mercredi 17 février 2016

Prédication donnée au monastère « La Paix Dieu »
le 07 février 2016
Luc 5, versets 1 à 11


« Je te ferai pêcheur d’hommes ».
Nous nous précipitons spontanément sur la fin du texte et sur ces fortes paroles de Jésus à Simon-Pierre, comme si elles étaient le couronnement, l’aboutissement du récit.
D’ailleurs, ne disons-nous pas spontanément : la conclusion du texte ?
Comme si tout était là, résumé en quelques lignes, à la fin de l’histoire !
Et c’est vrai qu’il en va ainsi en français, en littérature française.
Oui, mais voilà, en faisant cela, nous risquons de passer à côté de l’essentiel, car nous faisons alors un immense anachronisme. En effet, les règles de l’écriture dans le grec des évangiles, il y a près de 2000 ans, ne sont pas celles de nos compositions et  dissertations françaises.
A l’époque, on construisait plutôt le récit comme une pièce de théâtre où l’essentiel ne se dit pas dans le tombé du rideau mais au milieu de la pièce, au centre de l’histoire, ce que l’on nomme aujourd’hui : le cœur de récit.
Et quel est-il, ce cœur du récit pour notre péricope de ce matin ?
Qu’est-ce qui va rendre possible cette parole finale adressée à Pierre ?

Reprenons l’histoire.
D’abord, il y a l’échec.
La pêche d’où l’on revient bredouille.
Et nous connaissons bien cela :
Lorsque l’effort semble vain, lorsque la maison s’est vidée, lorsque l’on a fait tout ce qu’il nous semblait devoir être fait et même peut-être davantage encore et que pourtant le résultat est...nul !
Vide,  notre filet !
Et combien cela résonne plus fort encore pour nous, hommes, femmes au service de l’Eglise quand malgré tous nos efforts pour dire l’Evangile et tenter d’en vivre, le filet revient …vide !
Vide, comme nos communautés qui se vident ; 
Comme nos enfants qui se détournent de l’Evangile.
Monte alors en nous la tentation de désespérer et d’abandonner.

Et là, très exactement là, survient l’impossible, l’impensable, l’incroyable : dans la réponse même de Pierre à ce Jésus qui lui commande de jeter à nouveau le filet :
-        « Sur ta parole, je jetterai  encore le filet » (v. 5). 
C’est  là, me semble-t-il, le cœur du récit, le ressort du texte.
C’est là tout ce qui nous est demandé et promis en même temps ; oser dire :
-        « Sur ta parole, je jetterai encore le filet ». 
Cette parole qui permet d’aller au-delà de la peine, de l’échec et de la résignation.
Cette parole qui, comme le dit le théologien Paul Tillich, donne à Pierre et à chacun d’entre nous le « courage d’être ».
Ce courage de recommencer une fois encore, et cette fois-là devient la bonne parce qu’elle s’est appuyée sur une autre parole que la mienne, que la tienne mais qu’elle s’est reposée sur cette Parole  de vie,
sur cette Parole vivante  et vivifiante 
qu’est la parole de l’Evangile,
la Parole du Christ pour toi, pour moi, pour chacun d’entre nous aujourd’hui.

Car cette Parole n’est pas donnée seulement à Pierre, mais à toi, à toi et à moi, comme à chacun d’entre nous.
Pierre, ici, est le prototype du croyant, le premier de cordée, l’archétype de l’homme de foi.
Et l’acte même de foi repose là, dans la réponse de Pierre : « et sur ta parole, je laisserai encore descendre le filet »

Remarquons chemin faisant que lorsque Pierre dit cela, les filets ne sont pas encore revenus pleins.
Non, les filets sont encore vides.
Pas de miracle encore. Et l’acte de foi réside très exactement là, quand à vue humaine, tout semblant perdu, prendre pourtant le risque d’y retourner par la seule force d’une Parole reçue.
Juste la Parole.
Seulement par la seule force de cette Parole.
N’y voyez pas, mes Sœurs, je ne sais quelle obsession de prédicateur protestant !
Non !
Non, car c’est une expérience que tous nous avons déjà expérimentée, celle même qui fait que nous sommes là ce matin et que nous sommes ce que nous sommes.
Parce que nous avons parié notre vie elle-même sur une Parole reçue.
Et sur cette même Parole nous voulons encore tout risquer.
Cette Parole qui nous prend,  nous saisit et nous entraîne ailleurs, plus loin, plus profond.

Car allons plus loin ; qu’est-ce qui a rendu possible cette réponse de Simon-Pierre ?
L’appel de Christ.
L’enseignement du Christ qui a résonné pour Pierre comme il résonne pour  toi, pour moi, pour nous.

Mais quel est-il cet appel adressé à Pierre et par-delà à chacun d’entre  nous ?
Notre traduction de ce matin donne : « Avance au large ».
 Le texte grec donne littéralement : « Avance vers la profondeur », et cette image est redoublée par le verbe qui suit : « Et laisse descendre le filet ».

Avance en profondeur.
Avance dans la profondeur de ton être.
Ne reste pas à la  périphérie.
Nous, nous aimons bien la périphérie.
Nous aimons bien les périphériques, ils nous permettent de faire vite le tour des villes sans y pénétrer.
Mais le Seigneur, lui,  nous invite à aller au centre et à descendre au plus profond. 
Sans tricher.
Au plus profond de nos peurs,
au plus profond de nos échecs,
au plus profond de nos lâchetés aussi,
mais toujours au plus profond de nos souffrances et de  nos errances.

Car il ne s’agit pas de fuir ni de tricher.
Mais au contraire de prendre le risque d’aller en bas, au plus profond, dans « l’en bas » même de notre existence comme le dit Maurice Bellet, car c’est bien là que se tient le Christ ressuscité, c’est là et nulle part ailleurs qu’il se tient pour nous transformer et tout illuminer.
-        « Avance en eau profonde » : Va, prends le risque même de te perdre, de sombrer peut-être car c’est là qu’est la vérité de ta vie, mais c’est là que se tient pourtant le Christ de l’Evangile.
Comment ferons-nous cela ?
Comment prendrons-nous ce risque-là ? 
Nous connaissons désormais la réponse :   « Sur ta parole,  je jetterai le filet » !

Par la seule force d’une Parole reçue d’un Autre.
Avec la seule force de cette Parole.
Vous l’aurez compris, mes Sœurs, mon frère Guy, frères et sœurs, l’appel adressé à Pierre l’est à chacun d’entre nous.
Faire de nous, de ces hommes, de ces femmes qui se risquent dans la profondeur de leurs existences et de la vie, jusque dans ses ambiguïtés même, et cela par la seule  force d’une Parole reçue.

Et qui découvrent émerveillés, et comme Pierre, un peu effrayés aussi, qu’une vie pleine et riche les attend là, à portée de filet,
lorsque nous osons le lancer une fois encore, une fois de plus, alors même que tout semblait raté.

Relancer le file, 
dans la persévérance,
dans l’enracinement de cette Parole reçue qui fait de nous des pêcheurs de vivants, 
des pêcheurs de vies, 
des pécheurs de confiance et d’espérance, 
et des témoins pour les autres de cette formidable pêche possible, par la seule force d’une Parole reçue.

 Amen.