l'homme qui est bien un loup pour l'homme ;
C'est  la loi de la vie qui est la loi du plus fort, la loi de la jungle !
Mais si cela n'était pas le dernier mot sur notre humanité ?
Si de l'humain une autre version était possible ?
Vieille histoire, encore une fois :
Déjà, l'Evangile de Jean de dire :
-        la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas reçue…
et plus loin :
-        le monde ne l'a pas reçue !

Mais si Noël était encore autre chose :
Non pas l'anniversaire de quelque chose qui s'est passé hier, il y a 2000 ans, mais l'annonce de quelque chose qui vient, qui survient, aujourd'hui, dans nos vies, et qui peut tout bouleverser ?

Non pas hier, mais aujourd'hui, pour demain ?
"Au commencement était la parole…. "
Au commencement ?
Là se tient, confortablement tapie au creux du langage, le plus terrible piège de l'interprétation de ce texte  !

Car le mot grec traduit habituellement par commencement signifie aussi , et d'abord : le principe, le fondement, l'autorité, la direction.[2]

Et s'il nous fallait comprendre les choses autrement ?
Et si ce prologue de l'évangile de Jean ne nous disait pas le commencement, mais le projet de Dieu pour l'homme ?
Le fondement, la direction ?
De  même que les premiers récits de la Genèse ne racontent pas l'origine du monde mais indiquent  un projet et se font parabole de notre condition  humaine.

De même, le Prologue ne dit pas tant hier, qu'il déchire le présent pour en faire surgir un autrement possible.

L'avez-vous remarqué ?
Dans l'Evangile de Jean, pas de crèche, pas d'étable,
pas de berger et de mages…
pas même de Joseph qui rêve !
Rien de ce qui fait nos contes d'enfants, pas de belles histoires ni même d'étoile dans la nuit….

Mais un chant dans la nuit de nos vies…!
Ce texte étrange et comme étranger,
ces premiers versets de Jean ne ressemblent pas à ce que nous avons l'habitude de lire dans nos évangiles.
Pas de récit, pas de parabole,  pas d'enseignement  :
mais un chant, un hymne, un poème.

Ces premiers versets de Jean, en grec, prennent la forme d'un poème lyrique, parfaitement construit selon les règles de la poésie grecque de l'époque, parfaitement rythmé ….
Ainsi, Tout commence, chez Jean, par un poème, un hymne, un chant….

Un chant dans la nuit !
Pour nous dire quoi ?

Qu'il ne nous suffit pas d'être né pour être humain !
Encore faut-il qu'une Parole nous rejoigne et nous appelle à être.
Que vivre est un "devoir être",
contre l'obscurité et les ténèbres.
Contre la souffrance et la fatalité.
Contre toutes nos condamnations à vivre,
Contre nos enfermements, nos apparences et nos faux semblants !
Et cela, par la seule force d'une parole reçue,
comme un chant dans la nuit !

Au commencement, au point où les vagues de notre pensée  se brisent, au commencement, donc,  était la parole.

Ou plutôt non : au commencement était un cri d'enfant.
Un cri d'enfant nouveau né.

Ou plutôt, non : aujourd'hui, retentit le cri de l'enfant nouveau né,
Puisque c'est en ce moment qu'il nous commence.
Et le cri déchire l'obscurité.

Et ce cri nous fait tous, chacun d'entre nous, fils, fille d'une parole.

Ceux là ne sont pas nés d'eux-mêmes…
Ceux là naissent d'un appel !
L'appel de la vie ;
L'appel de Dieu à la vie.

Ce cri ne vient pas de nous, mais de l'Ailleurs.
Ce cri nous fonde et nous appelle à être.
Mes amis, vous le savez, on ne naît pas humain, on le devient, par la seule force d'une parole reçue, qui nous invite à être,
autrement que par la loi du plus fort qui est la loi de la jungle.
Car si la loi de la jungle est bien la loi de la vie,
entrer en humanité, c'est autre chose.
C'est découvrir la grâce de la fragilité d'une  naissance.
Que la naissance se fait toujours dans la fragilité.
Que vivre, c'est naître à chaque pas.
Dans le terreau de notre fragilité enfin acceptée.

« Donnez-moi un point d’appui hors du mode et je vous soulèverai le monde » aurait dit Archimède.
Ce point d’appui, à la fois hors du monde et qui vient à nous, c’est cette parole, ce cri dans la nuit !

Au commencement était la parole, et que dit cette parole ?
Un seul mot, pour tout résumer !
Et la parole dit : "lumière " !

C'est en ce moment que Dieu nous commence.
Pour faire triompher la  lumière.

7 fois, le mot lumière va rythmer notre texte.
Pour faire de nous des témoins de lumière.
Rien ne sert en effet de maudire l'obscurité : il vaut mieux allumer une lumière !

Survient pour nous une parole qui dit :
- lumière.

Et la lumière elle - même devient parole, elle qui vient de la parole.
A moins que cela ne soit l'inverse, mais qu'importe…. La lumière est parole, la parole est lumière.

7 fois la lumière, à l'image de cette Menora que j'allume de 7 bougies.
Clin d'œil avec nos frères aînés dans la foi.

7 fois le mot lumière, comme pour faire écho est 7 TOV qui rythmèrent les 7 jours de la création !
Tov, en hébreu ce qui est bien, beau, bon. Tov, encore le projet de Dieu pour nous.
Au 7 TOV répondent les 7 fois lumière de notre prologue.
Lumière, qui nous convie désormais à vivre l'ordinaire en pèlerin de lumière[3].
Car telle est désormais notre tache : vivre l'ordinaire en pèlerin de lumière.

Mes amis, qu'y-a-t-il à faire ?
Mais rien, rien qu'à nous laisser faire, à nous laisser inonder de lumière, pour devenir, à notre tour, pèlerin de lumière.
Ho, pas de la lumière des super marchés, pas des lumières de nos villes ni de nos panneaux publicitaires, mais d'une autre lumière,
une lumière intérieur, pour nous éclairer du dedans !

Mes amis, qu'y-a-t-il à faire ?
Rien que d'ouvrir les portes de notre maison, et de laisser la Parole planter sa tente parmi nous, pour que nous soyons désormais habité de lumière…
J'ai dit en commençant que, cette nuit, il n'y avait pas même une étoile dans la nuit : et bien je me suis trompé : derrière les nuages, il y a toujours  les étoiles qui brillent…
C'est nous qui ne pouvons plus les voir !
Et aux costières hier soir, il y en avait, des étoiles dans les cœurs de tous ces bénévoles, venus de toutes nos églises de Nîmes.
Oui, ma sœur, mon frère, la lumière brille, en toi désormais.
Alors, Joyeux-Noël.
Amen.

Pasteur Jean-François Breyne.



[1] Voltaire, In Candide, Classiques de Poche,  p. 130, 131.
[2] Le mot  arch, qui signifie  le principe, le fondement, l'autorité, la direction, le chef, qui donne en français archétype par exemple.  
[3] D'après une très belle expression de Francine Carrillo. 
Matthieu 11, 1-11, Troisième dimanche de l’Avent,
14 décembre 2013, MdA et Fraternité



Jean est l’archétype du croyant, je l'ai déjà dit : car il est homme de l’histoire, homme de justice, homme de racine, et pourtant, dans le même temps, homme toujours  tourné vers l’avenir, pour voir le présent autrement.
Il est homme de charnière, homme de frontière, tout tendu entre la première alliance qu’il représente, et l’annonce de ce messie, de ce salut pour le monde qu'il pressent et attend. Attente active, remarquons-le… attente attentive, attente pleine de bruit et de fureur…

Pourtant,  comme nous, Jean se trompe dans son attente, dans son annonce : car il espère en un messie justicier, guerrier, avec la pelle à vanner et les méchants qui brûlent au feu...
et c’est l’Evangile qui vient.
Si Jean est celui qui nous invite à changer de regard, il est lui-même, d’abord, celui qui doit changer son regard.
Ainsi est Jean, le dernier prophète, lorsque nous le rencontrons pour la première fois dans l’évangile, au bord du Jourdain…
Ainsi est Jean, lorsque nous le croisons, pour la seconde fois.
Mais la situation a changé. Jean n’est plus celui que l’on vient, par foule entière, entendre  et voir baptiser au bord du Jourdain.
Jean, cette fois, est en prison.
Il semble alors que Jean ait échoué.

Il se retrouve victime de sa propre parole, emprisonné par elle, à cause de sa rigueur, de son intransigeance.
Il y aurait de quoi se lamenter, se résigner, ou alors se révolter.
Même contre ce Jésus qui semble échapper à sa prédiction, à sa confiance, à sa raison.

Mais Jean ne se résigne pas.
Et en cela Jean reste l’archétype de la foi.

Car que fait-il, du fond même de sa prison ?
Il interroge sa foi, il interroge ses disciples, il fait interroger ce Jésus que décidément, lui, Jean, ne comprend pas.
Et sa question se résume en une phrase :
-        Es-tu celui qui doit venir ? Es-tu celui que nous attendions ?

Et cette question résume toute vie de foi.
Voilà le ressort même de la foi : es-tu celui que nous attendions ?
Jean ne se résigne pas.
Même du fond de sa prison, même du fond de son échec, il continue à réaliser l’essentiel : s’interroger sur la vie, s’interroger sur la foi, s’interroger et chercher à entendre.
C'est le Mah de l'hébreu, le quoi, qui est la question majuscule, celle qui ouvre à la vie !
Peut-être même lui faut-il faire l’expérience de la prison pour se la poser enfin ? !
Dans le succès de sa prédication sur les bords du Jourdain, il ne pouvait pas s’interroger.
Mais là, au fond de l’échec, surgit la question possible. Et le désespoir devient occasion de chance.

Et c’est en ce sens, me semble-t-il, que Jésus dit de lui : 
-        Il est le plus grand parmi les hommes.
Car oui, voilà un homme qui n’a pas renoncé à sa quête.

Il ne s’est pas enfermé dans ses idées toutes faites. Lui, l’homme de la tradition, lui, l’homme du passé, voilà qu’il se révèle homme du présent, homme prêt à l’imprévu de Dieu.

Jean est l’homme vivant par excellence, alors même qu’il semble confronté à son échec, et qu’il croupit en prison.
C’est du fond de sa prison, de son échec, que le prophète devient disciple.

Certain trouveront que j’insiste peut-être  trop sur Jean, et que je ne parle pas assez de Jésus.
Car quoi, monsieur le pasteur, la question de Jean porte bien sur qui est Jésus, et non pas qui est Jean ?
Et pourtant.
L’avez-vous remarqué ?
Jésus, cette fois encore, ne répond pas, ou plutôt il répond à coté.
Jésus déplace la question, pour la retourner vers ses auditeurs.
De lui-même, Jésus ne dit presque rien : Il cite seulement les résultats de sa parole.
Mais tout de suite il renvoie sur Jean : il est le plus grand parmi  les hommes, et puis dans le même temps, sur chacun d’entre nous :
-        Mais n’importe qui d’entre vous est plus grand que Jean.

A la question : mais qui est Jésus ?
Lui-même nous répond :
-        Mais qui es-tu, toi homme ?

Jésus répond en tournant son regard sur Jean, puis vers la foule.
Un regard qui relève, un regard qui libère.

Alors que, comme Jean, le monde nous est si souvent semblable à une prison ; alors que, comme Jean, le désarroi semble si souvent nous envahir ;
Alors que, comme Jean, il semble que nous ayons le plus souvent échoué,
le Maître nous répond en réorientant notre regard.
Par delà la tyrannie des apparences et des évidences :

Je cite quelques lignes de Philippe Zeissig (une minute par jour, p. 18).
"Un des plus antiques documents dont l'histoire ait connaissance – une tablette provenant de la  couche la plus ancienne des ruines de Babylone – débute par ces mots : « Hélas ! Hélas ! Les temps ne sont plus ce qu’ils ont été…. »
C’est bizarre mais c’est ainsi : génération après génération, à travers les siècles, l’homme se montre persuadé que le présent ne vaut pas cher et que l’avenir sera une catastrophe. Souvent même, il lui arrive de dire : « heureusement que je vais mourir avant d’avoir vu ce qui va arriver.»
Voici notre mot d’ordre : « sauve qui peut ! »
Notre monde est le monde de la fuite.
Dieu, Lui, dit : « Je viens ! »
« Là où vous ne voulez pas rester, j’installe mon Fils. Et je mise sur cet avenir auquel vous ne croyez pas »
Noël nous sauve de la fuite, il nous ramène au cœur de l’ouvrage, il nous réinstalle dans ce que nous ne pensions plus aimer.
Terre de décembre, comme tu seras neuve quand Dieu, à Bethléem, nous aura réappris à croire à demain…et même à après-demain.

Et même à "par-s-demain".

En nous apprenant un autre langage, que celui de hurler avec les loups ou de bêler comme des moutons de panurge : le langage de la quête, de l’interrogation, de la remise en question, de l’écoute authentique.
Et chemin faisant, le Maître nous donne aussi les seuls critères d’évaluations de sa parole :
Retrouver la vue.
Reprendre la marche.
Avoir des oreilles pour entendre.
Relever ceux qui étaient morts.
Annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Aux petits. Aux oubliés.

Voilà les verbes qui résument  l’Evangile :
Ouvrir, là où tout semble fermé,
Ecouter, malgré le brouhaha et les hurlements du monde, écouter pourtant la vie          qui vient ;
Se remettre en marche. Par delà tous les échecs et toutes les chutes,
S’éveiller à la vie.
Et Annoncer.

Sortir de nos lamentations et changer notre regard,
Changer notre écoute, retrouver le goût de la marche,
S’éveiller à la vie qui vient, qui survient, dans l’émerveillement d’un regard d’enfant devant la neige, dans une main tendue, dans une oreille qui devient attentive.

De cela, le plus petit d’entre nous est capable.
En cela, le plus petit d’entre nous est l’égal du baptiseur.
En cela, le plus petit d’entre nous est même plus grand que lui.

Mon frère, ma sœur, posons-nous la question : pourquoi nous préparons-nous à fêter Noël ?
Mais nous posons-nous encore des questions ?
De vraies questions, de ces questions qui font vivre, et non des questions qui ne sont que des lamentations ?

Et j'en termine avec ces lignes de Maurice Bellet :
(In L'épreuve, p. 62. et 63.)
"Dieu est avant tout question "
Dieu, c'est quand je vais le plus loin possible sans désespérer ; et quand je laisse être ce qui est au-delà du plus lointain, comme la source bénéfique qui ne cesse pas en l'origine…
Dieu, c'est quand la divine douceur vient en moi, sans que je la refuse et la méconnaisse ;
Dieu est n'importe où, n'importe quand, à propos de n'importe quoi, mais quand se fait en l'homme cette ouverture, parce qu'il cesse de tuer, dans son envie féroce de tout prendre.
Dieu, c'est le plus humain de l'homme. C'est pourquoi l'image de Dieu est l'homme enfin totalement démuni de ses défenses contre l'homme, non par faiblesse; mais parce qu'il est don même ;  et que même dans l'écrasement, il ne dévie pas d'une ligne de cette justice.
Et le plus humain de l'homme  n'est pas réduit à l'homme, c'est justement le contraire : c'est ce qui en l'homme témoigne,  témoigne qu'il n'est pas contraint de se faire prison à lui-même…

Tourne-toi vers la vie, camarade, puisqu'on t'en donne encore un bout !
Et fais ce que tu peux".

Du reste, Dieu s'occupe.
Amen.



                                   Pasteur Jean-François Breyne
Jean 15, 1 à 17. Dimanche de la Réformation,
le 27 octobre 2013, Oratoire.

Mes amis, une angoisse me saisit ; fêter la Réformation !
Mais comment fêter ce qui fut et ce qui est encore, pour beaucoup de chrétiens, une déchirure ? Une rupture ? Un échec ? Une blessure….
Oui, faut-il fêter encore la Réformation, en ces temps d'œcuménisme ?
Eh bien, mes amis, je le crois bien.

Ne serait-ce que pour nous aider  à faire le deuil, une fois pour toutes, de l'Eglise idéale, de ce phantasme d'une l'Eglise unique qui aurait été déchirée par la Réforme, phantasme, dis-je, car cette Eglise unique jamais n'a existé.
Il n'est que de relire le livre des Actes et les Epitres pour se rendre compte que dès le premier siècle, c'est déjà pluriel, et même parfois, déjà, conflictuel, entre Pierre, Jacques et Jean, par exemple ; et puis plus tard, l'Eglise est toujours plurielle, et s'organise autour des  patriarcats indépendants de Jérusalem, Antioche, Alexandrie, Constantinople, et de Rome.
Et  puis ce sera la rupture entre chrétiens d'orient et d'occident, en 1054  (rupture plus linguistique et culturelle que véritablement théologique, d'ailleurs : on ne se comprend plus, tout simplement) et  puis enfin  la Réforme,
Mes amis, L'Eglise fut toujours diverse, multiple,
et c'est tant mieux !
Prisme aux mille visages, échos qui résonnent de vallées en vallées, en autant de passage de témoins qui tous, tentent d'être fidèle à un unique maitre et seigneur !
Loin de nous désoler, cela devrait nous appeler à l'humilité (nous ne sommes qu'un reflet, un écho),  et nous réjouir de tant de richesses, d'expressions diverses, si et seulement si nous reconnaissons enfin l'autre, le différent, comme un frère et non un ennemi à abattre.
Alors oui, nous pouvons fêter la Réformation.
Car par-delà les anathèmes du passé, la Réforme, pour moi, reste d'actualité.
Dans son essence même. Car la Réforme, d'abord, c'est un geste.
Lequel ?
Celui d'une mise en débat.
Lorsque Luther affiche les 95 thèses sur l'Eglise de Wittenberg, là où il enseigne l'Ecriture sainte, il ne veut faire scission avec personne, et surtout pas avec Rome.
Il veut mettre en débat, provoquer au débat, afin que résonne davantage l'Evangile dans le cœur et dans la vie de ses contemporains.
Et cela parce qu'il a été saisi par l'Evangile, c'est-à-dire par une bonne nouvelle.
Il est, dira-t-il par la suite, lié par la Parole.
Je le cite :

–" je suis lié par les textes bibliques que j’ai cités. Tant que ma conscience est captive de la parole de Dieu je ne puis ni ne veux rien rétracter, car il n’est ni sûr ni salutaire d’agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide".

Et là, en l'espace de  quelques mots simples,  nous touchons à l'essentiel.
Le retour au texte. La parole au centre, comme seule norme de la vie et de la foi.
Et pour être fidèle au fondement même la Réforme, au sola scriptura ,  il me faut, moi aussi ce matin, revenir au texte biblique que nous venons d'entendre, très judicieusement choisi par la famille CUILLERY et par Sybille.

Je retiens l’Evangile de Jean !
Un verbe revient 10 fois, qui rythme le récit, le structure : "demeurer".
Comme les sarments sont reliés au cep, comme le Christ est relié au Père, ainsi, nous pouvons, nous aussi, être reliés à Dieu. Et demeurer dans cet amour.
Et c'est dans cette reliance que tout se joue !
C'est là le cœur de la Bonne Nouvelle : relié, je peux l'être.
Oui, relié, je peux l'être, et cela malgré les échecs, mes errances, mes colères et mes rancœurs…
Car  il y a une promesse ; celle d'une reliance possible.
Davantage même, une réalité, déjà là, ici et maintenant : dans cette image du cep et des sarments qui dit une vie donnée, offerte, et une présence.
Reliance  dit deux choses :
-        La première, c'est l'altérité ! tout seul, je ne suis rien. Tout seul, je ne peux rien. Il me faut de l'autre, de la rencontre, pour porter fruit. Pour être, tout simplement. L'homme est un être vers, un être tourné vers l'autre, dans la rencontre.
-        Et pour nous chrétiens, Dieu est ce Tout Autre qui se fait tout proche, pour que notre vie soit, tout simplement, possible.

Coram Deo, dira sans cesse Luther. Devant Dieu.
v Coram Deo, premier "gros mot" de la Réforme :
Toujours tendre à ramener sa vie là, devant Dieu, devant cette toute présence pour que nous soyons enfin, nous aussi,  un peu, présents à nous-même et aux autres.
Coram Deo, devant Dieu.
Non pas « pour Dieu » , car combien de massacres parfois au nom de ce "pour Dieu". Et puis Dieu est un Pour l’homme, alors, la seule chose qui nous soit demandée, c'est nous aussi d'être des hommes pour les hommes.
Mais nous pouvons vivre cela devant Dieu, ramenant sans cesse nos vies devant Lui, pour en recevoir le courage d'être.
Non pas tant non plus "avec" Dieu,  car allons, je dois vous l'avouer, parfois, je ne suis pas avec, enfermé,  prisonnier  que je suis  de mes souffrances, de mes solitudes,  de mes errances, de mes blessures.
Mais même ces souffrances,  mes solitudes,   mes errances, mes blessures, je peux les ramener devant Dieu, pour qu'il les ouvre comme un fruit mûr au soleil de son amour.

Mais comment demeurer devant lui ?
Et comment le laisser demeurer en nous ?
Le 4ème Evangile nous le dit : par sa parole !
"Par la parole que je vous ai dite", (v. 3),
"Si vous demeurez en moi et mes paroles en vous" (v. 7),
"Si vous observez mon enseignement, vous demeurerez dans mon amour," (v. 10).
Fondement de la Réforme,  socle de nos vies, tout est là : dans, par et sous sa parole, Dieu vient redonner souffle à nos vies à bout de souffle.
Et cela suffit !

v Sola sciptura, l'écriture seule suffit ! Second gros mot de la Réforme. 
Mais attention, deux pièges ici nous guettent :
-        Le premier serait de comprendre que si je ne demeure pas dans sa parole, Dieu alors me rejette.
Ce qui serait contraire à l'Evangile même.
"Je suis venu pour que les hommes  aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance"(10, 10). 
Non, bien sûr que non ! Mais la seule façon que Dieu a de nous donner la vie, de nous la redonner, jour après jour, deuil après deuil, échec après échec, souffrance après souffrance, c'est par, dans et sous sa parole.
Si nous nous en détournons, nous risquons de nous détourner aussi de la source, de la sève, de ce qui vient nous redonner le courage d'être, en vérité.  Quoique, parfois, Dieu s'y prenne aussi autrement…
-        Le second piège, c'est celui de la parole magique :
Non, non, et non.
Cette parole, qui résonne dans les Ecritures, il nous faut l'interpréter. 
C'est dans et par le travail de l'interprétation que se joue la parole. Il n'y a pas          d'immédiateté, il n'y a que du travail. Celui de lire et d'interpréter.

          Davantage même : si nous voulons travailler le texte, sans relâche, c'est  pour mieux nous laisser travailler par Dieu lui-même, afin que nos vies retrouvent goût, sel ; afin que dans nos vies, il fasse moins sombre, e qu'un peu de lumière soit.

Mais un autre mot rythme notre passage du 4ème Evangile : C'est le mot fruit ! 7 fois.
Porter du fruit.
Et cela pour toi.
Pour moi. Pour chacun d'entre nous.
C'est cela que nous avons voulu dire à Quitterie : pour toi aussi, même si tu ne le sais pas encore ; Pour toi aussi, une parole veille,  pour qu'elle t'éveille à la vie, à la confiance et à l'espérance.


v Cela sera aussi un des autres mots clefs de la Réforme :  "Pro me".
Pour moi. C'est notre  troisième gros mot pour ce matin.
Car l'Evangile n'est pas  une croyance, il est un coup de tonnerre, ou un souffle fragile, qui vient déchirer le ciel de nos résignations.

La foi est un saisissement, un éblouissement, une expérience intime, et cela bien souvent malgré nous.
Je cite encore oncle Martin :
" Si Christ est dans l'Etre, le chrétien est dans le devenir.
Et sa vie ne consiste pas dans le triomphe, mais dans le combat ;
Elle n'a rien d'infaillible, elle est le fruit d'un acquittement".

Voilà le fruit dont il est question : l’acquittement.
C'est le oui inconditionnel que Dieu dit au monde,
C'est le oui inconditionnel que Dieu dit à l'homme.
C'est le oui inconditionnel que Dieu dit à Quitterie, à Sybille, à toi, à moi, à chacun d'entre nous.
Là est peut-être le cœur du cœur de la Réforme, car là est peut-être le cœur du cœur de l'Evangile.

Et nous, saurons-nous vivre de ce oui inconditionnel reçu ?
Et saurons-nous le partager à notre tour ?
Saurons-nous changer notre regard pour poser sur le monde, sur les autres, cette acceptation première ?
Serons-nous de ceux qui jugent, condamnent et rejettent, ou serons-nous de ceux qui veulent témoigner d'un regard qui accueille, relève et libère ?

Teilhard de Chardin, un jésuite : «  Ce qui est merveilleux dans l’aventure de la foi, c’est que la GRACE peut descendre sur nous au moment le plus inattendu – car elle est un don, et non un mérite – et quand elle vient, elle nous affranchit corps et âme, comme la rosée revivifie la fleur au matin »[1].

Quelques années plus tard, Paul Tillich :
"Dans le noir de nos déceptions et désespoirs pénètre parfois une vague de lumière et c'est comme si une voix nous disait : Tu es accepté, accepté par plus grand que toi et dont tu ne connais pas le nom, [dit le théologien nord-américain Paul Tillich].
Ne demande pas maintenant son nom, peut-être le trouveras-tu plus tard. N'essaie pas de "faire" quelque chose maintenant, peut-être plus tard tu feras beaucoup. Ne cherche rien, n'entreprends rien, ne projette rien. Accepte simplement le fait que tu sois accepté. Lorsque ceci nous arrive nous faisons l'expérience de la grâce. Après cette expérience nous ne serons pas nécessairement meilleurs qu'auparavant et nous ne serons pas plus croyants ? Mais tout est transformé. [….]
Cette expérience n'exige rien de nous, aucune condition religieuse ou morale ou intellectuelle, rien que de l'accepter"[2].

Ma sœur, mon frère, l'Evangile nous révèle un Dieu pour l'homme. Un Dieu avec l'homme. Pour que la vie triomphe contre toutes les désespérances,
Pour nous donner ce courage d'être dont nous avons tant besoin, ces murs porteurs, comme le dit le chanteur, pour que nous tenions et vivions, tout simplement.

Luther, toujours :
" Ne cherche pas Dieu au ciel.
Tu ne l'y trouveras pas. Le ciel est devenu vide de Lui.
Cherche-le sur la terre où il se tient caché et crucifié
A ta porte. A côté de toi."

Et pour faire bon poids, parce que si c'est le cœur du cœur, alors il peut être reconnu par tous : le père Maurice Zundel, prédication au Caire, en avril 1961 :
« Il ne s’agit plus de se méprendre, nous ne sommes pas là en face d’un conseil qui peut être suivi ou non, nous sommes là au cœur de l’engagement évangélique car justement le sanctuaire de la divinité, c’est l’homme. Ce sanctuaire n’est plus une montagne, ou un haut lieu, ni un temple de pierre ou un tabernacle de métal précieux, le sanctuaire de la divinité, c’est l’homme ».

Pasteur Jean-François BREYNE



[1] In Le matin vient, édition Oberlin,  p. 95
[2] cité par Théo Junker, "Voici, je fais toutes choses nouvelles", Strasbourg, Oberlin, p. 19 et 20.