vendredi 27 novembre 2015

Méditation autour du Psaume 119, 88
le  27 novembre 2015

  « Fais-moi vivre selon ta bienveillance ».
En ces heures troubles, c’est cela qu’il importe, me semble-t-il, de proclamer haut et fort !
L’Etat nous demande de pavoiser nos maisons aux couleurs de la République, et c’est très bien.
Mais moi, je nous exhorte aussi et surtout à pavoiser nos cœurs aux couleurs de l’Evangile.
Car un risque grand, immense nous guette : celui de tomber dans la méfiance, dans la défiance… or on ne construit pas une société sur la méfiance et sur la défiance.
Les couleurs de l’Evangile, elles, ont pour noms confiance, bienveillance.
Ecoutons Dietrich Bonhoeffer qui parlait en des jours plus sombres encore que les nôtres : il disait que nous sommes appelés à être  "des enfants de la terre qui ne s'isolent pas,
qui n'ont rien à proposer pour amender la terre,
qui ne sont pas meilleurs que le monde,
mais qui veillent en commun, en plein centre du monde,
dans sa profondeur, sa banalité
et son assujettissement, mais qui ne quittent pas des yeux le lieu où ils perçoivent, dans l'étonnement, la rupture de la malédiction, le oui profond que Dieu dit au monde"…


Alors nous,  nous voulons seulement, humblement mais résolument,  être des guetteurs, des veilleurs qui témoignent d'un autre regard possible, pour proclamer, à temps et à contre- temps, qu'un autre regard sur le monde est possible, qu'un autre regard  sur toi,  sur moi, sur nous tous ensemble est possible,  celui de la bienveillance et de la confiance.
Le piège de la méfiance, de la défiance, c’est celui de nous faire tomber dans la séduction du bruit des bottes !
Ne confondons pas défiance et méfiance, qui sont des  vertus diaboliques,
avec vigilance et attention, qui sont, elles, des vertus spirituelles.
Ce dont le monde a besoin, lorsqu’il est plongé dans les ténèbres, ce n’est pas d’en rajouter une couche, mais il a besoin de témoins de lumière, de pèlerins de lumière.

« Alors la grande affaire, l’unique affaire est que le chemin ne se perde pas dans la ténèbre, que se lève, au cœur même de la nuit, la lumière irrépressible que rien ne détruira »[1].

« Si Dieu est, il est en l'homme ce point de lumière qui précède toute raison et toute folie et que rien n'a puissance de détruire. Peut-être alors que croire en Dieu consiste en ceci : croire qu'en tout être humain existe ce point de lumière »[2].




[1] Maurice Bellet, in Dieu, personne de l'a jamais vu, 2008, Albin Michel, p. 72.
[2] Maurice Bellet, in Dieu, personne de l'a jamais vu, 2008, Albin Michel, p. 95. 

mardi 24 novembre 2015


Suite aux événements du 13 novembre... 

Il est des heures de nos existences
où nous sommes sans voix.
Ne sachant plus que dire.
Il est des heures
où il n'y a plus de mots pour dire l'innommable,
le scandale de l'injustice,
l'abîme de la souffrance qui s'ouvre sous nos pas.

Oui, aujourd'hui, 
il n'y a pas de mots pour dire l'incompréhensible,
l'insensé, l'horreur devant la barbarie la plus aveugle. 

Pourtant, pour nous chrétiens,
lorsque les mots nous manquent,
vient résonner une parole qui ne vient pas de nous,
Mais de plus loin, de plus profond,
qui surgit des pages du Vieux Livre… 
et à cause d'elle nous pouvons risquer les mots de la prière. 

Celle qui suit a été réalisée et adressée à Dieu le 16 novembre 2015 par les représentants nîmois des cultes juifs, chrétiens et musulmans au lendemain de l'horreur. 



Prière commune 

Notre Dieu, Dieu de bonté et de miséricorde,
Ton amour est pour tous les hommes :
Nous implorons ta grâce sur les familles éprouvées.
Daigne accueillir auprès de toi ceux que la folie et la mort ont fauchés,
Nous te les remettons avec confiance.
Donne force et courage à tous les blessés.
Soutiens-les dans leur combat, eux, et leurs proches.
Éclaire nos autorités et  tous ceux qui œuvrent pour la justice.
Protège notre pays et tous ceux qui, de par le monde, s’affrontent à la guerre, à la souffrance et à la terreur.
Ramène  ceux qui s’égarent sur les chemins de la violence. 
Guide-nous dans les jours à venir.
Ne nous permets pas de tomber dans la haine et le désespoir.
Fais de nous des artisans de paix et des Témoins de ta lumière ;
Nous qui, ensemble, te confessons non comme un dieu assoiffé de sang, mais comme un Dieu de paix et d’amour,
Aide-nous à construire la fraternité.
AMEN.


jeudi 1 octobre 2015


Psaume 78, 1 à 7  et Galates  4, 1 à 4 
Culte de rentrée le 19 septembre 2015, au temple du Mas des Abeilles 

Transmettre !
Ce que l’on a reçu.
Car nous sommes tous le fruit de ce que  nous avons reçu.
Nous sommes tous un patchwork, un kaléidoscope, un puzzle de ce que nous avons reçu et que nous avons recomposé à notre façon.
Et que nous recomposerons encore, car la vie, les événements ne manqueront pas de faire voler, parfois, tout cela en éclats et alors il faudra refaire le puzzle…
L’âge, les souffrances, les deuils mais aussi les joies, les naissances, les rencontres vont reconfigurer la forme des pièces et proposer de nouveaux assemblages.
Mais quelque chose demeure, quelle que soit la recomposition, la reconfiguration des pièces.
Quelque chose demeure, comme une trame invisible de nos puzzles humains
Et c’est ce quelque chose que nous devons transmettre.
Pas l’ordre des pièces,
pas leurs couleurs,
pas même leurs formes,
Mais cette volonté de les faire tenir ensemble.
Cette volonté même de ne pas laisser s’éclater le puzzle.
Cette volonté même de sentir, de pressentir que cela peut prendre sens, que cela peut prendre forme, parce qu’un Autre le veut pour nous et ne se résigne pas à une vie émiettée.

Qu’est-ce que nous avons reçu et que nous voulons transmettre aux enfants de nos enfants afin qu’à leur tour ils le disent à leurs enfants ?
Une promesse !
Une Parole qui vient redonner sens à nos vies souvent insensées ;
Souffle à nos vies souvent à bout de souffle.
C’est d’abord cela la force d’une Parole qui ne vient pas de nous, qui nous précède et qui nous traverse et qui nous donne la force de refaire le puzzle jour après jour.
Cela,  en effet, nous ne pouvons le réaliser seul.
Nous avons besoin des autres, nous l’avons vu.
Mais surtout, nous avons besoin de cette Parole qui nous dit :
-         Allez,  donne un  sens à toutes ces pièces éparses.
-         Allez, vas-y encore et encore.
Oui, c’est cela d’abord que nous voulons transmettre,  c'est-à-dire en être les témoins.
Une parole qui vient  re-brasser les cartes de nos existences.
Une parabole : « notre vie ressemble parfois à la vitrine d’un bijoutier qui aurait  été visité par un plaisantin qui se serait amusé à mélanger les étiquettes indiquant le prix des différents articles. Si l’artisan ne se hâte pas de remettre de l’ordre dans sa devanture, il va au-delà de graves difficultés. … nous aussi il nous fait prendre le temps d’écouter l’Evangile afin d’entendre une Parole susceptible de remettre de la foi dans nos choix, de l’amour dans nos discours, et de l’espérance dans nos existences. Bref une parole qui fasse tourbillonner les étiquettes de notre devanture et qu’elle les dépose chacune à sa juste place[1]».
Il faut qu’une Parole nous dise :
-          Non, ce n’est pas cela la vie, tu peux être autre chose.
-     Tout seul, tu ne peux rien mais avec les autres et par la seule force de la Parole reçue,  alors tout devient possible.

La première chose que nous voulons transmettre, eh bien c’est ce souffle !
Cette parole qui est souffle !
Et qui permet de remettre les étiquettes à leurs bonnes places.
Mais il y a une deuxième chose que nous avons reçue et que nous voulons transmettre :
                   Lecture de Galates 4/4
Car cette Parole nous délivre !
De tous nos esclavages.
Une Parole qui est une promesse et un horizon offert, ouvert :
-        Tu n’es pas esclave mais fils, fille. Et comme fils, fille, tu es aussi héritier.
Voilà l’horizon.
Voilà l’orient.
Voilà le but de la marche : Nous libérer de tous nos esclavages et nous donner de nous découvrir fils, fille de Dieu.
Fils, fille de la vie ; de l’appel de la vie à la vie.
Libérés, parce que fils, fille.
Et être fils, fille, cela ne se conquiert pas ; cela ne s’achète pas ; cela ne se décide pas :
Cela se reçoit dans l’étonnement d’une naissance !
Et c’est cela, l’incroyable : Il y a en nous cet acquiescement, ce oui de Dieu, cette adoption fondamentale.
Nous, nous n’avons qu’à l’accepter et en vivre.
Oh ! il faudra toute une vie pour cela, mais peut-être est-ce justement cela,  vivre :
Apprivoiser cette incroyable nouvelle : Je suis, tu es enfant de Dieu.
Non plus esclave,
mais fils, fille et comme tels héritier de la vie.
C’est là l’œuvre de Dieu.
C’est cela ce que nous voulons transmettre.
C’est de cela que nous voulons témoigner.
Et si la vie, parfois, s’acharne sur toi,
et si le puzzle de ton existence semble avoir volé en éclats, n’oublie pas :
Dieu, lui, s’en vient souffler sur toutes les pièces pour t’aider à les remettre en place.
Dieu, lui, te le redit sans cesse :
-        J’ai envoyé dans ton cœur, l’esprit de mon fils qui crie en toi : Abba,  Papa.
                                               Amen


                                                       



[1] D’après Antoine Nouis, in La galette et la Cruche, p. 80. 

mercredi 16 septembre 2015

Edito de rentrée



« Voici, je fais toutes choses nouvelles ! »
Ainsi quasiment se termine notre Bible, puisque nous lisons ces mots à l’avant dernier chapitre du dernier livre du Nouveau Testament, l’Apocalypse (chap. 21, v. 5).
« Voici, Je fais toutes choses nouvelles ! »
Mais ici, un piège nous guette : celui de croire que toute chose nouvelle serait bonne en soi, comme si parce que maintenant je le peux, cela veut dire que je le dois. Non, bien sûr que non. Tout ce qui est nouveau n’est pas forcément bon, et le discernement ici doit s’appliquer, comme toujours d’ailleurs.
Mais ce verset pose un autre problème, car à bien y regarder, il est tout simplement… faux. Car quoi de neuf, en vérité, sur terre ? Surgit alors de ma mémoire une autre affirmation biblique venue cette fois du vieil Ecclésiaste qui affirme qu’il n’y a « rien de nouveau sous le soleil » (Ecc. 1, verset 9). Et c’est vrai que la haine, la violence, l’envie, la souffrance sont toujours là, pareilles à elles-mêmes, comme si la vie et l’histoire n’apprenaient rien à l’humain.  Alors, que faut-il choisir, le pessimisme réaliste de l’Ecclésiaste, ou l’optimisme utopique de l’Apocalypse ?
Mais si l’ultime piège résidait justement là, dans le fait de vouloir choisir entre ces deux voix ?
Et si au contraire nous retenions les deux ensemble ?
L’une tempérant l’autre tout en l’enrichissant ?
A mieux y regarder, l’Apocalypse ne nous dit pas que d’un coup de baguette magique, surgirait une réalité nouvelle, mais davantage que dans chacune de nos réalités, s’offrent des potentialités nouvelles.
« Voici, Je fais tout chose nouvelle », c’est, au cœur même de nos réalités parfois bien closes sur elles-mêmes, une fenêtre ouverte sur un autrement possible.
Sur un avenir possible, à bâtir ensemble, avec l’aide de Celui-là seul qui peut dire je fais toute chose nouvelle : de la vie, au milieu de la mort ; des sourires, au milieu des larmes ; le pardon, au milieu de la haine ; la confiance, au milieu de la méfiance, de la paix, au milieu de la violence ; de la lumière, au milieu de la nuit de la souffrance.
Voilà ce que Dieu veut pour chacun d’entre nous.
Et pour tenir cela, il nous faut oser vivre en funambule de la foi, dans une recherche constante de ce qui sera le plus juste, non pas seulement au sens moral, mais au sens musical du terme, ou encore au sens qu’il a en menuiserie lorsqu’une pièce s’ajuste bien aux autres. Un des grands principes de la Réforme est ecclesia reformata semper reformanda : Eglise réformée en constante réformation.
Pour cela il importe de prendre parfois des décisions qui se risquent, sans autre garantie que celle d’avoir cherché à être le plus juste. C’est peut-être seulement cela qui nous est demandé.

Alors bonne rentrée, bon ajustement, et que de chacune de nos existences Dieu fasse des vies renouvelées. 

lundi 31 août 2015


Prédication donnée au GT,
le 23 aout 2015, 
autour du psaume 91 et de Matth. 10, 5-24

Quel bien drôle de bestiaire, mes amis, nous propose l’Evangile de Matthieu ce matin !
Des moutons et des loups, des serpents et des colombes !
Nous rappelant ainsi chemin faisant une bien triste vérité, que souvent « l’homme est un loup pour l’homme » !
Le chrétien, lui, devrait être du côté des brebis, des colombes et des … serpents ?!
Surprenant, non ?
Le chrétien, prudent[1] comme un serpent. 
Le mot grec ici employé (phronimosfronimoV) se traduit par habile, sage, voire rusé[2], et ne se trouve que 4 fois[3] chez Matthieu, et toujours connoté positivement :
-        Celui qui bâtit sur le roc (7, 24)
-        notre péricope de ce matin (10, 16)
-        Le serviteur fidèle et habile (24, 45)
-        La parabole des vierges sages (habiles), littéralement : les vierges rusées !
Rusé comme des serpents, donc !
C’est-à-dire, à l’image de ces vierges dites sages, mais qui sont folles en vérité,  dans la folie de l’attente  de ce qui vient. Car n’est-ce pas les rusées de la parabole qui, en vérité, sont folles ? Elles sont folles, car contre toute attente, elles ont prévu double ration d’huile, au cas où … restant ouvertes à l’imprévu, à ce qui vient, à ce qui survient, malgré nous… et si c’était cela la foi ?
Mais revenons à notre texte :
Comme déjà dans les versets qui précèdent, l’Evangile nous prend à contre-pied de toutes nos valeurs humaines, puisqu’il intègre l’échec et le malheur à sa mission elle-même : « Si l’on ne vous accueille pas, et si on ne vous écoute pas… ».
Nous, nous croyons souvent que la réussite est la mesure de nos efforts.
Mais voilà, devant Dieu, il n’en est rien !
La souffrance et l’échec sont ici posés comme le lieu même de notre humanité et le lieu où se vérifie notre foi !
C’est tout notre regard sur l’échec qu’il nous faut apprendre à transformer ! Trop souvent, nous voyons l’échec, et singulièrement l’échec de la mission, comme le signe d’un péché, d’un manque de foi et de persévérance : « je n’ai pas fait ce qu’il fallait »!
Oui, mais, voilà qu’il arrive que parfois, nous ayons tout fait, et même un peu plus, et que pourtant, cela échoue !
Car il en va ainsi de notre humaine condition : des échecs, il y en a, dans la vie des hommes, et il y en aura encore !
Nous venons de lire au psaume 91 « les anges te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres » (v. 12), oui mais voilà, il faut que nous osions le dire : ce n’est pas vrai. Cela n’est pas même possible !  Ni même souhaitable en Christ ! Ou bien les serviteurs seraient-ils plus grand que le Maître ?  (cf. le  verset 24 de notre évangile de ce matin)
Non, ma Sœur, mon Frère, mon pied (et le tien aussi !) souvent encore la pierre heurtera, et la foi, ce n’est pas un coup de baguette magique qui viendrait supprimer les pierres du chemin, la foi, c’est que la chute n’ait pas puissance de m’empêcher de me relever !
La foi, c’est que, malgré la pierre que heurte mon pied, il me soit donné de pouvoir me relever, de ressusciter, et de reprendre route, boiteux, tel Jacob au gué du Yabboq (Gn. 32, 32), mais vivant et plus riche alors, car je crois que l’on apprend, en vérité, que de ses échecs !
Oui, l’échec fait partie de ma dimension d’humanité, et donc aussi de tout chemin de foi !
De cette foi qui ne nous épargne rien, mais qui, en Christ change tout, et transforme jusqu’à l’échec lui-même, en une expérience et en une puissance de vie renouvelée.
Oh, il n’est pas nécessaire de provoquer, par je ne sais quelle ascèse mal comprise, ces échecs et les souffrances qui en découlent : la vie s’en charge très bien elle-même, et parfois cruellement :
-        « frère contre frère », nous dit notre texte,
-        « père contre fils »,
-        « enfants contre parents » !
Oui, des échecs il y en a, et il y en aura toujours dans la vie des hommes.
Allons-nous nous laisser submerger ?
Tous seuls, à la seule force de nos petits bras musclés, il y a fort à parier que nous n’y parviendrons-pas !
Alors que faire ?
Faut-il désespérer ?
Qu’y a-t-il à dire, lorsqu’il n’y a plus rien à dire ?
Et là, très exactement là, surgit l’impensable :
-        « Ne vous inquiétez pas de ce que vous direz : l’Esprit de votre Père parlera en vous (v. 20).
Ne vous inquiétez pas de ce que vous direz ! Parfois, il n’y a plus rien à dire en effet !
Mais une parole autre, une autre parole, venue d’ailleurs, de très loin, de Dieu lui-même, s’en vient redonner sens à nos existences.
Le malheur, l’échec et la souffrance n’ont pas le dernier mot, car  une autre parole  nous est donnée : Parole de vie, Parole vivante et vivifiante qui s’en vient nous retourner en chemin de vie et nous redonner le goût de la Parole ; Parole qui vient redonner souffle à nos vies à bout de souffle !
Et cela ne vient pas de nous, mais de Dieu !
La ruse du chrétien consiste à rester attentif à cette parole qui vient, qui survient toujours lorsque nous ne l’attendions plus !
Reste une attente, un désir, et cela suffit.
Oui, notre foi ne nous épargne rien, mais le Christ survient et lui s‘en vient nous labourer et nous retourner en chemin de vie.
Une image, que l’évangile nous donne : « Si l’on ne vous accueille pas, et si on ne vous écoute pas… alors poursuit la route, et secoue la poussière de tes sandales », c'est-à-dire :
-        Ne laisse pas l’échec te coller au sol,
-        reprends la route,
-        continue le chemin.
C’est la seule réponse à apporter.
Ne laisse pas le malheur empêcher ta marche.

Bien sûr, tout seul, je ne peux rien faire.
Mais avec Lui, nous tiendrons des paris impossibles.
En restant persévérants dans cette écoute, cet accueil, cette ouverture à ce qui vient, survient, même lorsque nous ne l’attendons plus.

Une parabole pour finir :
Un petit matin dans le silence de la prière…
D’abord, c’est le bruit du monde, de la  ville, au loin : voitures, autoroute, peut-être les poubelles qui passent.
Et puis le bruit s’estompe et je perçois des gémissements, des cris. Je sais d’où ils viennent, de la maison de retraite,  dont je suis le voisin ; C’est le bruit de la souffrance de l’homme qui fait aussi écho ainsi à la mienne parfois.
 Et je me dis :
-        Comment commencer ainsi la journée ?
Et puis les gémissements s’estompent.
Et derrière le silence retrouvé surgit d’un coup le chant d’un oiseau dans le petit matin.
Et il y va l’animal sur sa branche !
Et là, sur cette voix, je peux m’appuyer et me relever.
Et grâce au chant de l’oiseau commencer ma journée dans la confiance et l’espérance.

Qu’il nous en soit ainsi.

             Pasteur Jean-François Breyne




[1] Terme retenu par de la Nouvelle traduction liturgique.
[2] La LXX, en Genèse 3, et parlant d’un autre serpent ( !) traduit le mot hébreu haroum - rusé, par notre phronimos !!!
[3] Et d’ailleurs seulement 2 fois chez Luc, dans les parallèles du serviteur fidèle, chapitre 12 et 16. Puis plus aucune autre occurrence dans les évangiles. 

samedi 18 juillet 2015

Prédication lors du "Culte Gospel" du 21 juin 2015,
au temple de l'Oratoire. Marc 4, 35 à 41.


Des tempêtes il y en a, dans la vie des hommes ;
Des tempêtes il y en eut,
Des tempêtes il y en aura encore, dans la vie des hommes.

Lorsque les vagues du chagrin et de la souffrance viennent se jeter  sur notre barque,
Lorsque les vagues de l’intégrisme et du fanatisme viennent se jeter sur notre barque,
Lorsque la folie raciste, meurtrière et imbécile vient se jeter contre notre barque,
Lorsque la faim et la guerre viennent jeter des barques remplies d’assoiffés contre nos rives…
Oui, des tempêtes il y en a, dans la vie des hommes…

Peut-être même que la vie humaine n’est qu’une vaste traversée de tempêtes ?
Et la première constatation qui s’impose, c’est que notre foi elle-même n’y peut rien, dans un premier temps.
Car il  faut que nous le sachions :
Notre foi ne nous épargne rien :
Ni la souffrance, ni les deuils, ni les vagues de la fureur du monde qui viennent nous briser en fureur ou  en silence, c’est selon…
Et oui, si souvent, trop souvent, Christ semble bien dormir, sur son coussin, nous laissant seul avec nos peurs et la fureur des flots…

Seconde constatation. Les tempêtes ne sont pas d’aujourd’hui.
Elles sont de toujours.
La tentation souvent est grande d’accuser notre temps d’être pire qu’hier… et de dire que tout fout le camp…
Mais il n’est que de relire notre vieille Bible pour voir que c’est de tout temps que tout fout le camp… depuis la création même du monde.
Car des tempêtes il y en a, dans la vie des hommes ;
Des tempêtes il y en eut,
Des tempêtes il y en aura encore, dans la vie des hommes.

Et là, devant tant de fureur des flots déchaînés, là, toujours, surgit la peur. Et ce sera mon 3ème point.
Notre peur devant ce monde que nous ne parvenons plus à comprendre,
Notre peur devant cette foi elle-même que nous ne parvenons plus à comprendre,
Notre peur devant ces deuils qui nous ravagent en silence…
Oui, comme le dit admirablement le pasteur Dietrich Bonhoeffer,
La peur est dans le bateau ! pourtant, poursuit-il, « la Bible, l’Evangile, le Christ, la foi sont comme un cri de guerre contre la peur ! La peur est l’ennemi originel.
Elle est installée au cœur de l’homme ; elle le mine, jusqu’à ce que sa résistance et sa force s’écroulent. Tous les liens qui relient l’homme avec Dieu et avec autrui, elle les ronge …
Tout d’un coup il ne voit et n’entend plus rien, il ne peut plus ramer, une vague l’entraîne, et comme pour un dernier appel au secours, il s’écrie : « qui es-tu, inconnu, dans le bateau ? » Et celui-ci répond : «  je suis la peur ».
Mais alors, c’est comme si les cieux se déchiraient, comme si les légions célestes elles-mêmes entonnaient le cri de victoire : NON ! Christ est dans le bateau !
Christ est dans le bateau !
À peine ce cri a-t-il été poussé, et entendu, que la peur s’en va, les vagues reculent, la mer devient calme, et le bateau vogue sur une mer paisible.
Christ est dans le bateau[1].

Christ est dans le bateau.
Même  s’il dort : Christ est dans le bateau.

Voilà l’Evangile. Voilà la bonne nouvelle.
Et tout redevient possible.
La traversée peut reprendre.
Parce que nous savons que X est dans le bateau.
Même s’il dort !
Alors, si des tempêtes il y en a, dans la vie des hommes, elles sont aussi l’occasion de redécouvrir, émerveillé, que nous n’y sommes pas seuls, mais que X est dans le bateau.
Il y a d’ailleurs, au début de notre récit, plusieurs barques, et puis la focale se resserre sur la barque qui s’affronte à la tempête, où pourtant Christ est dans le bateau…
Mais je voudrais encore évoquer pour finir une question, une question toute bête :
Que vient faire ce coussin dans récit de la tempête apaisée?
Le texte nous dit : « il (le Christ) dormait à la poupe, sur un coussin ».
Le mot grec ici employé n’apparaît nulle part  ailleurs dans tout le NT.
Que vient donc faire ce coussin, alors que nous pouvons lire d’autre part que le Christ n’avait pas de quoi reposer sa tête, pas même une pierre ?
Un coussin. Sur une barque de pécheurs pauvres, il y a 2000 ans ?
Un coussin, dont Jean Valette dira, dans son commentaire sur Marc :
«  Le sommeil, relativement confortable du Maître, tranche ironiquement sur l’agitation des eaux et celle des disciples[2] ». J’aurais tellement aimé poursuivre cette discussion avec Jean.
Alors laissez moi la poursuivre un instant encore avec vous :
Et si la mention du coussin était là pour dire le repos possible, fût-ce au cœur même de la tempête ? La tendresse dans la barque, le repos promis, le repos offert, parce que Christ est dans le bateau, et qu'en son absence il nous reste le coussin ?
Jean m’aurait sûrement demandé s’il n’était pas un peu rembourré de pélous, mon coussin...

Alors puissions-nous être de ceux qui osent reprendre la route, fût-ce au cœur même de la tempête, par la seule grâce d’un coussin laissé là comme par hasard...


Jean-François Breyne



[1] Extrait d’une prédication de Bonhoeffer, in Si je n’ai pas l’amour, Genève, 1972, Labor et Fides, p. 26-27-28.

[2] In L’Evangile de Marc, commentaire T. I, Les Bergers et les Mages, p. 125.

vendredi 17 juillet 2015

Château de Saint Privat, le dimanche 14 juin 2015
Journée d'Eglise de Nîmes. Lecture de Néhémie 8, versets 1 à 12.

587 avant Jésus Christ.
C’est la chute de Jérusalem,
C’est une catastrophe !

Le monde semble s’arrêter de tourner et c’est comme si jamais le soleil ne se lèverait plus…
Exil, déportation, le temple est détruit…
C’est la fin d’une histoire.
Serait-ce la fin d’un peuple ?
Non.
C’est le début d’une nouvelle histoire, l’invention de quelque chose de nouveau, et qui  durera longtemps, jusqu’à aujourd’hui.

Année - 538 ; Cyrus, nouvel empereur perse, est le nouveau roi du monde. Et, à l’étonnement général, lui le païen, va autoriser la reconstruction du temple de Jérusalem, après avoir autorisé le retour des exilés, après 50 ans de captivité, soit 2 générations.
Conduit par Zorobabel, le nouveau roi d’Israël et les prophètes Josué et Aggé, le peuple va entreprendre la reconstruction du temple, après avoir relevé les murailles de la ville.
Puis vint cet évènement que nous venons de lire !
Lire, justement.
Car c’est la première lecture du livre de la Loi,
première lecture publique,
première lecture solennelle,
première apparition d’un couple de mots : Livre de la Loi.
Littéralement : sepher thora ; rouleau de la loi.
Car que s’est-il passé pendant cinquante ans ?
Le peuple privé de ses rois, de ses prêtres, du centre de la foi qu’était Jérusalem et son temple, le peuple s’est demandé :
Comment tenir ?
Comment tenir bon ?
Comment rester fidèle aux commandements ?
Qu’est qui fera centre, point axial ?
Réponse : 
    -   Notre histoire. Et la Parole même de notre Dieu qui a traversé  notre histoire.

Alors, on recueille  les textes sacrés. 
On compile, on tisse ensemble des traditions jusque-là éparses, déjà écrites ou encore orales.
Et là, au creuset de la déportation, au creuset de l’exil, naît le Sepher Thora, le livre de la Loi.
Et rentrant à Jérusalem, que va-t-on en faire ?
N’était-ce qu’une étape ?
Non !
Il deviendra, avec le temple reconstruit, le cœur du cœur de la fidélité juive.

Deux noms émergent de cet épisode :
Esdras et Néhémie.
Deux scribes, deux lettrés qui vont poser désormais et à jamais au cœur du judaïsme le livre comme étant la  référence ultime, le ressort secret de toute la foi désormais.
Et on invente le premier culte…
Tout y est : La chaire, l’estrade, le peuple assemblé, même l’heure : du matin au milieu du jour.
Premier enseignement, chemin faisant : de la crise la plus ultime, la destruction du temple et la déportation, va naître le joyau le plus précieux de nos vies : Le Livre ;
Le Livre de la Loi ; Le premier testament.

Parabole pour  notre foi
Et si nous changions de regard ?
Et si les temps de crise, de bouleversements radicaux pouvaient aussi être les creusets pour reconstruire et découvrir ce qui est au centre et ce qui fait sens véritablement ?
Non plus seulement des pierres, fussent celles du temple de Jérusalem ou de nos temples à Nîmes, mais bien une Parole pour donner sens à tout cela !
Mais surgit une question redoutable : 
    -  Peut-on vivre selon les livres ?
    -  Le livre n’est-il pas toujours quelque chose qui risque de se figer ?  De nous figer ?
Et au lieu de nous remettre en route, de nous arrêter ?
Et au lieu de nous relever, de nous écraser ?

Trois petits verbes  viennent irriguer le récit :
Lire
-        Expliquer
-        Comprendre
Le tryptique des bons rapports au livre peut-être…
Lire !  Il faut lire et relire ensemble.
Mais il faut aussi expliquer car attention au piège de l’immédiateté !
Attention que le livre ne devienne notre ultime idole : « C’est écrit, c’est comme cela » !
Pas si simple en vérité…
C’est écrit,  mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Ou plutôt qu’est-ce que cela voulait dire ?
Et qu’est-ce que cela veut me dire, veut nous dire, à nous ce matin ?

Il me faut expliquer : expliquer se dit  parach en hébreux, verbe rare qui signifie littéralement : Eclairer le texte ; Le clarifier ; Rendre distinct. La racine est la même que pour le mot de :  cavalier !
Ainsi, Lire comme on monte en selle, chevaucher les mots pour se laisser emporter par eux, mais attention de ne pas se faire désarçonner, et de vider des étriers…

Et le troisième mot, c’est comprendre. Le mot revient de nombreuses fois dans notre récit…
Comprendre. Car il ne suffit pas de lire, fût-ce même clairement. Encore faut-il comprendre. 
Le mot hébreu est  bin qui signifie : Apercevoir, distinguer, comprendre, être sage, expliquer, construire
De sorte que tout est là, tout est là dans ce « travail de l’interprétation », dirait-on aujourd’hui…
    -  Peut-on vivre selon les livres ?
Non, si j’en fige la lettre !
Oui, si je les travaille et me laisse travailler par eux…
On dit souvent que nous sommes la religion du livre :
Et bien, Oui et non !
Non, car en fait nous sommes une religion de la parole.
C’est la parole qui fait vivre.

Oui, car la parole surgit du vieux livre.
Elle se tient là, cachée parfois, tapie au cœur des vieux mots usés ; mais elle est là et peut faire ressort au plus profond de nous-mêmes.
Et surgit alors la grâce de pouvoir appuyer nos  propres mots, notre propre parole - si souvent, trop souvent maladroite, malheureuse, malhabile - nous pouvons appuyer nos paroles, dis-je, à une autre Parole,  qui vient redonner sens à nos vies insensées, qui veut redonner souffle à nos vies à bout de souffle.

Luther dit que la Bible, ce livre est comme le berceau de joncs qui portait Moïse sur les eaux… Le livre est l’écrin, le fourreau d’une parole qui nous attend. Je dirais : La Bible est le lieu du rendez-vous avec la Parole.
C’est là qu’elle nous y attend,  pour nous transformer et nous retourner en chemin de vie.
Mais encore, faut-il pour cela prendre le risque de lire, d’expliquer et d’interpréter, comme le musicien interprète sa partition  et nous donne d’entendre la musique qui sinon serait restée lettre morte.

Esdras, Néhémie, deux noms d’hommes.
Première lecture du livre de la Thora.
Refondation du judaïsme et de Jérusalem.

Mais attention, ici surgit un piège : l’ultime !
Celui du fondamentalisme,
De la lecture littérale,
De l’explication partisane,
De la compréhension fermée et exclusive.

Car Esdras, c’est aussi une sorte d’inquisiteur, de taliban avant l’heure !
C’est l’inventeur de la purification ethnique…
Car pendant cinquante ans, certains s’étaient mariés avec des païennes,  des non juives… Que dit alors Esdras :
    -  renvoyer les femmes étrangères,
    -  renvoyer vos bâtards ! (cf.  Esdras 9 et 10 )

En fait, Esdras n’est pas un personnage très sympathique.
Il représente le piège même de sa lecture publique :
une lecture fermée, excluante, condamnante.

Face à Esdras, c’est une figure de femme qui va se dresser pour dire qu’une autre lecture est possible, une autre compréhension possible :
Ruth. La moabite.
Et face à Néhémie cela sera  Noémi, une autre femme.
Même si l’histoire de Ruth se passe 500 ans avant le retour de l’exil, les exégètes nous apprennent que le livre fut rédigé au retour d’exil, en même temps que celui d’Esdras et de Néhémie.
Que nous dit le livre de Ruth ?
Que cette femme, cette fille de Moab, ennemi héréditaire d’Israël, peut devenir la croyante par excellence, exemple même de la fidélité dans la foi, et l’arrière-grand-mère de David.
Rien que cela !

Ainsi : Retour d’exil ; période de crise et de reconstruction.
Deux théologies s’affrontent à travers deux livres, et deux figures : Esdras et Ruth.
Une compréhension fermée et restrictive de l’alliance, 
ou une compréhension ouverte et englobante de l’alliance !
Conflits des interprétations, déjà.
L’évangile tranchera pour nous le débat, donnant raison à Ruth et à la femme…

Et nous, de quelle lecture vivons-nous ?
Sur quelle parole pouvons-nous  appuyer nos paroles ?
Je vous laisse pour terminer ce texte de Christian Bobin[1] : 
« Que des millions d’hommes se soient nourris de son nom, qu’ils aient peint son visage avec de l’or, fait retentit sa parole sous les coupoles de marbre, cela ne prouve rien quant à la vérité de cet homme. On ne peut accorder crédit à sa parole en raison de la puissance historique qui en est sortie : Sa parole n’est vraie que d’être désarmée. Sa puissance à lui, c’est d’être sans puissance, nu, faible, pauvre-mis à nu par son amour, Affaibli par son amour, Appauvri par son amour. Telle est la figure du  grand roi d’humanité, du seul souverain qui ait jamais appelé ses sujets un à un, à voix basse de nourrice. Le monde ne pouvait l’entendre. Le monde n’entend que là où il y a un peu de bruit et de puissance. L’amour est un roi sans puissance, Dieu est un homme qui marche bien au-delà de la tombée du jour »…

Pasteur Jean-François Breyne.




[1]
                    [1] Christian Bobin, l’homme qui marche, 1995, le temps qu’il fait, p.22-23