mercredi 22 janvier 2014

Jean 15, 1 à 17. Dimanche de la Réformation,
le 27 octobre 2013, Oratoire.

Mes amis, une angoisse me saisit ; fêter la Réformation !
Mais comment fêter ce qui fut et ce qui est encore, pour beaucoup de chrétiens, une déchirure ? Une rupture ? Un échec ? Une blessure….
Oui, faut-il fêter encore la Réformation, en ces temps d'œcuménisme ?
Eh bien, mes amis, je le crois bien.

Ne serait-ce que pour nous aider  à faire le deuil, une fois pour toutes, de l'Eglise idéale, de ce phantasme d'une l'Eglise unique qui aurait été déchirée par la Réforme, phantasme, dis-je, car cette Eglise unique jamais n'a existé.
Il n'est que de relire le livre des Actes et les Epitres pour se rendre compte que dès le premier siècle, c'est déjà pluriel, et même parfois, déjà, conflictuel, entre Pierre, Jacques et Jean, par exemple ; et puis plus tard, l'Eglise est toujours plurielle, et s'organise autour des  patriarcats indépendants de Jérusalem, Antioche, Alexandrie, Constantinople, et de Rome.
Et  puis ce sera la rupture entre chrétiens d'orient et d'occident, en 1054  (rupture plus linguistique et culturelle que véritablement théologique, d'ailleurs : on ne se comprend plus, tout simplement) et  puis enfin  la Réforme,
Mes amis, L'Eglise fut toujours diverse, multiple,
et c'est tant mieux !
Prisme aux mille visages, échos qui résonnent de vallées en vallées, en autant de passage de témoins qui tous, tentent d'être fidèle à un unique maitre et seigneur !
Loin de nous désoler, cela devrait nous appeler à l'humilité (nous ne sommes qu'un reflet, un écho),  et nous réjouir de tant de richesses, d'expressions diverses, si et seulement si nous reconnaissons enfin l'autre, le différent, comme un frère et non un ennemi à abattre.
Alors oui, nous pouvons fêter la Réformation.
Car par-delà les anathèmes du passé, la Réforme, pour moi, reste d'actualité.
Dans son essence même. Car la Réforme, d'abord, c'est un geste.
Lequel ?
Celui d'une mise en débat.
Lorsque Luther affiche les 95 thèses sur l'Eglise de Wittenberg, là où il enseigne l'Ecriture sainte, il ne veut faire scission avec personne, et surtout pas avec Rome.
Il veut mettre en débat, provoquer au débat, afin que résonne davantage l'Evangile dans le cœur et dans la vie de ses contemporains.
Et cela parce qu'il a été saisi par l'Evangile, c'est-à-dire par une bonne nouvelle.
Il est, dira-t-il par la suite, lié par la Parole.
Je le cite :

–" je suis lié par les textes bibliques que j’ai cités. Tant que ma conscience est captive de la parole de Dieu je ne puis ni ne veux rien rétracter, car il n’est ni sûr ni salutaire d’agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide".

Et là, en l'espace de  quelques mots simples,  nous touchons à l'essentiel.
Le retour au texte. La parole au centre, comme seule norme de la vie et de la foi.
Et pour être fidèle au fondement même la Réforme, au sola scriptura ,  il me faut, moi aussi ce matin, revenir au texte biblique que nous venons d'entendre, très judicieusement choisi par la famille CUILLERY et par Sybille.

Je retiens l’Evangile de Jean !
Un verbe revient 10 fois, qui rythme le récit, le structure : "demeurer".
Comme les sarments sont reliés au cep, comme le Christ est relié au Père, ainsi, nous pouvons, nous aussi, être reliés à Dieu. Et demeurer dans cet amour.
Et c'est dans cette reliance que tout se joue !
C'est là le cœur de la Bonne Nouvelle : relié, je peux l'être.
Oui, relié, je peux l'être, et cela malgré les échecs, mes errances, mes colères et mes rancœurs…
Car  il y a une promesse ; celle d'une reliance possible.
Davantage même, une réalité, déjà là, ici et maintenant : dans cette image du cep et des sarments qui dit une vie donnée, offerte, et une présence.
Reliance  dit deux choses :
-        La première, c'est l'altérité ! tout seul, je ne suis rien. Tout seul, je ne peux rien. Il me faut de l'autre, de la rencontre, pour porter fruit. Pour être, tout simplement. L'homme est un être vers, un être tourné vers l'autre, dans la rencontre.
-        Et pour nous chrétiens, Dieu est ce Tout Autre qui se fait tout proche, pour que notre vie soit, tout simplement, possible.

Coram Deo, dira sans cesse Luther. Devant Dieu.
v Coram Deo, premier "gros mot" de la Réforme :
Toujours tendre à ramener sa vie là, devant Dieu, devant cette toute présence pour que nous soyons enfin, nous aussi,  un peu, présents à nous-même et aux autres.
Coram Deo, devant Dieu.
Non pas « pour Dieu » , car combien de massacres parfois au nom de ce "pour Dieu". Et puis Dieu est un Pour l’homme, alors, la seule chose qui nous soit demandée, c'est nous aussi d'être des hommes pour les hommes.
Mais nous pouvons vivre cela devant Dieu, ramenant sans cesse nos vies devant Lui, pour en recevoir le courage d'être.
Non pas tant non plus "avec" Dieu,  car allons, je dois vous l'avouer, parfois, je ne suis pas avec, enfermé,  prisonnier  que je suis  de mes souffrances, de mes solitudes,  de mes errances, de mes blessures.
Mais même ces souffrances,  mes solitudes,   mes errances, mes blessures, je peux les ramener devant Dieu, pour qu'il les ouvre comme un fruit mûr au soleil de son amour.

Mais comment demeurer devant lui ?
Et comment le laisser demeurer en nous ?
Le 4ème Evangile nous le dit : par sa parole !
"Par la parole que je vous ai dite", (v. 3),
"Si vous demeurez en moi et mes paroles en vous" (v. 7),
"Si vous observez mon enseignement, vous demeurerez dans mon amour," (v. 10).
Fondement de la Réforme,  socle de nos vies, tout est là : dans, par et sous sa parole, Dieu vient redonner souffle à nos vies à bout de souffle.
Et cela suffit !

v Sola sciptura, l'écriture seule suffit ! Second gros mot de la Réforme. 
Mais attention, deux pièges ici nous guettent :
-        Le premier serait de comprendre que si je ne demeure pas dans sa parole, Dieu alors me rejette.
Ce qui serait contraire à l'Evangile même.
"Je suis venu pour que les hommes  aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance"(10, 10). 
Non, bien sûr que non ! Mais la seule façon que Dieu a de nous donner la vie, de nous la redonner, jour après jour, deuil après deuil, échec après échec, souffrance après souffrance, c'est par, dans et sous sa parole.
Si nous nous en détournons, nous risquons de nous détourner aussi de la source, de la sève, de ce qui vient nous redonner le courage d'être, en vérité.  Quoique, parfois, Dieu s'y prenne aussi autrement…
-        Le second piège, c'est celui de la parole magique :
Non, non, et non.
Cette parole, qui résonne dans les Ecritures, il nous faut l'interpréter. 
C'est dans et par le travail de l'interprétation que se joue la parole. Il n'y a pas          d'immédiateté, il n'y a que du travail. Celui de lire et d'interpréter.

          Davantage même : si nous voulons travailler le texte, sans relâche, c'est  pour mieux nous laisser travailler par Dieu lui-même, afin que nos vies retrouvent goût, sel ; afin que dans nos vies, il fasse moins sombre, e qu'un peu de lumière soit.

Mais un autre mot rythme notre passage du 4ème Evangile : C'est le mot fruit ! 7 fois.
Porter du fruit.
Et cela pour toi.
Pour moi. Pour chacun d'entre nous.
C'est cela que nous avons voulu dire à Quitterie : pour toi aussi, même si tu ne le sais pas encore ; Pour toi aussi, une parole veille,  pour qu'elle t'éveille à la vie, à la confiance et à l'espérance.


v Cela sera aussi un des autres mots clefs de la Réforme :  "Pro me".
Pour moi. C'est notre  troisième gros mot pour ce matin.
Car l'Evangile n'est pas  une croyance, il est un coup de tonnerre, ou un souffle fragile, qui vient déchirer le ciel de nos résignations.

La foi est un saisissement, un éblouissement, une expérience intime, et cela bien souvent malgré nous.
Je cite encore oncle Martin :
" Si Christ est dans l'Etre, le chrétien est dans le devenir.
Et sa vie ne consiste pas dans le triomphe, mais dans le combat ;
Elle n'a rien d'infaillible, elle est le fruit d'un acquittement".

Voilà le fruit dont il est question : l’acquittement.
C'est le oui inconditionnel que Dieu dit au monde,
C'est le oui inconditionnel que Dieu dit à l'homme.
C'est le oui inconditionnel que Dieu dit à Quitterie, à Sybille, à toi, à moi, à chacun d'entre nous.
Là est peut-être le cœur du cœur de la Réforme, car là est peut-être le cœur du cœur de l'Evangile.

Et nous, saurons-nous vivre de ce oui inconditionnel reçu ?
Et saurons-nous le partager à notre tour ?
Saurons-nous changer notre regard pour poser sur le monde, sur les autres, cette acceptation première ?
Serons-nous de ceux qui jugent, condamnent et rejettent, ou serons-nous de ceux qui veulent témoigner d'un regard qui accueille, relève et libère ?

Teilhard de Chardin, un jésuite : «  Ce qui est merveilleux dans l’aventure de la foi, c’est que la GRACE peut descendre sur nous au moment le plus inattendu – car elle est un don, et non un mérite – et quand elle vient, elle nous affranchit corps et âme, comme la rosée revivifie la fleur au matin »[1].

Quelques années plus tard, Paul Tillich :
"Dans le noir de nos déceptions et désespoirs pénètre parfois une vague de lumière et c'est comme si une voix nous disait : Tu es accepté, accepté par plus grand que toi et dont tu ne connais pas le nom, [dit le théologien nord-américain Paul Tillich].
Ne demande pas maintenant son nom, peut-être le trouveras-tu plus tard. N'essaie pas de "faire" quelque chose maintenant, peut-être plus tard tu feras beaucoup. Ne cherche rien, n'entreprends rien, ne projette rien. Accepte simplement le fait que tu sois accepté. Lorsque ceci nous arrive nous faisons l'expérience de la grâce. Après cette expérience nous ne serons pas nécessairement meilleurs qu'auparavant et nous ne serons pas plus croyants ? Mais tout est transformé. [….]
Cette expérience n'exige rien de nous, aucune condition religieuse ou morale ou intellectuelle, rien que de l'accepter"[2].

Ma sœur, mon frère, l'Evangile nous révèle un Dieu pour l'homme. Un Dieu avec l'homme. Pour que la vie triomphe contre toutes les désespérances,
Pour nous donner ce courage d'être dont nous avons tant besoin, ces murs porteurs, comme le dit le chanteur, pour que nous tenions et vivions, tout simplement.

Luther, toujours :
" Ne cherche pas Dieu au ciel.
Tu ne l'y trouveras pas. Le ciel est devenu vide de Lui.
Cherche-le sur la terre où il se tient caché et crucifié
A ta porte. A côté de toi."

Et pour faire bon poids, parce que si c'est le cœur du cœur, alors il peut être reconnu par tous : le père Maurice Zundel, prédication au Caire, en avril 1961 :
« Il ne s’agit plus de se méprendre, nous ne sommes pas là en face d’un conseil qui peut être suivi ou non, nous sommes là au cœur de l’engagement évangélique car justement le sanctuaire de la divinité, c’est l’homme. Ce sanctuaire n’est plus une montagne, ou un haut lieu, ni un temple de pierre ou un tabernacle de métal précieux, le sanctuaire de la divinité, c’est l’homme ».

Pasteur Jean-François BREYNE



[1] In Le matin vient, édition Oberlin,  p. 95
[2] cité par Théo Junker, "Voici, je fais toutes choses nouvelles", Strasbourg, Oberlin, p. 19 et 20.

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