mardi 29 avril 2014

Jean 20, 1 à 18, Pâques 2014, Mas des Abeilles et Oratoire


Une fois encore, nous le chantons, nous le proclamons : Christ est ressuscité. C'est, nous le savons, le cœur même de notre foi ; c'est la "pointe" sur laquelle tout repose, et pour nous pas seulement la foi, mais toute vie, toute chose… et une vie peut se retourner autour d'une pointe d'aiguille…

Et pourtant, c'est peut-être dans le même temps le plus difficile à interpréter, à entendre, à vivre… car ce qui est au cœur des choses est souvent bien caché, tel un ressort secret, impossible à analyser, à expliquer, à décrire.

Le piège se situe peut-être là, d'ailleurs : 
entendre ces récits comme s'ils nous décrivaient ce qui s'est passé…  Jean Zumstein le grand exégète du 4ème Evangile, le déclare :
« L'évangile de Jean n'est pas à lire comme une intrique dramatique, qui nous rapporterait ce qui s'est produit de façon chronologique, comme un reportage de ce qui s'est passé ;
non, le 4ème évangile se présente comme une "intrigue thématique", et l'intrigue du chapitre 20, ce n'est pas tant  la résurrection du Christ  que ce qu'il appelle  la naissance de la foi pascale »[1]
Car ce qui court tout le long de ce chapitre, c'est la question de la foi,
Dans  la relation entre le voir et le croire !

Voir ou ne pas voir, telle est la question… de la foi !
Voir. Le verbe voir structure et parcours tout ce récit johannique.

Le premier voir de Marie de Magdala, en arrivant au tombeau devant la pierre roulée,  n'aboutit pas puisqu'il s'épuise dans l'idée du déplacement de la dépouille.
Ce voir suscite néanmoins le vouloir-voir de Pierre et de l'autre disciple ;
Pierre voit (avec un autre verbe en grec) mais ne voit…rien !
L'autre disciple, celui que Jésus aimait, entre,
voit et croit !
Mais qu'a-t-il vu ???
Rien !
Rien que le tombeau ouvert, et les traces d'une présence :
les bandelettes !

Marie revient en scène et voit à nouveau dans le tombeau, cette fois deux envoyés vétus de blanc et qui parlent : en fait, elle voit… une parole !

Enfin, elle voit Jésus lui-même, mais sans pouvoir le reconnaître pourtant (elle le prend pour le jardinier)…

Ce qui va provoquer la foi, c'est encore et toujours une parole, celle de Jésus lui-même…
Viendra enfin, dans les versets qui suivent, la rencontre entre Thomas et Jésus qui aboutira à cette phrase tant de fois entendue :
Bienheureux ceux qui ont cru sans avoir vu !
Et là, la tête nous tourne :
Il vit et il cru … pour le Disciple Bien Aimé…
Et puis quelques versets plus tard pour Thomas:
Bienheureux ceux qui ont cru sans avoir vu !
Alors, il faut savoir : voir ou ne pas voir ???
Ces derniers mots  de l'homme de Nazareth s'en viennent pourtant confirmer définitivement notre intuition :
voir ou ne pas voir, telle est la question…

Réponse : la foi pascale ne découle pas d'un voir, mais d'un entendre.
Comme j'aime à le dire, un chrétien, cela voit avec ses … oreilles !

Comme le dit admirablement Maurice Bellet[2] :
"La résurrection ne se connaît que par la parole.
Elle vient à nous par le Dit et le Récit.
Il n'y a pas de vision ni de toucher.
( remarquons que le 4ème évangile ne dit pas que Thomas touchera…)
Bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru.
Ses apparitions, telles que racontées par les Evangiles, ne sont pour nous que des narrations.
La résurrection est ce quelque chose qui circule dans la parole humaine… "
"Et sous quel mode ?
Pas celui du mythe, de l'histoire, de la psychologie, de la métaphysique, ni même de la théologie… le mode de la parole de résurrection est la résurrection elle-même.
C'est-à-dire qu'elle fait ressusciter, qu'elle suscite encore et toujours la Parole"…

[La résurrection se révèle en son accomplissement comme la présence indestructible d'une parole contre la toute puissance de la mort dans nos vies, comme la victoire de la parole sur toute mort…]

Mais revenons à notre texte …

Le premier croire suit le voir du Disciple bien aimé…
Or que voit-il ? je l'ai dit : rien.
Rien que quelques bandelettes posées à terre.
Rien d'autre.
Eh bien, mes amis, c'est de ce rien, de ce presque rien, de ce vide, de ce presque vide que surgit la foi.
Il lui faut l'espace de ce vide pour que, dans quelques instants, une Parole puisse retentir lorsque Marie entrera à son tour dans le tombeau.
Etonnant, surprenant, pourtant, ce tombeau, lieu de toutes les peines, de toutes les souffrances, de toutes les peurs, qui se retrouve comme ouvert, interrogé  par ces quelques bandelettes posées à terre…
Ne serait-ce pas déjà cela, la résurrection : cette brèche dans nos peurs, dans nos chagrins, dans nos souffrances ???
La résurrection pose d'abord les traces d'un principe d'espérance, une ouverture, une brèche…

Mais reprenons notre lecture.
Le second voir de Marie, celui des deux anges, ou plutôt, devrait-on traduire, des deux envoyés, est celui d'une parole.
"Ce qui fait le caractère inouï de la parole ressuscitante, c'est qu'elle émerge du silence, du très grand silence de la mort.
Voilà une puissance de vie aussi déconcertante pour ma vie ancienne que peut l'être, pour l'enfant des humains, sa venue au monde".

Et cette parole interroge nos larmes, préparant l'indicible qui pourtant se murmure déjà à travers la question…
Car la parole de la résurrection, c'est ensuite cela :
un gigantesque point d'interrogation sur la toute-puissance  du tragique et du chagrin dans nos vies
La parole de la résurrection se donne à entendre comme une interrogation majuscule, de cette question qui fait vivre et qui peut redonner souffle à nos vies si souvent à bout de souffle.

Mais cela ne suffit pas encore. C'est trop théorique. Trop abstrait.
Pourtant cela suffit pour que Marie se retourne.
Retournement  physique pour dire aussi le retournement intérieur, celui de la foi justement..
Et le dernier voir de Marie est enfin celui du Christ..
Ouf. Enfin. Ca y est, nous y sommes.
Eh bien non. Car Marie ne reconnaît pas Jésus.
Combien de fois faudra-t-il nous le dire,
gens de peu de foi :
on ne voit bien qu'avec les oreilles, pas avec les yeux !

Et résonne alors la seconde parole de la résurrection, qui encore interroge nos larmes… mais qui va plus loin :
Pourquoi pleures-tu ? Et qui cherches-tu ?
Oui,  que cherchons-nous ce matin ????
C'est encore la question majuscule, celle qui pousse toute chose vers la vie, mais la question se resserre, se précise: que cherches-tu ?
Cette question, dans le 4ème Evangile, est la première parole que Jean met dans la bouche de Jésus, alors qu'il s'adresse aux disciples : que cherchez-vous ? (Jean 1,  38)
Et c'est aussi la première parole du Ressuscité à Marie …
L'évangile est là, au cœur de cette double question :
Que cherches tu ?

Et voilà le cœur de la foi révélé : la foi comme quête, comme quête de sens, à jamais ré- ouvert par la pierre roulée, les bandelettes à terre, la parole des envoyés et celle du Maître…

-        Dis Papa, c'est quoi, la vie ? cela sert à quoi ?

A lui donner sens, justement, par la seule force d'une parole reçue, pour que triomphe, dans nos vies, la lumière que rien n'a puissance de détruire, celle qui vient de celui-là même qui nous le demande :
Que cherchez-vous ?

"Pour la foi, la résurrection, ce n'est pas un fait, c'est un principe" (Maurice Bellet).
C'est le principe fondamental par lequel je peux tout réinterpréter et par quoi tout peut reprendre sens.
En ce sens, c'est bien le pivot de notre foi, de notre vie, de notre prédication.

Mais allons encore plus loin avec notre récit : car à la question du Maître répondra encore et toujours  l'angoisse de Marie : "dis-moi où tu l'as déposé, et je l'enlèverai…".
Car il faut du temps pour apprivoiser la parole de la résurrection…
Car en fait il lui manque encore une parole pour que tout prenne sens et vie :
une seule parole, qui se condense en un seul mot.
Un prénom. Hier celui de Marie.
Ce jour le mien. Le tien. Et le tien aussi.
Marie.
Jacqueline, Freddy, Marie-Hélène…
Jean-François.
Et cela suffit. Et tout est dit.

Et là, très exactement à ce moment-là, la Parole de la résurrection vient renouveler en nous la foi, c'est-à-dire la confiance, c'est-à-dire la vie enfin rendue possible.

Car mes amis, il faut que nous le sachions, la résurrection n'est pas à croire, elle est à vivre.
" Ces récits ne sont point faits pour nous rendre spectateurs d'un événement. Ils sont faits pour nous donner à entendre ce que peut être notre relation avec Christ, qui est notre ultime vérité.
Madeleine au jardin, les femmes au tombeau, les chemin-faisants d'Emmaüs, les proches au bord du lac, Thomas le douteur … tous nous disent que nous pouvons être en ce lieu là, où la vision échappe, où ne demeure que ce feu brûlant au cœur des disciples, le nom, son propre nom qu'entend enfin Madeleine, la puissance inouïe du Souffle qui va donner aux disciples la force de soulever le monde.
Ce qui nous est donné à entendre, c'est bien la puissance venant en nous, capable d'éteindre la fascination de la Mort et les délires où se défait l'homme, ce mortel. "(M. Bellet)

Ainsi, la résurrection, ce n'était pas hier, il y a deux mille ans. Ce ne sera pas davantage pour demain, lorsque nous aurons atteint le bout de la corde de notre existence.
La résurrection, c'est aujourd'hui, comme une nouvelle manière d'être, d'être à soi-même, aux autres, à la vie elle-même et à Dieu.

Ce qui demeure, c'est ce dont Christ a témoigné et vécu, c'est l'agapé, la divine douceur, cette relation nouvelle entre nous, les humains, où vient se recueillir, se condenser en quelque sorte, toute notre foi pascale.
Par-delà la torture, le crime et la bêtise, au-delà de la tyrannie, Christ revient doucement, nous appelle par notre nom, et nous relance en espoir. Il remet debout et en route; il oblige à courir partager avec d’autres endeuillés de la vie l’attente et la volonté d’une terre autrement.

Pour nous remettre en route.
Car le fruit de la parole de la résurrection, c'est le mouvement, la mise en route,  la course même, le retournement  vers le cheminement de la vie…
Car l'homme est un cheminot, un cheminant, un marcheur de sens…


L'homme n'est pas, mais il a à être.
L'existence est un pouvoir-être…. "
"L'homme ne vit pas, il ressuscite.
A chaque pas il ressuscite…. Vivre, c'est naître à chaque pas"[3]

Et cela par la seule force d'une parole reçue.
Puisse l'Eternel te donner aujourd'hui d'entendre cette parole et d'en vivre.
Puisse-t-elle te donner la force d'aimer sans te lasser jamais,

Alors, joyeuses Pâques.






[1] Jean Zumstein, In L'Evangile selon Saint Jean, Labor et Fides, p. 267
[2] In Si je dis Crédo, Bayard, p. 87 et ss
[3] In : Les symboles du Judaïsme, Editions Assouline, page 10 & 11.

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