mardi 19 juillet 2016

Malgré le drame qui frappe une fois de plus notre pays, et bien que cela puisse paraître dérisoire, je me résigne, suite à de nombreuses demandes, à mettre en ligne ma dernière prédication au temple du Mas des Abeilles, à l'occasion de mon dernier culte comme pasteur de Nîmes. 
Un immense MERCI à tous pour vos témoignes d'affection et de reconnaissance.


Dernier culte au MDA, 18 juin 2016
Psaume 84, v. 6.

Vous le savez, j’ai quelques facilités, dit-on,  pour la parole publique et plus particulièrement pour la prédication !
Pourtant, ceux qui me connaissent bien savent qu’il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de parler de moi, et de partager mes émotions.  Et puis, il me semble que le culte n’est pas le lieu pour cela. Je vais donc tenter de faire ce que je sais faire : prêcher.
Davantage même : car prêcher me constitue, prêcher est mon carburant intime, et ce qui donne sens à mon existence. 
Prêcher, c’est-à-dire tenter de partager une découverte et une expérience.

Découverte, car le texte biblique ne se donne pas à moi tel quel, dans je ne sais quel immédiateté ni évidence ; non, le sens se cache, il se tient là, tapi  au cœur des mots qu’il faut éplucher, des phrases qu’il faut disséquer, remettre dans leur contexte d’énonciation, et tenter de comprendre l’intention du rédacteur, il y a 2000, voire près de  3000 ans, et par-delà, tenter de percevoir l’intention de Dieu à travers ces témoignages humains qui sont comme le fourreau, la gangue de cette parole de Dieu qui nous appelle et nous interpelle.

Qui nous appelle à quoi ?
A être, tout simplement, être dans la confiance et la rencontre !

Qui nous interpelle vers quoi ?
« A être » autrement, autrement que dans la tyrannie des apparences et des évidences, autrement que dans le pouvoir et l’avoir, autrement que dans la compétition et la performance.

Une parole qui nous appelle à accepter d’être accepté, dans le don et le pardon.
Une parole qui est cette « lampe à mes pieds, qui éclaire mon sentier » comme j’aime à le dire à la fin de chaque lecture biblique. 
Je préfère cette formule à celle, plus traditionnelle, de nos aînés : « Ta parole, Seigneur, est vérité, sanctifie-nous par la vérité ». 
Je me méfie de cette formule, trop ambiguë selon moi.
Car elle tend à confondre le contenant et le contenu.
La parole, au sens des saintes écritures, n’est pas, pour moi, la vérité en soi.
Les saintes écritures en sont les témoins, les traces, autant de gangues et de fourreaux ; mais la Parole, celle de Dieu, la vraie, toujours nous échappe et c’est tant mieux, car cela ouvre alors pour nous l’espace de l’interprétation, où se joue notre liberté.
Christ seul est la vérité, et donc toujours celle-ci nous échappera, car toujours il nous échappe.
Et pourtant, dans le même mouvement où il nous échappe, il se donne, il se donne en se risquant à travers nos pauvres mots humains.
Et voilà qu’à travers eux se murmure quelque chose d’une parole divine, d’une bonne nouvelle, et voilà que ce murmure se fait lumière et peut illuminer nos sentiers.

On dit souvent que la Bible est inspirée, et je le crois bien en effet ; mais elle est inspirée parce qu’elle peut nous inspirer, c’est-à-dire nous insuffler cette puissance de vie qui si souvent nous fait défaut.
Elle est inspirée, parce que par elle, et à travers elle, le souffle de Dieu nous atteint et vient redonner souffle à nos vies trop souvent à bout de souffle.
Elle est inspirée, parce qu’elle soulève la poussière de nos souliers et nous donne de reprendre marche.
Elle est inspirée, chaque fois qu’à travers sa lecture, celui qui se tient devant elle y cherche avec ardeur et honnêteté une parole « pour lui », une parole qui le fasse vivre, en vérité.
Elle est inspirée chaque fois que l’esprit saint qui est en moi rencontre l’esprit saint qui plane, non pas sur la surface du texte, mais dans sa profondeur et sa complexité.

La vérité sera toujours le fruit d’une rencontre, rencontre entre l’intention d’un texte et la subjectivité d’un lecteur.
Et c’est pour cela que nos vérités seront toujours provisoires et éphémères, allant de rencontre en rencontre, de commencement en recommencement. 
N’oublions jamais l’avertissement de l’apôtre  Paul : "la lettre tue, mais l’esprit vivifie" (2 Cor. 3, 6)
La vérité, pas plus que Dieu, ne sont dans la littéralité du texte, jamais (cela, c’est le lieu de l’idole, et le lit de tous les  fanatismes), mais quelque chose de la vérité et d’une parole de Dieu s’offre à tout dans la rencontre avec l’esprit du texte.

Et cela implique un travail. 
Un travail de lecture, un travail d’interprétation. 
Un travail d’exégèse ; le prologue de l’Evangile de Jean dit de Jésus, au verset 18, qu’il est « l’exégète » de Dieu !
Et le pasteur, pour moi, est fondamentalement, lui aussi, cet exégète, cet interprète du Christ.
Prêcher, c’est tenter de partager les découvertes de mon travail biblique, de mon travail de lecture. 
Ni plus, ni moins.
Pas de travail, pas de prédication, en tout cas pas digne de ce nom. Il n’y a pas de secret ; ou plutôt si, c’est cela le secret : le travail biblique.
Et c’est cela que j’ai essayé d’être, au milieu de vous et pour vous : un interprète.

Mais j’ai dit en commençant: prêcher, c’est tenter de partager une découverte, celle que je fais du texte, et une expérience.

Et une expérience, car il faut que tout cela s’incarne. 
Car notre foi n’est pas d’abord une philosophie, ni une éthique, ni une suite de convictions, ni même de grands principes.
La foi est d’abord une manière d’être au monde, dans le saisissement de cette lumière.
Et cette expérience se vit, dans la rencontre avec les autres, bien sûr, je l’ai développé lors du culte à l’Oratoire le 29 mai.  
Mais cette expérience se vit aussi et peut-être même d’abord dans la prière.
Et c’est pour cela que j’ai retenu pour ce soir ce  psaume 84.
Parce que les psaumes sont au cœur de ma prière.
Luther, suivi en cela par Calvin, reconnaissaient tous deux dans le psautier le « miroir de l’âme », le meilleur « connais-toi toi-même » possible ; le trésor offert à la prière chrétienne[1].

Alors c’est avec quelques versets de psaumes que je voulais partager avec vous ce dernier culte.
Ce verset 105 du psaume 119 : « ta parole, seigneur, est une lampe à mes pieds, la lumière de ma route… », par lequel je scande toute lecture biblique au culte,  et puis ce verset 6 du psaume 84 : « Heureux les hommes dont tu es la force, des chemins s’ouvrent dans leur cœur »…

Une première remarque, tout d’abord : vous ne trouverez pas ces mots dans vos traductions… seul celle du psautier liturgique œcuménique donne cela[2]. Mais l’hébreu dit bien : « Heureux les hommes dont tu es la force, des chemins s’ouvrent dans leur cœur »…
Des « chemins » s’ouvrent. Comme le psaume 119 parlait de lumière sur « ma route ».
Car vivre, c’est se mettre en marche, à temps et à contretemps. 
Vivre est une route, un voyage, un cheminement.
L’homme de Nazareth est cet « homme qui marche », comme aime à le dire C. Bobin.
Et l’homme qui marche nous met en marche.
Pas seulement physiquement, mais d’abord et avant tout intérieurement.

Il ouvre dans nos cœurs des chemins.
Car c’est là d’abord que trop souvent nous sommes à l’étroit, ou pire encore, comme en « des culs de sacs », cernés partout d’incompréhension, de rancœur, de violence et de souffrance.
Et c’est là, là d’abord, que Dieu ouvre des chemins nouveaux, des chemins possibles ;
J’aime à citer ces mots du rabbin M.-A. Ouaknin :
« Tout tient au chemin : nous sommes plus près du lieu recherché quand nous sommes en chemin que lorsque nous nous persuadons être arrivés à destination et n’avoir plus qu’à nous établir.
Comme dit Edmond Jabès : n’oublie jamais que tu es un voyageur en transit.
[…] Etre homme (femme) du chemin, c’est en tout temps être prêt à se mettre en route : exigence d’arrachement, affirmation de la vérité nomade[3] ».

Et cela s’expérimente dans le secret de la prière, dans ces petits matins où se risque le silence pour se mettre à l’écoute de ce souffle divin qui veut rouvrir en nos cœurs fatigués des chemins.
Je souligne le pluriel : non pas « un » chemin, mais bien « des » chemins .
Car cette expérience du chemin ne saurait être univoque, monolithique, la même pour tous.
Elle se faufile au contraire au pluriel, dans la pluralité de nos existences, car elle se murmure au plus intime et au plus secret du cœur de chacun.
Christ seul peut dire, lui, au singulier :
« Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14, 6).

« Je suis le chemin, la vérité et la vie », dit l’Homme de Nazareth.
Car la vérité est cheminement, la vie est cheminement, la vie est cheminement de vérité, la vérité est cheminement de vie.
Voilà l’expérience qui est la mienne et que j’ai tenté de partager avec vous au long de ces 14 années passées parmi vous.
Tout s’est toujours enraciné dans le travail biblique et dans le secret de la prière, chaque matin, par le chant solitaire des psaumes. Miroir de l’homme et de la grâce.
Mais vous avez été, vous aussi, chacun d’entre vous, pour moi, miroir de la grâce, miroir de cette présence de Dieu, de ce souffle vivant et vivifiant.

A l’heure des changements, à l’heure où les violences partout se déchaînent, à l’heure où monte peut-être en nous la tentation de désespérer, à l’heure où le bruit des bottes, longtemps oublié, se fait à nouveau entendre dans les discours et les intentions de vote, à l’heure des arrachements et des larmes, restons, mon frère, ma sœur, fermement enracinés dans ce travail et cette prière.
Alors nous pourrons redécouvrir, émerveillés, qu’une parole nous attend et vient ouvrir dans nos cœurs de nouveaux chemins possibles,
Qu’une parole nous attend et nous appelle à être pèlerins de lumière, cheminots de la foi, dans la grâce et la paix que Dieu, sur la pointe des pieds, dépose au plus profond du cœur de chacun d’entre nous, sans se lasser jamais, aujourd’hui, demain et jusqu’en éternité.

Pasteur jean-François Breyne




[1] Par exemple, in Préface du psautier, Martin Luther, Œuvres, tome III, 1524, p. 266.
[2] Reprise également  par La Bible, Traduction officielle liturgique, Mame, 2013. 
[3] in Les symboles du Judaïsme, Editions Assouline, p. 28-30.