Luc 2, 22 à 39. Présentation de Jésus au Temple,
Prédication à l'occasion d'une retraite donnée
au monastère des Trappistines de
La Paix-Dieu, en l'Eglise de Cabanoule, le 2 février 2014
Nous
le chantons depuis hier : "Jésus, lumière, notre lumière",
reprenant
à notre compte ces mots du vieux Siméon devant l'enfant :
"Lumière
qui se révèle aux nations…".
Mais
là, une interrogation surgit en moi :
Qu'a-t-il
vu, en vérité, le vieux Siméon ?
Un
enfant, âgé de quelques semaines peut-être, premier né d'un couple ordinaire
qui vient accomplir l'acte liturgique rituel du rachat du premier né mâle,
comme le prescrivait la Loi de Moïse… ( cf. Exode 13, 2 ; Nb 18, 15…)
Où
Marie, par la même occasion probablement, en profite pour accomplir elle aussi
le sacrifice qui devait être fait à l'occasion de ses relevailles.
Un
enfant, au milieu de tous les enfants de Jérusalem.
Alors,
qu'a-t-il vu, avec ses yeux ?
En
vérité, rien. Presque rien.
J'aurais
envie de dire : "circulez, il n'y a rien à voir".
Et
pourtant là, très exactement là, alors qu'il n'y a rien à voir,
Pas
de chœurs célestes, pas de cieux qui se déchirent, pas de lumière
resplendissante,
pas
même une voix venue du ciel,
pourtant
là, Siméon s'écrie :
-
" Mes yeux
ont vu le salut…"
Alors
même qu'il n'y a rien à voir !
Parabole
pour notre foi :
Car
si c'était cela, la foi, le salut même ?
L'expérience
d'un autre regard possible sur le monde, sur les autres, sur nous-mêmes, sur
Dieu enfin ?
L'exégète
suisse Daniel Marguerat écrit très justement, me semble-t-il :
« On dit que la vérité crève les yeux, mais ce n’est
pas vrai !
La vérité crève rarement les yeux. Ce sont nos yeux
qui, peu à peu, doivent crever les choses qui nous dissimulent la vérité.
Dans le grouillement du quotidien, Siméon et Anne ont
déchiffré un signe, ils ont vu à l’œuvre le salut de Dieu.
Ce n’est pas leur place que j’envie, c’est leur
regard… »
Oui, n'est-ce pas cela, l'expérience même de la foi
: cet arrachement de la tyrannie des apparences et des évidences, pour pouvoir,
enfin, risquer un autre regard,
Un regard qui rend grâce,
Un regard qui bénit,
Là où trop souvent, nous avons tendance à ne voir
que désastres, souffrances et échecs.
Pourtant, Siméon aussi aurait pu dire, avec les
hommes de son temps (car c'est drôle, mais chaque génération le dit) :
"tout fout le camp ! ".
L'occupant romain était là, et avec lui une autre
culture, une autre façon de vivre, d'autres valeurs…
Le
clergé du temple était corrompu, le Grand prêtre était contesté dans sa
légitimité par certains…
Et
Hérode, dernier représentant de la royauté en Israël, n'est qu'un terrible
despote cruel et sanguinaire qui massacre des enfants…
Oui,
déjà, tout foutait le camp !
Mais
Siméon est là, il vient, dans sa fidélité, au temple, et là, devant l'enfant,
il rend grâce et il bénit !
Nous
montrant ainsi un autre chemin possible :
Où
il n'y a plus à fuir, mais à demeurer ;
Là
où il n'y a plus à dénoncer, à condamner mais à rendre grâce pour ce qui survient
Là
où il n'y a plus à maudire, mais à risquer le geste de la bénédiction.
Et
il peut dire :
-
"Maintenant,
oh Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s'en aller en Paix, selon ta
Parole…"
Mes
Sœurs, chers amis, avant de venir hier, je me suis arrêté faire une visite auprès d'un très vieux Monsieur
qui est au seuil de son "grand passage".
Peut-être
d'ailleurs, en ce moment, a-t-il rejoint les bras du Père….
Il
y a une semaine, il m'avait confié :
-
Je suis
prêt. Je peux partir. J'ai eu une vie
riche et belle : une épouse, 4 enfants, 12 petits enfants.
Une
vie dévouée aussi à sa communauté, trésorier bénévole de nombreuses
associations caritatives.
Et
puis il me dit :
-
Je vais avoir un arrière-petit-fils.
Ma petite-fille m'a montré l'échographie. Je suis heureux.
Je
lui demande s'il n'aimerait pas le voir naître, cet arrière-petit-fils. Que la
vie le tienne jusque-là…
-
A quoi bon ? Non.
Ce n'est pas la peine. Je sais qu'il va naître, et cela me suffit.
La
promesse de cette naissance lui suffisait !
Pas
besoin de voir.
Le
regard de la foi suffit !
A
cause d'une promesse.
Reçue
à la lumière d'une autre lumière.
N'est-ce
pas cela, notre foi ?
Nous
mettre sous une autre lumière, celle du Christ, qui nous invite à voir d'un
autre regard… Autrement….
Par-delà,
toujours, la tyrannie des apparences et
des évidences.
Et
tout est transformé.
Et
elle nous invite ainsi à vivre, à notre tour, en pèlerin de lumière…
Car
recevant cette lumière,
Car
reconnaissant cette lumière,
c'est
nous qui sommes, désormais, appelés à être lumière pour et dans le monde.
Luc
n'emploie que 6 fois le mot lumière dans tout son Evangile[1].
Nous
n'avons pas le temps de regarder ces passages en détail, mais chaque fois,
c'est en rapport avec l'homme, pour nous dire que désormais, c'est nous qui
sommes appelés à être lumière, pèlerin de
lumière dans et pour le monde.
Et
Luc met alors en lien lumière et regard, et lumière et parole reçue.
Il dit par exemple, parlant de la lumière qui doit éclairer et non pas être
cachée : "et prenez donc garde à la manière dont vous écoutez"… (Luc
8, 18).
Car
oui, la lumière nous vient de la Parole.
Car
oui, nous chrétiens, c'est à cause d'une parole reçue que nous pouvons risquer
sur le monde un autre regard ;
Car
oui, nous autres chrétiens, c'est avec nos oreilles que nous sommes appelés à
voir autrement, à la lumière d'une autre lumière : celle de la Parole de
l'Evangile.
Mes
sœurs, souvenez-vous de ce moment pendant les Laudes : plus d’électricité…
Cela
empêchait certes de lire les psaumes mais cela ne gênait en rien notre écoute qui illumine notre foi, car c’est
bien d’une autre lumière qu’il s’agit…
Celle
du Christ, celle qui nous est donné de discerner du cœur même de sa Parole.
Siméon
le dit lui-même :
« Tu
peux laisser tes serviteurs s’en aller en Paix, selon… ta Parole. »
* * *
Puis
viennent ces mots terribles me semble-t-il, adressés à Marie :
« une
épée traversera ta vie ».
Là,
surgit dans notre imaginaire, immanquablement, l’image du calvaire.
La
souffrance d’une mère devant la souffrance d’un fils.
Pourtant,
je ne suis pas certain qu’il faille retenir cette lecture.
Car
le mot grec employé ici est différent de celui qui désigne dans le Nouveau Testament
l’épée en tant qu’arme.
C’est
ici un autre mot et qui est toujours employé dans le NT pour signifier la Parole
de Dieu qui est "comme une épée acérée à double tranchant", nous dit
l’Apocalypse, vient nous pénétrer, nous désarticuler, pour nous réarticuler autrement.
Ainsi nous pouvons comprendre la
parole de Siméon autrement :
« il sera un signe de débat, et la parole traversera ta vie, ainsi seront
révélés les réflexions de bien des cœurs »
Oui,
cette parole vient nous traverser,
Oui
cette lumière vient nous transfigurer,
Oui cette parole fait de nous des « porteurs
de lumière »...
Pour illuminer, comme le
disait Zacharie, même ceux qui habitent
dans l’ombre de la mort.
Car
comme l’écrit le P. Maurice Bellet :
«
La grande affaire, l’unique affaire est que le chemin ne se perde pas dans la
ténèbre ; que se lève, au cœur même de la nuit, la lumière irrépressible
que rien ne peut détruire".
et
il poursuit :
"Si
Dieu est, il est en l’homme désormais ce point de lumière qui précède toute
raison et toute folie et que rien n’a puissance de détruire. Peut-être alors
que croire en Dieu consiste en ceci : Croire qu’en tout être humain existe
ce point de lumière. »
Puissions-nous,
nous aussi désormais, voir et vivre en "petits Siméon"
et
qu’il nous en en soit ainsi, aujourd’hui, demain et jusqu’au seuil du Grand
Passage.
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