lundi 24 novembre 2014

Culte du 10 aout 1014
Au Grand Temple. Matthieu 14


Mes amis, comme le disait avec humour André Dumas[1], Dieu n'aime pas les surdoués de la foi.
L'Evangile n'aime pas les super croyants, car l'Evangile est pour les moyens croyants, les petits croyants, les mal croyants, bref, pour vous et moi !

Car l'Evangile est pour tous les Pierre de la vie, pour ceux qui osent et qui pourtant ont peur et doutent.
Etonnant personnage en vérité que celui de Pierre.
Tour à tour enflammé de zèle, doutant, reniant même, et pourtant toujours là, fidèle à sa façon… 
Pierre qui nous ressemble tellement, en vérité.
J'aime ce texte, étonnant et déroutant, et peut-être pas si facile que cela à interpréter…

Voyons  plutôt !
Ce récit des disciples, perdus au milieu des vagues et de leur peur, se situe juste après celui de la multiplication des pains.
Comme en un étonnant contraste, à l'image de nos vies.

Il y a quelques heures encore, quelques jours, quelques mois, c'est selon, c'est le temps du repas, de la paix, du partage, de l'abondance :
Le Maître est là.
Il fait reposer les disciples, nourrit la foule.
Et il y a du rab, du reste, plein de restes.
Temps de l'abondance, du bonheur et de la plénitude.

Et puis survient la nuit.
Le Maître n'est plus là.
Solitude.
Le vent se fait contraire et c'est la peur qui s'invite.

A l'image de nos vies où tout bascule en quelques secondes :
annonce d'un diagnostic, téléphone apprenant la mort d'un être aimé, licenciement brutal, divorce, trahison...
ou bien encore cette terrible litanie des désastres, en Israël, Palestine, en Ukraine, ou avec Ebola et puis ceux qui fuient, encore et toujours, la purification ethnique, j'y reviendrai.

Nous connaissons bien, et cela quel que soit notre âge, ces brusques changements de temps :
-        heures d'abondance et de plénitude
-        et subitement, les vagues du malheur qui montent à l'assaut de la barque de notre vie.

Alors, pour tous, petits et grands, croyants ou pas, c'est d'abord la peur qui semble s'imposer, l'un des Evangiles dira même : l'angoisse.
Et avec elle l'isolement, l'enfermement, la solitude.

A l'image des  disciples qui sont seuls, cette nuit là, sur le lac aux vents contraires,  faces aux vagues assassines et impétueuses.
Et notre réaction est souvent la même, nous nous replions sur notre peur, nos malheurs, nos deuils : recroquevillé sur ma souffrance !
C'est comme si les vagues bouchaient tout l'horizon, nous empêchant de voir que pourtant, le rivage existe.

Survient alors le Christ.
Sur lui, la peur et la mort n'ont plus de prises.
Il marche sur les eaux.
Figure symbolique par excellence : l'étendue liquide, la mer, le lac, c'est,  dans la symbolique biblique,  le lieu de la mort,  de la "non vie".
Jésus marchant sur l'eau, cela veut nous dire que la mort n'a pas de prise sur lui !

Et j'ai envie de dire :
-        Super !
Mais en fait, à quoi cela sert-il, si cela ne change rien pour moi ?
Si je ne peux pas sortir de mon recroquevillement ?
C'est alors  juste un fantôme, comme un fantasme dans la nuit…

Mais là, la voix du Christ perce la nuit:
-        Confiance
-        Moi, je suis là ;
-        Ne craignez pas !

Et ce 1er  mot est le cœur de ce récit :
Confiance.
Le mot littéralement est : tharseïte ;  courage voire même audace.
Mot rare qui n’apparaît que 7 fois dans tout le NT.
Avant même la foi : le courage !
Comme pour nous dire : ne te résigne pas, jamais !
Notre plus grand ennemi est la résignation.
Le plus grand péché est la résignation.
Notre plus grand ennemi est la résignation.
Pas la mort, pas le deuil, pas la souffrance, mais s'y résigner !

Et la voix de Pierre lui répond:
-        Puisque c'est ainsi, alors, moi aussi je viens.

Ne voyons surtout  pas dans ce geste de Pierre, une quelconque provocation, mise à l'épreuve ou bravade orgueilleuse.
Non, j'y vois pour ma part le geste même de la foi :
Pierre se jette à l'eau;
Il se mouille;
Il y croit;
Il y va.
Il veut vivre de cette parole là !
Loin de la peur, de l'angoisse et des vagues meurtrières…
Il veut vivre de cette parole là !
N'est-ce pas cela la foi ?

Et ça marche. Si j'ose dire !
Oui, il marche sur l'eau!
C'est à dire que l'espace de quelques secondes, de quelques minutes, la mort et la peur n'ont plus le dernier mot.

Et c'est encore cela la foi: refuser à la souffrance d'avoir le dernier mot.

Oui mais voilà,  le vent redouble et voyant le vent, dit le texte, Pierre s'enfonce.
Et oui, Pierre, ce n’est pas Jésus !
Pierre, c'est un homme,
comme toi,
comme moi.

Car ce n’est pas magique la foi : la force du vent contraire reste là,  puissante. Toute puissante ?
Alors finalement la peur aurait-elle toujours le dernier mot?
Cela ne servirait-il donc à rien ?

Non !
Car voilà que Jésus tend la main à Pierre et le sort de
l'eau !
Car c'est cela l'Evangile : La main de Dieu tendue au monde.

La main de Dieu tendue à chaque homme
La main de Dieu tendue à chaque femme.
-        à toi,
-        à moi,
pour nous inviter à sortir de la toute puissance de la peur ;
Pour nous arracher à la toute puissance de nos deuils et nous inviter à placer notre vie devant une autre puissance :
celle de l'amour,
celle de la Parole,
celle de l'Evangile,
plus fort que la mort elle-même.


Mais revenons un instant sur ce qui provoqua le doute de Pierre.
Il regarda le vent.
Il regarda le vent au lieu de regarder  au Maître, ou au rivage, ou aux autres....
Et si là était  le secret ?
-        Ne regarde pas au malheur,  ne te recroqueville pas sur ta souffrance,
-        regarde au delà, par delà la tyrannie des apparences et des évidences.

On n'apprend pas à marcher en regardant ses pieds ; voilà le secret !
Apprendre à regarder plus loin,  par delà !
Malgré les souffrances.
Ou n'aurions-nous plus personne à aimer?
Et cela malgré et peut-être grâce à nos doutes.

Car allons plus loin encore, et revenons à ces mots que le Maître dit  à Pierre en lui prenant la main.
Souvent nos traductions donnent : "homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? " (NBS).
Et là un piège terrible nous guette : celui de comprendre que le doute s'oppose à la foi.
Et d'entendre ces paroles de Jésus comme un reproche…

Le texte grec donne littéralement :
-        petit croyant, pourquoi  tu doutas ?

Arrêtons nous encore un instant sur ces deux mots : petit croyant et douter.
Encore deux mots rares, jugez en plutôt :
Petits croyants, en grec oligopiste (oi), n’apparaît que chez Matthieu, 5 fois, et toujours comme une constatation gentille et comme avec tendresse dans la bouche de Jésus, et puis une fois chez Luc, dans un des parallèles de Matthieu (6, 30).
La remarque s'adresse soit au pluriel, à l'ensemble des disciples (8, 26) ou comme ici, au singulier, à Pierre seulement.

Et le mot doute ( distazö) n’apparaît que deux fois seulement dans tout le NT, ici et toujours chez Matthieu, dans le dernier chapitre.
Au moment de l'envoi en mission des disciples.
Juste avant l'ascension.  (28, 16 et suivants).
Soit les derniers versets du dernier chapitre.
Souvenez-vous : Les disciples voient Jésus. Ils se prosternent et le texte de préciser : "et ceux-ci doutèrent".  Et s'approchant d'eux, Jésus leur dit : toute puissance m'a été donnée… "
Mes amis, c'est sur le doute des disciples que ceux-ci ont pourtant été envoyés.
L'ordre de la phrase est essentiel : c'est sur ce doute que peut se faire l'envoi en mission.

C'est tellement énorme que toutes les traductions ajoutent ce petit mot : "certains", "certains doutèrent", comme pour disculper la majorité des disciples, en en accusant d'autres… mais le grec est catégorique : ils doutèrent (tous ) !
Et c'est important, c'est essentiel, car cela vient définitivement casser cette terrible évidence que le doute serait l'opposé de la foi.
Non, non et non.

L'opposé de la foi, c'est la certitude. C'est l'idole.
La foi se nourrit du doute, car le doute, c'est aussi notre humanité qui s'interroge.
C'est ce qui peut m'empêcher de tomber dans le piège du fondamentaliste.
Mais attention, ici une distinction s'impose : Attention, car  il y a doute et… doute !

Il y a un doute mauvais, c'est celui qui ronge Pierre dans l'eau, celui qui vient miner la confiance. Mais c'est dans notre nature humaine. A cela Jésus répond, nous l'avons vu, en nous tendant la main et en nous relevant de nos peurs.
Et puis il y a un bon doute, le doute méthodologique, ce doute qui me conduit à toujours m'interroger, à ne jamais m'enfermer dans mes certitudes qui peuvent très vite devenir mes idoles.

Mes amis, les douteurs n'ont jamais allumé de buchers…
La certitude aveugle, elle, allume des bûchers, provoque l'exode de populations, au simple fait que ceux là ne croient pas comme il faudrait…
Comme je le disais en commençant : je ne crois pas que Dieu aime les super croyants, car ceux là peuvent vite se transformer en intégristes tuant et suant la haine de l'autre.
C'est la face ignoble, cachée, le revers de la médaille de la foi : le fondamentalisme sectaire, caricature haineuse du chemin de la foi.

Ainsi, deux pièges nous guettent, en une terrible alternative :
-        ou nous  "croyons trop", sans jamais nous interroger et nous remettre en question, et nous nous aveuglons, et nous risquons de devenir à notre tour des mercenaires de la haine ;
-        ou nous ne croyons plus en rien, et nous nous réfugions dans le cynisme et la "désabusion"[2], et nous perdons la confiance, l'espérance et la force même d'aimer !

Mais l'Evangile nous propose une autre voix (voie !) :
-        n'ayons pas peur de nos doutes, n'ayons pas peur de nous interroger.
N'ayons pas peur d'être des petits croyants : mais de ces croyants "quand même", des croyants  pourtant qui osent se jeter à l'eau de la vie, dans la confiance et l'espérance, avec la seule force d'aimer.
Et cela sans nous résigner,  jamais ; certains que Dieu, par- delà nos peurs, nous tend la main de son amour.

A nous de ne pas regarder toujours du coté du vent violent mais aussi vers la lumière!
Oh, bien sûr, nous doutons, et c'est normal car nous sommes des petits croyants,  des .....oligopistoi !
Mais Dieu aime les oligopistoi.... qu'Il relève sans  se lasser jamais de leurs peurs. Amen




                                   Pasteur Jean-François Breyne



[1] In Cent prières possibles, p. 66.
[2] Expression que j'emprunte à Nino Ferrer 
Prédication autour de Ecclésiaste 11, 1


Le 22 juin 2014 à l'Oratoire


Hier matin un ami m'apostrophe et me dit :
-        je t'ai entendu l'autre jour à la radio. 
-        Ah ! lui dis-je.
-        Mais tu as dis un truc qui m'a choqué : tu as parlé de la mort et tu as dit : cette saloperie de mort !
-        Je dois avouer que je ne me souviens plus bien de cette intervention, mais en effet, c'est une expression que j'ai pu employer.
-        Et lui de poursuivre : mais la mort, c'est dans la vie, c'est la fin de la vie ; c'est normal …

Mes amis, si cela est vrai, il n'en demeure pas moins que la mort, avec son lot de souffrance, avec l'abîme de l'absence qu'elle ouvre sous nos pas, est bien pour moi, le plus souvent, une saloperie.

Mais alors je me dois de compléter ma pensée : la vie aussi, d'une certaine façon, est une drôle de saloperie ! Elle aussi !
Désolé de ne pas être très romantique ce matin ! mais c'est ce que je crois, je que je vois, et aussi, souvent, ce que je vis.

Allons, si nous cessions de tricher un peu : la vie, c'est un sacré truc, tout de même…
Je vous passe, Bertille et Matthieu, les questions du bac philo de cette année, mais finalement, c'est aussi cela : "vivons- nous pour être heureux ?" ; "suffit-il d'avoir le choix pour être libre ?" 

Mais si, par delà les questions du bac philo,  c'était, en fait, la seule vraie question qui importe : qu'est-ce que vivre, en vérité ?

Cette question, un homme nommé Qohéleth, le rassembleur, se la pose pendant 12 petits chapitres dans un livre de notre vieille Bible, il y a environ 2500 ans.
On a longtemps intitulé ce livre, dans nos bibles protestantes, l'Ecclésiaste.
Que conclut-t-il ?
Oh, un truc pas romantique du tout non plus :

"Vanité des vanités, tout est vanité ! "
Littéralement : buée, tout est buée. C'est-à-dire : Rien ne tient.
Rien ne vaut. Tout disparaît et disparaîtra !
En version moderne : tout fout le camp, et tout foutra toujours le camp.
Tel semble être le leitmotiv de Qohéleth, qui commence et termine par cette phrase son petit livre.

Ce qui me conduit à une première remarque pour les plus âgés d'entre nous: cette impression que tout fout le camp, que plus rien ne tient debout, que nous allons inéluctablement vers la catastrophe, eh bien cette impression ne date pas d’aujourd’hui.
Elle est peut-être même une des constantes de l’humanité.
Les jeunes ne respectent plus les vieux, ils ne respectent plus rien: nous avons des textes de l'antiquité qui déjà s'en lamentent.
Devant une telle vision du monde, deux pièges alors nous menacent :
-        Celui de la grande désespérance, celui d’un regard sans concession sur le monde mais qui, du coup, devient comme vide de confiance possible, d’espérance, de perspective ; bref, d’avenir. Où l’on devient de ces devantures qui affichent fermé  pour cause d’inventaire, pour cause de tellement de lucidité que c’est l’aridité qui s’installe à demeure. Et le piège est là aussi pour les plus jeunes… cela s'appelle la peur de devenir adulte ! cette impression du vertige…

-        Ou bien c’est la grande illusion, celle de se dire qu’on en a vu d’autres, que la science, la technique, nous donnera toujours les solutions, et l’on refuse de voir la vérité en face, et nous sommes alors comme l’autruche au soir de la journée, la tête dans le sable !

Ne resterait-il comme troisième voie que celle du  cynisme, de la "désabusion", de "l'à quoi bon" ??? Juste se moquer de tout, et "après moi, le déluge" ?
L'Ecclésiaste ne dit-il pas " vanité des vanités… » … ?

J'étais hier invité au mariage d'une collègue de mon épouse. Un vieux curé, pas au top il est vrai. Mais qui était là et qui faisait comme il pouvait.
Sur le banc devant moi, et autour de nous, ce n'était que moqueries devant ce vieillard…
Serait-ce cela, vivre, nous réfugier dans la moquerie, le dédain, le cynisme ???

Peut-être !
Mais alors, n’est-ce pas une autre façon, finalement, 
de désespérer ?

Car, c’est vrai, il arrive dans nos vies que le ciel de l’espérance se soit refermé.
Car, c’est vrai, il arrive dans nos vies que l’amour même nous semble devenu  impossible.
Que reste-t-il à faire, lorsqu’il n’y a plus rien à faire ?
se demande le jeune adulte ? ou le vieillard fatigué ?

Pourtant, au  cœur même du tragique, une voix surgit, venue d’ailleurs, qui brise les apparences, qui place un geste qui, je le crois, vient ouvrir pour nous un autre chemin :
-        "Lance ton pain à la surface des eaux …"

Je le fais

Oui, La réponse que propose l’Ecclésiaste est déroutante :
« Lance ton pain à la surface des eaux » (11, 1).
Un geste insensé.
Une parole insensée.
Et pourtant…

Nous avions travaillé ce texte lors d'un week-end KT il y a 4 ans, et, la première surprise passée, les jeunes, certains d'entre vous y étaient, vous vous en souvenez,  ont tout de suite compris :
La vie, c’est un pari.
La vie, ça se risque.
La vie, c'est aussi ce que j'en ferais.

La vie, c’est oser des petits gestes un peu fous mais qui changent tout.
Et puis tout tenter, c'est-à-dire, d’abord, ne jamais se résigner !
Car notre pire ennemi, c’est la résignation !
Celui de ne plus y croire;
Oh, pas seulement ne pas croire au bon Dieu ; mais ne plus y croire du tout, à la vie, à l'amour, aux autres…

Oui, il nous faut persévérer !
Mais attention, tout tenter, persévérer, ça commence par des petits gestes de rien du tout, nous rappelle Qohéleth :  
-        offrir une rose à un ami,
-        ouvrir sa meilleure bouteille un jour ordinaire,
-        chanter "à toi la gloire" un 14 juillet… 
Des petits gestes de rien du tout, mais qui changent tout !

Parce que la vie semble ne rimer à rien, alors c’est à nous justement de la faire rimer !
De la faire sonner juste !
C’est notre tâche.
C’est cela, être un homme, une femme, en vérité, digne de ce nom.
Ce qui fait la beauté d'une vie, c'est de tenter de la vivre dans la beauté, justement.
D'y mettre tout son cœur, pour faire le pain le meilleur, la plaidoirie la plus honnête et la plus convaincante, à l'image de ce très beau texte de Goldmann sur le cordonnier, l'instituteur, qui changent la vie, juste parce qu'ils y mettent tout leur cœur[1] !

Des petits gestes de rien du tout, mais qui changent tout !
Parce que la vie semble ne rimer à rien, alors c’est à nous justement de la faire rimer !
De la faire sonner juste !
C’est notre tâche.

Avec quelques repères, quelques balises pour notre chemin :
-        l'amour, parce que sans cela, nous ne sommes rien.
Pas l'amour des romantiques, mais l'amour ordinaire, l'amour qui est accueil de ce qui vient, de ce qui survient dans nos vies.
L'amour, qui est un autre regard possible sur le monde, les autres, la vie, soi même…
-        et la confiance.
Ce qui me frappe, c'est que plus personne ne semble avoir confiance en personne… or sans confiance, plus d'humanité possible : c'est nous condamner à la loi de la jungle, qui est la loi du plus fort.

Je cite Laurent Schlumberger, notre président :
"On le sait bien et on vient encore de le vérifier, cette défiance touche prioritairement les responsables politiques et, tout autant, les médias. Mais elle ronge comme l’acide toute relation sociale durable. 79% des Français – un chiffre en hausse constante — estiment qu’ « on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres » et seulement 21% qu’on a raison de vouloir faire confiance. L’avenir est perçu non seulement comme illisible, mais bien plus comme nécessairement menaçant.
Cette défiance, qui est d’abord défiance à l’égard des autres et de l’avenir, traverse les personnes, les couples, les familles, les acteurs sociaux, les corps intermédiaires, l’économie…

Et cela résonne très directement avec nos convictions évangéliques les plus centrales. Car nous croyons que  « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils, son unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie et qu’il l’ait en abondance » (Jn 3,16).
Dieu tel que Jésus-Christ le fait connaître n’est pas un Dieu qui se défie du monde ou qui appelle à s’en retirer.
Il ne l’a ni condamné, ni rejeté, ni détruit.
Il l’aime, il le rejoint, il y plonge, il y manifeste une confiance inconditionnelle et première.
Une confiance non pas dans l’abstrait, mais pour chacune et chacun. Une confiance non pas une fois pour toutes, et tant pis pour toi si tu ne l’as pas perçue, mais chaque jour renouvelée.

Cette confiance-là est profondément libératrice.
Elle appelle à l’engagement. Car puisque ma propre existence est digne d’une telle confiance de la part de Dieu,
alors même que je n’y suis pour rien, pourquoi en irait-il autrement de toute autre existence ?
La confiance n’est pas une valeur.
Elle est une relation. La confiance est une relation, dont on se découvre bénéficiaire et qui colore, irrigue, nourrit, transforme nos propres relations.
Ensuite, la confiance n’est pas un optimisme naïf et décrété. Elle exige engagement, résistance au repli, persévérance quotidienne. "
Elle suppose un labeur : un travail.
Relation et engagement : choisir la confiance est à proprement parler un combat spirituel.  Celui de la foi, tout simple.
Foi, fiance, confiance : c'est la même chose.

Et c'est cela aussi que vous disiez il y a 4 ans :

"Nous ne savons pas ce qui peut arriver,
nous n’avons pas toutes les réponses,
nous ne les aurons jamais.
Mais ce n’est pas une raison
pour s’angoisser et abandonner

Car je crois en un Dieu
qui nous donne la force d’oser,
de prendre le risque de la vie.
L’enfant qui ne veut pas perdre ne joue pas,
Celui qui ne veut pas tomber, n’apprend pas à marcher
C’est pourquoi Dieu nous donne la force
de reprendre notre courage à deux mains et
d’aller de l’avant.
Dieu me le redit : Aie confiance, suis ton chemin.

Je  crois que l’homme n’est pas  seul
sur son île :
Dieu est avec lui.
Il lui donne l’espérance.
Et il lui donne le cadeau de la fraternité,
De pouvoir partager une part de pain avec son prochain.
Nous croyons qu’au fond du couloir,
la lumière brille dans le noir.
Même dans l’obscurité la plus totale,
la lumière attend de naître sous nos pas." [2]

C'est cela que je voudrais ce matin vous confier, à vous les jeunes qui allez partir risquer votre vie, comme à la petite Jeanne et à sa famille : vous pouvez, nous pouvons ensemble être témoins de la confiance.

Avec le courage   :
-        comme Qohéleth, de voir la vie en vérité, sans tricher ;
-        mais  comme Qohéleth,  de parier sur l’impossible.
Avec la seule force que Dieu nous donne, celle de sa parole et de son amour.
Oser ces gestes un peu fous, mais qui changent tout !
Lancer son pain à la surface des eaux.

En fait, cette parole est pour moi image de la création : comme Dieu lança son souffle sur les eaux pour en faire surgir la vie, il nous importe de lancer notre pain, c'est-à-dire le fruit de notre labeur, à la surface des eaux, afin, nous aussi, d'en faire jaillir la vie.
Parce que vivre, c'est naître à chaque pas, par la seule force d'une parole reçue, d'un amour entrevu, et du geste fou de la confiance retrouvée.

Jean-François Breyne



[1] "Il changeait la vie", paroles de JJ Goldmann.
[2] Confession de foi rédigée par les jeunes de l'Ecole biblique et du KT, en 2010, week-end de Chausse. 

mardi 1 juillet 2014

10 mai 2014. MDA . Jean 10, 1 à 10



Ha, quel beau texte.
Et pourtant, pas si évident que cela !!!!!!

Je suis le bon berger, et puis quelques versets plus loin : je suis la porte.
Alors, il faut savoir : porte ou berger ?

Et puis, Jean mélange ici les genres littéraires, commençant par une parabole, puis une allégorie, le tout sur un ton de controverse. C'est à y perdre, sinon son latin, du moins son grec !

Je suis le bon berger, et puis quelques versets plus loin : je suis la porte.
Alors, il faut savoir : porte ou berger ?

C’est comme si l’Evangile jouait et se jouait de nos représentations.
Comme pour nous dire : attention !
Tous ces mots ne sont que des images, des panneaux indicateurs pour notre foi ; mais le Maître ne saurait être enfermé dans l’une ou l’autre de ces images.
Il faut conjuguer ensemble l’image de la porte et du berger.
Car l’une donne sens à l’autre.
L’image de la porte dit le mouvement, le passage.
Et c’est donc ainsi que doit être abordée l’image du berger.

Arrêtons-nous un instant sur cette image du berger.
C'est, le saviez-vous, l'une des plus anciennes représentations connues du Christ dans l'iconographie chrétienne…
 


 Elle provient de la catacombe Sainte Priscille à Rome, et date du 3ème  siècle.

Mais l'image en fait est polysémique, ambigüe :
Car dans la culture de l'AT, le berger, c'est tout à la fois Dieu lui-même : l'Eternel est mon berger,  du Psaume 23,  mais cela évoque aussi,  chez les prophètes, l'image du mauvais prêtre, du mauvais… pasteur.  Du mauvais politique :
Lecture de Ezéchiel  34.
Et c'est dans ce contexte polémique que Jean ajoute : le bon, le beau berger…

Car le piège du berger, ce serait celui du gourou : entendez un berger qui garde tout à lui, un  berger jaloux de son troupeau et de ses prérogatives.
Un berger qui appelle, mais pour garder, mais qui ne laisse pas repartir. Un berger qui tond et qui se sert.

Alors que le berger de l’évangile représente tout le contraire : il est celui qui appelle « pour conduire dehors ».

Il y a dans ce texte d’évangile un formidable appel au mouvement, au voyage de la foi, au risque.

Et c’est ce que dit l'image de la porte.
La porte dit le mouvement, la porte dit le passage.
Imaginez une maison sans porte : cela n’existe pas.
Même les prisons ont une porte.
La porte. Lieu de passage, lieu d’allée et venue.
Comme pour nous suggérer que la foi est aussi un voyage, un passage, une pâque (pessah, passage), un va et vient, une dynamique de vie.

« Il appelle chacun des moutons par son nom et les conduit dehors ».
Non pas dedans, non pas dans l’enclos rassurant du sérail,
Mais dehors, en plein vent, dans les risques de la vie réelle.
Avec le berger – porte, il est question de voyage, de sortie, de risque, de voleurs et de brigands.
L’évangile nous présente un chrétien en plein vent, à la proue du monde, présent dans les réalités de la vie et ses ambiguïtés.
L’évangile nous présente un chrétien « libre d’entrer et de sortir, de douter ou de faire confiance », sans piège ni péage.
En bref, un chemin de liberté.

Le berger-porte nous le dit :
-        Sors. Ne te recroqueville pas. Ne t’enferme pas. Ne fais pas de ta foi un prétexte à l’enfermement.
-        Car la foi est sortie, la foi est cheminement, la foi est passage.

Il faut le noter : le berger dont il est ici question est sensiblement différent du berger du psaume 23 : point ici question  d’images de repos, de verts pâturages, d’eau paisible.
Mais avec le berger – porte, il est question de voyage, de sortie, de risque, de voleurs, de brigands et de loups.

Point d'image bucolique, mais la dure réalité de la vie, avec ses rapines et ses brigandages.
Et pourtant, nous pouvons oser sortir.
Hors de l'enclos. Voilà la bonne nouvelle.

Hors de l’enclos.
Arrêtons-nous un instant sur ce mot : aulh, en grec, qui n’apparaît que 3 fois chez Jean : deux fois dans notre passage, et une fois au chapitre 18, où il désigne alors la cour du grand prêtre. Car le mot n'évoque pas n'importe quel enclos ; nous le retrouvons dans la LXX où il désigne la cour du temple, ou la cour qui se trouve devant la tente de la rencontre.
Ainsi, c'est bien de la cour du temple qu'il s'agit.
De l'enclos ecclésiastique.

Et nous en avons besoin. Et Jésus en est bien la porte.
Mais l'enclos n'est pas là pour garder à soi : il est là pour permettre la sortie vers la vie.
Il n'est pas là pour enfermer, mais pour offrir le lieu du ressourcement ;
Il n'est pas là pour être le but, mais pour offrir protection et repos possible.
Mais la vie est dans la marche, dans le dehors, dans l'extérieur.

Dès le chapitre 2 du 4ème Evangile, Jésus nous dit qu'il est le véritable temple. Et il en est désormais la porte, l'ouverture, la brèche, pour permettre le passage.

Passage, de la nuit de l’échec au jour de la confiance.
Passage, de tous nos deuils à la vie possible, à la vie offerte.
Passage, de la rancœur au pardon possible,
Passage, d’une culture de la violence à une théologie de la tendresse.
Passage, de la haine à l’amour promis,
Passage, du désespoir à l’espérance,
Passage, de la trahison, du reniement au relèvement, passage, de l’enfermement de nos échecs à la porte ouverte de la vie.


OUI, Mais comment ?
Par l’écoute.
« Les brebis écoutent sa voix ».
Voilà notre seule force, la racine de toute notre vie chrétienne : l’écoute.
Le mot grec ici employé est celui qui dans la traduction grec de l’AT traduit le mot hébreu "shema" : écoute,
Ecoute, Israël, écoute, qui est le premier mot de la prière que tout juif dit chaque matin au réveil.
Voilà le seul impératif catégorique de notre foi : écouter.
Les autres, soi-même,  et enfin écouter son Dieu.
Ecouter, pour pouvoir sortir, à la suite de la porte-berger.

Mais revenons encore à notre berger – porte :
Qu'est-ce qui caractérise le bon berger ?
-        Il entre par la grande porte,
-        il  appelle ses brebis  par leur nom.
-        et il donne sa vie pour elle.


1.     Il entre par la porte
Avant de nous dire qu'il est la porte, la parabole nous dit qu'il n'est pas celui qui escalade la clôture, mais celui qui passe par la porte !
Qui sont ces voleurs qui escaladent la clôture ? Mystère !
Mais il y a je crois une mise en garde contre tous les discours par trop ésotériques, qui voudraient nous faire croire que l'Evangile serait  pour une élite intellectuelle, morale ou initiatique.
Non. L'Evangile passe par la porte. Pour tous.

2.     Il appelle par son nom.
Et le berger appelle. Par son nom. Toi. Moi. Nous.
Pour aller et sortir vers la vie.
Ce point me semble déterminant.
Car il dit une vocation possible.
Nous le savons, nous vivons tous d'une parole qui nous appelle à la vie.
Malheureux celui qui n'entend pas cet appel, il est condamné à demeurer recroquevillé sur lui-même.
Mais heureux, en marche, celui qui entend une voix qui l'appelle à la vie. Par son nom.
Car toute vocation est toujours nominative, personnelle, individuelle.
Qu'importe la caste, le rang, l'ordre, l'histoire familiale : chacun est appelé par son nom,
non pas pour ce qu'il est,
mais pour ce qu'il est appelé à devenir !

Le drame de certaines périodes de nos vies, c'est justement lorsque tout appel semble tari, devenu muet…
Mais le bon berger, lui, est celui qui nous appelle, sans se lasser jamais… d'où l'importance pour nous de l'Ecoute.

3.     Il donne sa vie
Et enfin, il est celui qui donne sa vie.
Là, le renversement est total.
L'image s'achèvera chez Jean par celle du lavement des pieds.
Le Christ serviteur, celui qui va jusqu'au bout du don, pour que le pardon et la vie triomphent.  

Nous, je l'ai dit, nous n'avons que nos oreilles et nos cœurs pour tenter d'en vivre.
Dans sa suivance, comme l'aurait dit D. Bonhoeffer.  
Pour que notre vie soit, et qu'elle soit en abondance.



Amen 

mardi 29 avril 2014

Jean 20, 1 à 18, Pâques 2014, Mas des Abeilles et Oratoire


Une fois encore, nous le chantons, nous le proclamons : Christ est ressuscité. C'est, nous le savons, le cœur même de notre foi ; c'est la "pointe" sur laquelle tout repose, et pour nous pas seulement la foi, mais toute vie, toute chose… et une vie peut se retourner autour d'une pointe d'aiguille…

Et pourtant, c'est peut-être dans le même temps le plus difficile à interpréter, à entendre, à vivre… car ce qui est au cœur des choses est souvent bien caché, tel un ressort secret, impossible à analyser, à expliquer, à décrire.

Le piège se situe peut-être là, d'ailleurs : 
entendre ces récits comme s'ils nous décrivaient ce qui s'est passé…  Jean Zumstein le grand exégète du 4ème Evangile, le déclare :
« L'évangile de Jean n'est pas à lire comme une intrique dramatique, qui nous rapporterait ce qui s'est produit de façon chronologique, comme un reportage de ce qui s'est passé ;
non, le 4ème évangile se présente comme une "intrigue thématique", et l'intrigue du chapitre 20, ce n'est pas tant  la résurrection du Christ  que ce qu'il appelle  la naissance de la foi pascale »[1]
Car ce qui court tout le long de ce chapitre, c'est la question de la foi,
Dans  la relation entre le voir et le croire !

Voir ou ne pas voir, telle est la question… de la foi !
Voir. Le verbe voir structure et parcours tout ce récit johannique.

Le premier voir de Marie de Magdala, en arrivant au tombeau devant la pierre roulée,  n'aboutit pas puisqu'il s'épuise dans l'idée du déplacement de la dépouille.
Ce voir suscite néanmoins le vouloir-voir de Pierre et de l'autre disciple ;
Pierre voit (avec un autre verbe en grec) mais ne voit…rien !
L'autre disciple, celui que Jésus aimait, entre,
voit et croit !
Mais qu'a-t-il vu ???
Rien !
Rien que le tombeau ouvert, et les traces d'une présence :
les bandelettes !

Marie revient en scène et voit à nouveau dans le tombeau, cette fois deux envoyés vétus de blanc et qui parlent : en fait, elle voit… une parole !

Enfin, elle voit Jésus lui-même, mais sans pouvoir le reconnaître pourtant (elle le prend pour le jardinier)…

Ce qui va provoquer la foi, c'est encore et toujours une parole, celle de Jésus lui-même…
Viendra enfin, dans les versets qui suivent, la rencontre entre Thomas et Jésus qui aboutira à cette phrase tant de fois entendue :
Bienheureux ceux qui ont cru sans avoir vu !
Et là, la tête nous tourne :
Il vit et il cru … pour le Disciple Bien Aimé…
Et puis quelques versets plus tard pour Thomas:
Bienheureux ceux qui ont cru sans avoir vu !
Alors, il faut savoir : voir ou ne pas voir ???
Ces derniers mots  de l'homme de Nazareth s'en viennent pourtant confirmer définitivement notre intuition :
voir ou ne pas voir, telle est la question…

Réponse : la foi pascale ne découle pas d'un voir, mais d'un entendre.
Comme j'aime à le dire, un chrétien, cela voit avec ses … oreilles !

Comme le dit admirablement Maurice Bellet[2] :
"La résurrection ne se connaît que par la parole.
Elle vient à nous par le Dit et le Récit.
Il n'y a pas de vision ni de toucher.
( remarquons que le 4ème évangile ne dit pas que Thomas touchera…)
Bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru.
Ses apparitions, telles que racontées par les Evangiles, ne sont pour nous que des narrations.
La résurrection est ce quelque chose qui circule dans la parole humaine… "
"Et sous quel mode ?
Pas celui du mythe, de l'histoire, de la psychologie, de la métaphysique, ni même de la théologie… le mode de la parole de résurrection est la résurrection elle-même.
C'est-à-dire qu'elle fait ressusciter, qu'elle suscite encore et toujours la Parole"…

[La résurrection se révèle en son accomplissement comme la présence indestructible d'une parole contre la toute puissance de la mort dans nos vies, comme la victoire de la parole sur toute mort…]

Mais revenons à notre texte …

Le premier croire suit le voir du Disciple bien aimé…
Or que voit-il ? je l'ai dit : rien.
Rien que quelques bandelettes posées à terre.
Rien d'autre.
Eh bien, mes amis, c'est de ce rien, de ce presque rien, de ce vide, de ce presque vide que surgit la foi.
Il lui faut l'espace de ce vide pour que, dans quelques instants, une Parole puisse retentir lorsque Marie entrera à son tour dans le tombeau.
Etonnant, surprenant, pourtant, ce tombeau, lieu de toutes les peines, de toutes les souffrances, de toutes les peurs, qui se retrouve comme ouvert, interrogé  par ces quelques bandelettes posées à terre…
Ne serait-ce pas déjà cela, la résurrection : cette brèche dans nos peurs, dans nos chagrins, dans nos souffrances ???
La résurrection pose d'abord les traces d'un principe d'espérance, une ouverture, une brèche…

Mais reprenons notre lecture.
Le second voir de Marie, celui des deux anges, ou plutôt, devrait-on traduire, des deux envoyés, est celui d'une parole.
"Ce qui fait le caractère inouï de la parole ressuscitante, c'est qu'elle émerge du silence, du très grand silence de la mort.
Voilà une puissance de vie aussi déconcertante pour ma vie ancienne que peut l'être, pour l'enfant des humains, sa venue au monde".

Et cette parole interroge nos larmes, préparant l'indicible qui pourtant se murmure déjà à travers la question…
Car la parole de la résurrection, c'est ensuite cela :
un gigantesque point d'interrogation sur la toute-puissance  du tragique et du chagrin dans nos vies
La parole de la résurrection se donne à entendre comme une interrogation majuscule, de cette question qui fait vivre et qui peut redonner souffle à nos vies si souvent à bout de souffle.

Mais cela ne suffit pas encore. C'est trop théorique. Trop abstrait.
Pourtant cela suffit pour que Marie se retourne.
Retournement  physique pour dire aussi le retournement intérieur, celui de la foi justement..
Et le dernier voir de Marie est enfin celui du Christ..
Ouf. Enfin. Ca y est, nous y sommes.
Eh bien non. Car Marie ne reconnaît pas Jésus.
Combien de fois faudra-t-il nous le dire,
gens de peu de foi :
on ne voit bien qu'avec les oreilles, pas avec les yeux !

Et résonne alors la seconde parole de la résurrection, qui encore interroge nos larmes… mais qui va plus loin :
Pourquoi pleures-tu ? Et qui cherches-tu ?
Oui,  que cherchons-nous ce matin ????
C'est encore la question majuscule, celle qui pousse toute chose vers la vie, mais la question se resserre, se précise: que cherches-tu ?
Cette question, dans le 4ème Evangile, est la première parole que Jean met dans la bouche de Jésus, alors qu'il s'adresse aux disciples : que cherchez-vous ? (Jean 1,  38)
Et c'est aussi la première parole du Ressuscité à Marie …
L'évangile est là, au cœur de cette double question :
Que cherches tu ?

Et voilà le cœur de la foi révélé : la foi comme quête, comme quête de sens, à jamais ré- ouvert par la pierre roulée, les bandelettes à terre, la parole des envoyés et celle du Maître…

-        Dis Papa, c'est quoi, la vie ? cela sert à quoi ?

A lui donner sens, justement, par la seule force d'une parole reçue, pour que triomphe, dans nos vies, la lumière que rien n'a puissance de détruire, celle qui vient de celui-là même qui nous le demande :
Que cherchez-vous ?

"Pour la foi, la résurrection, ce n'est pas un fait, c'est un principe" (Maurice Bellet).
C'est le principe fondamental par lequel je peux tout réinterpréter et par quoi tout peut reprendre sens.
En ce sens, c'est bien le pivot de notre foi, de notre vie, de notre prédication.

Mais allons encore plus loin avec notre récit : car à la question du Maître répondra encore et toujours  l'angoisse de Marie : "dis-moi où tu l'as déposé, et je l'enlèverai…".
Car il faut du temps pour apprivoiser la parole de la résurrection…
Car en fait il lui manque encore une parole pour que tout prenne sens et vie :
une seule parole, qui se condense en un seul mot.
Un prénom. Hier celui de Marie.
Ce jour le mien. Le tien. Et le tien aussi.
Marie.
Jacqueline, Freddy, Marie-Hélène…
Jean-François.
Et cela suffit. Et tout est dit.

Et là, très exactement à ce moment-là, la Parole de la résurrection vient renouveler en nous la foi, c'est-à-dire la confiance, c'est-à-dire la vie enfin rendue possible.

Car mes amis, il faut que nous le sachions, la résurrection n'est pas à croire, elle est à vivre.
" Ces récits ne sont point faits pour nous rendre spectateurs d'un événement. Ils sont faits pour nous donner à entendre ce que peut être notre relation avec Christ, qui est notre ultime vérité.
Madeleine au jardin, les femmes au tombeau, les chemin-faisants d'Emmaüs, les proches au bord du lac, Thomas le douteur … tous nous disent que nous pouvons être en ce lieu là, où la vision échappe, où ne demeure que ce feu brûlant au cœur des disciples, le nom, son propre nom qu'entend enfin Madeleine, la puissance inouïe du Souffle qui va donner aux disciples la force de soulever le monde.
Ce qui nous est donné à entendre, c'est bien la puissance venant en nous, capable d'éteindre la fascination de la Mort et les délires où se défait l'homme, ce mortel. "(M. Bellet)

Ainsi, la résurrection, ce n'était pas hier, il y a deux mille ans. Ce ne sera pas davantage pour demain, lorsque nous aurons atteint le bout de la corde de notre existence.
La résurrection, c'est aujourd'hui, comme une nouvelle manière d'être, d'être à soi-même, aux autres, à la vie elle-même et à Dieu.

Ce qui demeure, c'est ce dont Christ a témoigné et vécu, c'est l'agapé, la divine douceur, cette relation nouvelle entre nous, les humains, où vient se recueillir, se condenser en quelque sorte, toute notre foi pascale.
Par-delà la torture, le crime et la bêtise, au-delà de la tyrannie, Christ revient doucement, nous appelle par notre nom, et nous relance en espoir. Il remet debout et en route; il oblige à courir partager avec d’autres endeuillés de la vie l’attente et la volonté d’une terre autrement.

Pour nous remettre en route.
Car le fruit de la parole de la résurrection, c'est le mouvement, la mise en route,  la course même, le retournement  vers le cheminement de la vie…
Car l'homme est un cheminot, un cheminant, un marcheur de sens…


L'homme n'est pas, mais il a à être.
L'existence est un pouvoir-être…. "
"L'homme ne vit pas, il ressuscite.
A chaque pas il ressuscite…. Vivre, c'est naître à chaque pas"[3]

Et cela par la seule force d'une parole reçue.
Puisse l'Eternel te donner aujourd'hui d'entendre cette parole et d'en vivre.
Puisse-t-elle te donner la force d'aimer sans te lasser jamais,

Alors, joyeuses Pâques.






[1] Jean Zumstein, In L'Evangile selon Saint Jean, Labor et Fides, p. 267
[2] In Si je dis Crédo, Bayard, p. 87 et ss
[3] In : Les symboles du Judaïsme, Editions Assouline, page 10 & 11.