Jean
15, 1 à 17. Dimanche de la Réformation,
le
27 octobre 2013, Oratoire.
Mes
amis, une angoisse me saisit ; fêter la Réformation !
Mais
comment fêter ce qui fut et ce qui est encore, pour beaucoup de chrétiens, une
déchirure ? Une rupture ? Un échec ? Une blessure….
Oui,
faut-il fêter encore la Réformation, en ces temps d'œcuménisme ?
Eh
bien, mes amis, je le crois bien.
Ne
serait-ce que pour nous aider à faire le
deuil, une fois pour toutes, de l'Eglise idéale, de ce phantasme d'une l'Eglise
unique qui aurait été déchirée par la Réforme, phantasme, dis-je, car cette Eglise
unique jamais n'a existé.
Il
n'est que de relire le livre des Actes et les Epitres pour se rendre compte que
dès le premier siècle, c'est déjà pluriel, et même parfois, déjà, conflictuel, entre
Pierre, Jacques et Jean, par exemple ; et puis plus tard, l'Eglise est toujours
plurielle, et s'organise autour des patriarcats indépendants de Jérusalem,
Antioche, Alexandrie, Constantinople, et de Rome.
Et puis ce sera la rupture entre chrétiens
d'orient et d'occident, en 1054 (rupture
plus linguistique et culturelle que véritablement théologique, d'ailleurs : on
ne se comprend plus, tout simplement) et
puis enfin la Réforme,
Mes
amis, L'Eglise fut toujours diverse, multiple,
et
c'est tant mieux !
Prisme
aux mille visages, échos qui résonnent de vallées en vallées, en autant de
passage de témoins qui tous, tentent d'être fidèle à un unique maitre et
seigneur !
Loin
de nous désoler, cela devrait nous appeler à l'humilité (nous ne sommes qu'un
reflet, un écho), et nous réjouir de
tant de richesses, d'expressions diverses, si et seulement si nous
reconnaissons enfin l'autre, le différent, comme un frère et non un ennemi à
abattre.
Alors
oui, nous pouvons fêter la Réformation.
Car
par-delà les anathèmes du passé, la Réforme, pour moi, reste d'actualité.
Dans
son essence même. Car la Réforme, d'abord, c'est un geste.
Lequel
?
Celui d'une mise en débat.
Lorsque
Luther affiche les 95 thèses sur l'Eglise de Wittenberg, là où il enseigne
l'Ecriture sainte, il ne veut faire scission avec personne, et surtout pas avec
Rome.
Il
veut mettre en débat, provoquer au débat, afin que résonne davantage l'Evangile
dans le cœur et dans la vie de ses contemporains.
Et
cela parce qu'il a été saisi par l'Evangile, c'est-à-dire par une bonne
nouvelle.
Il est,
dira-t-il par la suite, lié par la Parole.
Je le cite :
–" je suis lié par les textes
bibliques que j’ai cités. Tant que ma conscience est captive de la parole de
Dieu je ne puis ni ne veux rien rétracter, car il n’est ni sûr ni salutaire
d’agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide".
Et là, en
l'espace de quelques mots simples, nous touchons à l'essentiel.
Le retour au
texte. La parole au centre, comme seule norme de la vie et de la foi.
Et pour être
fidèle au fondement même la Réforme, au sola scriptura , il me faut, moi aussi ce matin, revenir au texte
biblique que nous venons d'entendre, très judicieusement choisi par la famille
CUILLERY et par Sybille.
Je retiens
l’Evangile de Jean !
Un verbe
revient 10 fois, qui rythme le récit, le structure : "demeurer".
Comme les sarments
sont reliés au cep, comme le Christ est relié au Père, ainsi, nous pouvons,
nous aussi, être reliés à Dieu. Et demeurer dans cet amour.
Et c'est
dans cette reliance que tout se joue
!
C'est là le
cœur de la Bonne Nouvelle : relié, je
peux l'être.
Oui, relié,
je peux l'être, et cela malgré les échecs, mes errances, mes colères et mes
rancœurs…
Car il y a une promesse ; celle d'une reliance possible.
Davantage
même, une réalité, déjà là, ici et maintenant : dans cette image du cep et des
sarments qui dit une vie donnée, offerte, et une présence.
Reliance dit deux choses :
-
La
première, c'est l'altérité ! tout seul, je ne suis rien. Tout seul, je ne peux
rien. Il me faut de l'autre, de la rencontre, pour porter fruit. Pour être,
tout simplement. L'homme est un être vers, un être tourné vers l'autre, dans la
rencontre.
-
Et
pour nous chrétiens, Dieu est ce Tout Autre qui se fait tout proche, pour que
notre vie soit, tout simplement, possible.
Coram Deo, dira sans cesse Luther. Devant
Dieu.
v
Coram Deo, premier "gros mot" de la
Réforme :
Toujours
tendre à ramener sa vie là, devant Dieu, devant cette toute présence pour que
nous soyons enfin, nous aussi, un peu,
présents à nous-même et aux autres.
Coram Deo, devant Dieu.
Non pas « pour
Dieu » , car combien de massacres parfois au nom de ce "pour
Dieu". Et puis Dieu est un Pour l’homme, alors, la seule chose
qui nous soit demandée, c'est nous aussi d'être des hommes pour les hommes.
Mais nous
pouvons vivre cela devant Dieu,
ramenant sans cesse nos vies devant Lui, pour en recevoir le courage d'être.
Non pas tant
non plus "avec" Dieu, car
allons, je dois vous l'avouer, parfois, je ne suis pas avec, enfermé, prisonnier
que je suis de mes souffrances,
de mes solitudes, de mes errances, de
mes blessures.
Mais même
ces souffrances, mes solitudes, mes errances, mes blessures, je peux les
ramener devant Dieu, pour qu'il les ouvre comme un fruit mûr au soleil
de son amour.
Mais comment
demeurer devant lui ?
Et comment
le laisser demeurer en nous ?
Le 4ème
Evangile nous le dit : par sa parole
!
"Par la
parole que je vous ai dite", (v. 3),
"Si
vous demeurez en moi et mes paroles en vous" (v. 7),
"Si
vous observez mon enseignement, vous demeurerez dans mon amour," (v. 10).
Fondement de
la Réforme, socle de nos vies, tout est
là : dans, par et sous sa parole, Dieu
vient redonner souffle à nos vies à bout de souffle.
Et cela
suffit !
v
Sola
sciptura,
l'écriture seule suffit ! Second gros mot de la Réforme.
Mais attention,
deux pièges ici nous guettent :
-
Le
premier serait de comprendre que si je ne demeure pas dans sa parole, Dieu
alors me rejette.
Ce
qui serait contraire à l'Evangile même.
"Je
suis venu pour que les hommes aient la
vie, et qu’ils l’aient en abondance"(10, 10).
Non,
bien sûr que non ! Mais la seule façon que Dieu a de nous donner la vie, de
nous la redonner, jour après jour, deuil après deuil, échec après échec,
souffrance après souffrance, c'est par,
dans et sous sa parole.
Si
nous nous en détournons, nous risquons de nous détourner aussi de la source, de
la sève, de ce qui vient nous redonner le courage d'être, en vérité. Quoique, parfois, Dieu s'y prenne aussi
autrement…
-
Le
second piège, c'est celui de la parole magique :
Non,
non, et non.
Cette
parole, qui résonne dans les Ecritures, il nous faut l'interpréter.
C'est dans et par le
travail de l'interprétation que se
joue la parole. Il n'y a pas d'immédiateté,
il n'y a que du travail. Celui de lire et d'interpréter.
Davantage même : si nous voulons travailler
le texte, sans relâche, c'est pour mieux nous laisser travailler par Dieu lui-même, afin que nos vies
retrouvent goût, sel ; afin que dans
nos vies, il fasse moins sombre, e qu'un
peu de lumière soit.
Mais un
autre mot rythme notre passage du 4ème Evangile : C'est le mot fruit
! 7 fois.
Porter du fruit.
Et cela pour
toi.
Pour moi.
Pour chacun d'entre nous.
C'est cela
que nous avons voulu dire à Quitterie : pour toi aussi, même si tu ne le sais
pas encore ; Pour toi aussi, une parole veille,
pour qu'elle t'éveille à la vie, à la confiance et à l'espérance.
v
Cela
sera aussi un des autres mots clefs de la Réforme : "Pro me".
Pour moi. C'est notre troisième gros mot pour ce matin.
Car
l'Evangile n'est pas une croyance, il
est un coup de tonnerre, ou un souffle fragile, qui vient déchirer le ciel de
nos résignations.
La foi est
un saisissement, un éblouissement, une expérience intime, et cela bien souvent malgré nous.
Je cite encore
oncle Martin :
" Si Christ est dans l'Etre, le
chrétien est dans le devenir.
Et sa vie ne consiste pas dans le
triomphe, mais dans le combat ;
Elle n'a rien d'infaillible, elle est
le fruit d'un acquittement".
Voilà le fruit dont il est question :
l’acquittement.
C'est le oui
inconditionnel que Dieu dit au monde,
C'est le oui
inconditionnel que Dieu dit à l'homme.
C'est le oui
inconditionnel que Dieu dit à Quitterie, à Sybille, à toi, à moi, à chacun
d'entre nous.
Là est peut-être
le cœur du cœur de la Réforme, car là est peut-être le cœur du cœur de
l'Evangile.
Et nous,
saurons-nous vivre de ce oui inconditionnel reçu ?
Et
saurons-nous le partager à notre tour ?
Saurons-nous
changer notre regard pour poser sur le monde, sur les autres, cette acceptation
première ?
Serons-nous
de ceux qui jugent, condamnent et rejettent, ou serons-nous de ceux qui veulent
témoigner d'un regard qui accueille, relève et libère ?
Teilhard de
Chardin, un jésuite : « Ce qui est merveilleux dans l’aventure de la foi,
c’est que la GRACE peut descendre sur nous au moment le plus inattendu – car
elle est un don, et non un mérite
– et quand elle vient, elle nous affranchit corps et âme, comme la rosée
revivifie la fleur au matin »[1].
Quelques
années plus tard, Paul Tillich :
"Dans
le noir de nos déceptions et désespoirs pénètre parfois une vague de lumière et
c'est comme si une voix nous disait : Tu es accepté, accepté par plus grand
que toi et dont tu ne connais pas le nom, [dit le théologien nord-américain
Paul Tillich].
Ne
demande pas maintenant son nom, peut-être le trouveras-tu plus tard. N'essaie
pas de "faire" quelque chose maintenant, peut-être plus tard tu feras
beaucoup. Ne cherche rien, n'entreprends rien, ne projette rien. Accepte
simplement le fait que tu sois accepté. Lorsque ceci nous arrive nous faisons
l'expérience de la grâce. Après cette expérience nous ne serons pas
nécessairement meilleurs qu'auparavant et nous ne serons pas plus croyants ?
Mais tout est transformé. [….]
Cette
expérience n'exige rien de nous, aucune condition religieuse ou morale ou
intellectuelle, rien que de l'accepter"[2].
Ma sœur, mon
frère, l'Evangile nous révèle un Dieu pour l'homme. Un Dieu avec l'homme. Pour que
la vie triomphe contre toutes les désespérances,
Pour nous
donner ce courage d'être dont nous avons tant besoin, ces murs porteurs, comme
le dit le chanteur, pour que nous tenions et vivions, tout simplement.
Luther,
toujours :
"
Ne cherche pas Dieu au ciel.
Tu
ne l'y trouveras pas. Le ciel est devenu vide de Lui.
Cherche-le
sur la terre où il se tient caché et crucifié
A
ta porte. A côté de toi."
Et pour faire bon poids, parce que si c'est le cœur du cœur, alors il
peut être reconnu par tous : le père Maurice Zundel, prédication au Caire, en
avril 1961 :
« Il ne
s’agit plus de se méprendre, nous ne sommes pas là en face d’un conseil qui
peut être suivi ou non, nous sommes là au cœur de l’engagement évangélique car
justement le sanctuaire de la divinité, c’est l’homme. Ce sanctuaire n’est plus
une montagne, ou un haut lieu, ni un temple de pierre ou un tabernacle de métal
précieux, le sanctuaire de la divinité, c’est l’homme ».
Pasteur
Jean-François BREYNE
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