mercredi 9 avril 2014

Luc 2, 22 à 39. Présentation de Jésus au Temple,

Prédication  à l'occasion d'une retraite donnée 
au monastère des Trappistines de 
La Paix-Dieu, en l'Eglise de Cabanoule, le 2 février 2014 

Nous le chantons depuis hier : "Jésus, lumière, notre lumière",
reprenant à notre compte ces mots du vieux Siméon devant l'enfant :
"Lumière qui se révèle aux nations…".

Mais là, une interrogation surgit en moi :
Qu'a-t-il vu, en vérité, le vieux Siméon ?
Un enfant, âgé de quelques semaines peut-être, premier né d'un couple ordinaire qui vient accomplir l'acte liturgique rituel du rachat du premier né mâle, comme le prescrivait la Loi de Moïse… ( cf. Exode 13, 2 ; Nb 18, 15…)
Où Marie, par la même occasion probablement, en profite pour accomplir elle aussi le sacrifice qui devait être fait à l'occasion de ses relevailles.
Un enfant, au milieu de tous les enfants de Jérusalem.
Alors, qu'a-t-il vu, avec ses yeux ?
En vérité, rien. Presque rien.
J'aurais envie de dire : "circulez, il n'y a rien à voir".
Et pourtant là, très exactement là, alors qu'il n'y a rien à voir,
Pas de chœurs célestes, pas de cieux qui se déchirent, pas de lumière resplendissante,
pas même une voix venue du ciel,
pourtant là, Siméon s'écrie :
-        " Mes yeux ont vu le salut…"
Alors même qu'il n'y a rien à voir !
Parabole pour notre foi :
Car si c'était cela, la foi, le salut même ?
L'expérience d'un autre regard possible sur le monde, sur les autres, sur nous-mêmes, sur Dieu enfin ?

L'exégète suisse Daniel Marguerat écrit très justement, me semble-t-il :
« On dit que la vérité crève les yeux, mais ce n’est pas vrai !
La vérité crève rarement les yeux. Ce sont nos yeux qui, peu à peu, doivent crever les choses qui nous dissimulent la vérité.
Dans le grouillement du quotidien, Siméon et Anne ont déchiffré un signe, ils ont vu à l’œuvre le salut de Dieu.
Ce n’est pas leur place que j’envie, c’est leur regard… »

Oui, n'est-ce pas cela, l'expérience même de la foi : cet arrachement de la tyrannie des apparences et des évidences, pour pouvoir, enfin, risquer un autre regard,
Un regard qui rend grâce,
Un regard qui bénit,
Là où trop souvent, nous avons tendance à ne voir que désastres, souffrances et échecs.
Pourtant, Siméon aussi aurait pu dire, avec les hommes de son temps (car c'est drôle, mais chaque génération le dit) : "tout fout le camp ! ".
L'occupant romain était là, et avec lui une autre culture, une autre façon de vivre, d'autres valeurs
Le clergé du temple était corrompu, le Grand prêtre était contesté dans sa légitimité par certains…
Et Hérode, dernier représentant de la royauté en Israël, n'est qu'un terrible despote cruel et sanguinaire qui massacre des enfants…
Oui, déjà, tout foutait le camp !

Mais Siméon est là, il vient, dans sa fidélité, au temple, et là, devant l'enfant, il rend grâce et il bénit !
Nous montrant ainsi un autre chemin possible :
Où il n'y a plus à fuir, mais à demeurer ;
Là où il n'y a plus à dénoncer, à condamner  mais à rendre grâce pour ce qui survient
Là où il n'y a plus à maudire, mais à risquer le geste de la bénédiction.

Et il peut dire :
-        "Maintenant, oh Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s'en aller en Paix, selon ta Parole…" 
Mes Sœurs, chers amis, avant de venir hier, je me suis arrêté  faire une visite auprès d'un très vieux Monsieur qui est au seuil de son "grand passage".
Peut-être d'ailleurs, en ce moment, a-t-il rejoint les bras du Père….
Il y a une semaine, il m'avait confié :
-        Je suis prêt.  Je peux partir. J'ai eu une vie riche et belle : une épouse, 4 enfants, 12 petits enfants.
Une vie dévouée aussi à sa communauté, trésorier bénévole de nombreuses associations caritatives.
Et puis il me dit :
-        Je vais avoir un arrière-petit-fils. Ma petite-fille m'a montré l'échographie. Je suis heureux.
Je lui demande s'il n'aimerait pas le voir naître, cet arrière-petit-fils. Que la vie le tienne jusque-là…
Et il me répond :
-        A quoi bon ? Non. Ce n'est pas la peine. Je sais qu'il va naître, et cela me suffit.

La promesse de cette naissance lui suffisait !
Pas besoin de voir.
Le regard de la foi suffit !
  
A cause d'une promesse.
Reçue à la lumière d'une autre lumière.
N'est-ce pas cela, notre foi ?
Nous mettre sous une autre lumière, celle du Christ, qui nous invite à voir d'un autre regard… Autrement….
Par-delà, toujours,  la tyrannie des apparences et des évidences. 
Et tout est transformé.
Et elle nous invite ainsi à vivre, à notre tour, en pèlerin de lumière

Car recevant cette lumière,
Car reconnaissant cette lumière,
c'est nous qui sommes, désormais, appelés à être lumière pour et dans le monde.
Luc n'emploie que 6 fois le mot lumière dans tout son Evangile[1]
Nous n'avons pas le temps de regarder ces passages en détail, mais chaque fois, c'est en rapport avec l'homme, pour nous dire que désormais, c'est nous qui sommes appelés à être lumière, pèlerin de lumière dans et pour le monde.
Et Luc met alors en lien lumière et regard, et lumière et parole reçue. Il dit par exemple, parlant de la lumière qui doit éclairer et non pas être cachée : "et prenez donc garde à la manière dont vous écoutez"… (Luc 8, 18).

Car oui, la lumière nous vient de la Parole.
Car oui, nous chrétiens, c'est à cause d'une parole reçue que nous pouvons risquer sur le monde un autre regard ;
Car oui, nous autres chrétiens, c'est avec nos oreilles que nous sommes appelés à voir autrement, à la lumière d'une autre lumière : celle de la Parole de l'Evangile.

Mes sœurs, souvenez-vous de ce moment pendant les Laudes : plus d’électricité…
Cela empêchait certes de lire les psaumes mais cela ne gênait en rien  notre écoute qui illumine notre foi, car c’est bien d’une autre lumière qu’il s’agit…
Celle du Christ, celle qui nous est donné de discerner du cœur même de sa Parole.
Siméon le dit lui-même :
« Tu peux laisser tes serviteurs s’en aller en Paix, selon… ta Parole. »

* * *

Puis viennent ces mots terribles me semble-t-il, adressés à Marie :
« une épée traversera ta vie ».
Là, surgit dans notre imaginaire, immanquablement, l’image du calvaire.
La souffrance d’une mère devant la souffrance d’un fils.

Pourtant, je ne suis pas certain qu’il faille retenir cette lecture.
Car le mot grec employé ici est différent de celui qui désigne dans le Nouveau Testament  l’épée en tant qu’arme.
C’est ici un autre mot et qui est toujours employé dans le NT pour signifier la Parole de Dieu qui est "comme une épée acérée à double tranchant", nous dit l’Apocalypse, vient nous pénétrer, nous désarticuler, pour  nous réarticuler autrement.
Ainsi nous pouvons comprendre la parole de Siméon  autrement :
« il sera un signe de débat,  et la parole traversera ta vie, ainsi seront révélés les réflexions de bien des cœurs »
Oui,  cette parole vient nous traverser,
Oui cette lumière vient nous transfigurer,
Oui cette parole fait de nous des « porteurs de lumière »...
Pour illuminer, comme le disait  Zacharie, même ceux qui habitent dans l’ombre de la mort.

Car comme l’écrit  le P. Maurice Bellet :
«  La grande affaire, l’unique affaire est que le chemin ne se perde pas dans la ténèbre ; que se lève, au cœur même de la nuit, la lumière irrépressible que rien ne peut détruire".  
et il poursuit :
"Si Dieu est, il est en l’homme désormais ce point de lumière qui précède toute raison et toute folie et que rien n’a puissance de détruire. Peut-être alors que croire en Dieu consiste en ceci : Croire qu’en tout être humain existe ce point de lumière. »

Puissions-nous, nous aussi désormais, voir et vivre en "petits Siméon"
et qu’il nous en en soit ainsi, aujourd’hui, demain et jusqu’au seuil du Grand Passage.



[1] Luc 2, 32 / 8, 16 / 11, 33 et 35 / 12, 3 et 22, 56. 

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