Jean 20, 1 à 18,
Pâques 2014, Mas des Abeilles et Oratoire
Une
fois encore, nous le chantons, nous le proclamons : Christ est ressuscité.
C'est, nous le savons, le cœur même de notre foi ; c'est la "pointe"
sur laquelle tout repose, et pour nous pas seulement la foi, mais toute vie,
toute chose… et une vie peut se retourner autour d'une pointe d'aiguille…
Et
pourtant, c'est peut-être dans le même temps le plus difficile à interpréter, à
entendre, à vivre… car ce qui est au cœur des choses est souvent bien caché,
tel un ressort secret, impossible à analyser, à expliquer, à décrire.
Le
piège se situe peut-être là, d'ailleurs :
entendre
ces récits comme s'ils nous décrivaient ce qui s'est passé… Jean Zumstein le grand exégète du 4ème
Evangile, le déclare :
« L'évangile
de Jean n'est pas à lire comme une intrique dramatique, qui nous rapporterait
ce qui s'est produit de façon chronologique, comme un reportage de ce qui s'est
passé ;
non,
le 4ème évangile se présente comme une "intrigue
thématique", et l'intrigue du chapitre 20, ce n'est pas tant la résurrection du Christ que ce qu'il appelle la
naissance de la foi pascale »[1].
Car
ce qui court tout le long de ce chapitre, c'est la question de la foi,
Dans la relation entre le voir et le croire !
Voir ou ne pas
voir, telle est la question… de la foi !
Voir. Le verbe voir structure et parcours tout ce récit
johannique.
Le
premier voir de Marie de Magdala, en
arrivant au tombeau devant la pierre roulée,
n'aboutit pas puisqu'il s'épuise dans l'idée du déplacement de la
dépouille.
Ce
voir suscite néanmoins le vouloir-voir
de Pierre et de l'autre disciple ;
Pierre
voit (avec un autre verbe en grec)
mais ne voit…rien !
L'autre
disciple, celui que Jésus aimait, entre,
voit et
croit !
Mais qu'a-t-il
vu ???
Rien !
Rien que le
tombeau ouvert, et les traces d'une présence :
les bandelettes
!
Marie
revient en scène et voit à nouveau
dans le tombeau, cette fois deux envoyés vétus de blanc et qui parlent : en
fait, elle voit… une parole !
Enfin,
elle voit Jésus lui-même, mais sans
pouvoir le reconnaître pourtant (elle le prend pour le jardinier)…
Ce
qui va provoquer la foi, c'est encore et toujours une parole, celle de Jésus
lui-même…
Viendra
enfin, dans les versets qui suivent, la rencontre entre Thomas et Jésus qui
aboutira à cette phrase tant de fois entendue :
Bienheureux ceux
qui ont cru sans avoir vu !
Et
là, la tête nous tourne :
Il vit et il cru
… pour le Disciple Bien Aimé…
Et
puis quelques versets plus tard pour Thomas:
Bienheureux ceux
qui ont cru sans avoir vu !
Alors,
il faut savoir : voir ou ne pas voir ???
Ces
derniers mots de l'homme de Nazareth
s'en viennent pourtant confirmer définitivement notre intuition :
voir ou ne pas
voir, telle est la question…
Réponse
: la foi pascale ne découle pas d'un voir, mais d'un entendre.
Comme j'aime à
le dire, un chrétien, cela voit avec ses … oreilles !
Comme
le dit admirablement Maurice Bellet[2]
:
"La
résurrection ne se connaît que par la parole.
Elle
vient à nous par le Dit et le Récit.
Il
n'y a pas de vision ni de toucher.
(
remarquons que le 4ème évangile ne dit pas que Thomas touchera…)
Bienheureux ceux
qui n'ont pas vu et qui ont cru.
Ses
apparitions, telles que racontées par les Evangiles, ne sont pour nous que des
narrations.
La
résurrection est ce quelque chose qui circule dans la parole humaine… "
"Et
sous quel mode ?
Pas
celui du mythe, de l'histoire, de la psychologie, de la métaphysique, ni même
de la théologie… le mode de la parole de résurrection est la résurrection
elle-même.
C'est-à-dire
qu'elle fait ressusciter, qu'elle suscite encore et toujours la Parole"…
[La
résurrection se révèle en son accomplissement comme la présence indestructible
d'une parole contre la toute puissance de la mort dans nos vies, comme la
victoire de la parole sur toute mort…]
Mais
revenons à notre texte …
Le premier
croire
suit le voir du Disciple bien aimé…
Or
que voit-il ? je l'ai dit : rien.
Rien
que quelques bandelettes posées à terre.
Rien
d'autre.
Eh
bien, mes amis, c'est de ce rien, de
ce presque rien, de ce vide, de ce presque vide que surgit la foi.
Il
lui faut l'espace de ce vide pour que, dans quelques instants, une Parole
puisse retentir lorsque Marie entrera à son tour dans le tombeau.
Etonnant,
surprenant, pourtant, ce tombeau, lieu de toutes les peines, de toutes les
souffrances, de toutes les peurs, qui se retrouve comme ouvert, interrogé par ces quelques bandelettes posées à terre…
Ne serait-ce pas
déjà cela, la résurrection : cette brèche dans nos peurs, dans nos chagrins,
dans nos souffrances ???
La
résurrection pose d'abord les traces d'un
principe d'espérance, une ouverture, une brèche…
Mais
reprenons notre lecture.
Le
second voir de Marie, celui des deux anges, ou plutôt, devrait-on traduire, des
deux envoyés, est celui d'une parole.
"Ce
qui fait le caractère inouï de la parole ressuscitante,
c'est qu'elle émerge du silence, du très grand silence de la mort.
Voilà
une puissance de vie aussi déconcertante pour ma vie ancienne que peut l'être,
pour l'enfant des humains, sa venue au monde".
Et
cette parole interroge nos larmes, préparant l'indicible qui pourtant se
murmure déjà à travers la question…
Car
la parole de la résurrection, c'est ensuite cela :
un gigantesque
point d'interrogation sur la toute-puissance
du tragique et du chagrin dans nos vies …
La
parole de la résurrection se donne à entendre comme une interrogation majuscule, de cette question qui fait vivre et qui
peut redonner souffle à nos vies si souvent à bout de souffle.
Mais
cela ne suffit pas encore. C'est trop théorique. Trop abstrait.
Pourtant
cela suffit pour que Marie se retourne.
Retournement physique pour dire aussi le retournement
intérieur, celui de la foi justement..
Et
le dernier voir de Marie est enfin celui du Christ..
Ouf.
Enfin. Ca y est, nous y sommes.
Eh bien non. Car
Marie ne reconnaît pas Jésus.
Combien
de fois faudra-t-il nous le dire,
gens
de peu de foi :
on ne voit bien
qu'avec les oreilles, pas avec les yeux !
Et
résonne alors la seconde parole de la résurrection, qui encore interroge nos larmes…
mais qui va plus loin :
Pourquoi
pleures-tu ? Et qui cherches-tu ?
Oui, que
cherchons-nous ce matin ????
C'est
encore la question majuscule, celle qui pousse toute chose vers la vie, mais la
question se resserre, se précise: que
cherches-tu ?
Cette
question, dans le 4ème Evangile, est la première parole que Jean met
dans la bouche de Jésus, alors qu'il s'adresse aux disciples : que cherchez-vous ? (Jean 1, 38)
Et
c'est aussi la première parole du Ressuscité à Marie …
L'évangile
est là, au cœur de cette double question :
Que cherches tu
?
Et voilà le cœur
de la foi révélé : la foi comme quête, comme quête de sens, à jamais ré- ouvert
par la pierre roulée, les bandelettes à terre, la parole des envoyés et celle
du Maître…
-
Dis
Papa, c'est quoi, la vie ? cela sert à quoi ?
A lui donner
sens, justement, par la seule force d'une parole reçue, pour que
triomphe, dans nos vies, la lumière que rien n'a puissance de détruire, celle
qui vient de celui-là même qui nous le demande :
Que cherchez-vous
?
"Pour
la foi, la résurrection, ce n'est pas un fait, c'est un principe" (Maurice
Bellet).
C'est
le principe fondamental par lequel je peux tout réinterpréter et par quoi tout
peut reprendre sens.
En
ce sens, c'est bien le pivot de notre foi, de notre vie, de notre prédication.
Mais
allons encore plus loin avec notre récit : car à la question du Maître répondra
encore et toujours l'angoisse de Marie :
"dis-moi où tu l'as déposé, et je l'enlèverai…".
Car
il faut du temps pour apprivoiser la parole de la résurrection…
Car
en fait il lui manque encore une parole pour que tout prenne sens et vie :
une
seule parole, qui se condense en un seul mot.
Un
prénom. Hier celui de Marie.
Ce
jour le mien. Le tien. Et le tien aussi.
Marie.
Jacqueline,
Freddy, Marie-Hélène…
Jean-François.
Et
cela suffit. Et tout est dit.
Et
là, très exactement à ce moment-là, la Parole de la résurrection vient
renouveler en nous la foi, c'est-à-dire la confiance, c'est-à-dire la vie enfin
rendue possible.
Car
mes amis, il faut que nous le sachions, la résurrection n'est pas à croire,
elle est à vivre.
"
Ces récits ne sont point faits pour nous rendre spectateurs d'un événement. Ils
sont faits pour nous donner à entendre ce que peut être notre relation avec
Christ, qui est notre ultime vérité.
Madeleine
au jardin, les femmes au tombeau, les chemin-faisants d'Emmaüs, les proches au
bord du lac, Thomas le douteur … tous nous disent que nous pouvons être en ce
lieu là, où la vision échappe, où ne demeure que ce feu brûlant au cœur des
disciples, le nom, son propre nom qu'entend enfin Madeleine, la puissance
inouïe du Souffle qui va donner aux disciples la force de soulever le monde.
Ce
qui nous est donné à entendre, c'est bien la puissance venant en nous, capable
d'éteindre la fascination de la Mort et les délires où se défait l'homme, ce
mortel. "(M. Bellet)
Ainsi,
la résurrection, ce n'était pas hier, il y a deux mille ans. Ce ne sera pas
davantage pour demain, lorsque nous aurons atteint le bout de la corde de notre
existence.
La
résurrection, c'est aujourd'hui, comme une nouvelle manière d'être, d'être à
soi-même, aux autres, à la vie elle-même et à Dieu.
Ce
qui demeure, c'est ce dont Christ a témoigné et vécu, c'est l'agapé, la divine douceur, cette relation
nouvelle entre nous, les humains, où vient se recueillir, se condenser en
quelque sorte, toute notre foi pascale.
Par-delà la torture, le
crime et la bêtise, au-delà de la tyrannie, Christ revient doucement, nous
appelle par notre nom, et nous relance en espoir. Il remet debout et en route;
il oblige à courir partager avec d’autres endeuillés de la vie l’attente et la
volonté d’une terre autrement.
Pour nous
remettre en route.
Car
le fruit de la parole de la résurrection, c'est le mouvement, la mise en
route, la course même, le
retournement vers le cheminement de la
vie…
Car
l'homme est un cheminot, un cheminant, un marcheur de sens…
L'homme n'est pas, mais il a à
être.
L'existence est un pouvoir-être….
"
"L'homme ne vit pas, il
ressuscite.
A chaque pas il ressuscite….
Vivre, c'est naître à chaque pas"[3],
Et cela par la seule force d'une
parole reçue.
Puisse l'Eternel te donner
aujourd'hui d'entendre cette parole et d'en vivre.
Puisse-t-elle te donner la force
d'aimer sans te lasser jamais,
Alors,
joyeuses Pâques.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire