mercredi 22 janvier 2014

Matthieu 11, 1-11, Troisième dimanche de l’Avent,
14 décembre 2013, MdA et Fraternité



Jean est l’archétype du croyant, je l'ai déjà dit : car il est homme de l’histoire, homme de justice, homme de racine, et pourtant, dans le même temps, homme toujours  tourné vers l’avenir, pour voir le présent autrement.
Il est homme de charnière, homme de frontière, tout tendu entre la première alliance qu’il représente, et l’annonce de ce messie, de ce salut pour le monde qu'il pressent et attend. Attente active, remarquons-le… attente attentive, attente pleine de bruit et de fureur…

Pourtant,  comme nous, Jean se trompe dans son attente, dans son annonce : car il espère en un messie justicier, guerrier, avec la pelle à vanner et les méchants qui brûlent au feu...
et c’est l’Evangile qui vient.
Si Jean est celui qui nous invite à changer de regard, il est lui-même, d’abord, celui qui doit changer son regard.
Ainsi est Jean, le dernier prophète, lorsque nous le rencontrons pour la première fois dans l’évangile, au bord du Jourdain…
Ainsi est Jean, lorsque nous le croisons, pour la seconde fois.
Mais la situation a changé. Jean n’est plus celui que l’on vient, par foule entière, entendre  et voir baptiser au bord du Jourdain.
Jean, cette fois, est en prison.
Il semble alors que Jean ait échoué.

Il se retrouve victime de sa propre parole, emprisonné par elle, à cause de sa rigueur, de son intransigeance.
Il y aurait de quoi se lamenter, se résigner, ou alors se révolter.
Même contre ce Jésus qui semble échapper à sa prédiction, à sa confiance, à sa raison.

Mais Jean ne se résigne pas.
Et en cela Jean reste l’archétype de la foi.

Car que fait-il, du fond même de sa prison ?
Il interroge sa foi, il interroge ses disciples, il fait interroger ce Jésus que décidément, lui, Jean, ne comprend pas.
Et sa question se résume en une phrase :
-        Es-tu celui qui doit venir ? Es-tu celui que nous attendions ?

Et cette question résume toute vie de foi.
Voilà le ressort même de la foi : es-tu celui que nous attendions ?
Jean ne se résigne pas.
Même du fond de sa prison, même du fond de son échec, il continue à réaliser l’essentiel : s’interroger sur la vie, s’interroger sur la foi, s’interroger et chercher à entendre.
C'est le Mah de l'hébreu, le quoi, qui est la question majuscule, celle qui ouvre à la vie !
Peut-être même lui faut-il faire l’expérience de la prison pour se la poser enfin ? !
Dans le succès de sa prédication sur les bords du Jourdain, il ne pouvait pas s’interroger.
Mais là, au fond de l’échec, surgit la question possible. Et le désespoir devient occasion de chance.

Et c’est en ce sens, me semble-t-il, que Jésus dit de lui : 
-        Il est le plus grand parmi les hommes.
Car oui, voilà un homme qui n’a pas renoncé à sa quête.

Il ne s’est pas enfermé dans ses idées toutes faites. Lui, l’homme de la tradition, lui, l’homme du passé, voilà qu’il se révèle homme du présent, homme prêt à l’imprévu de Dieu.

Jean est l’homme vivant par excellence, alors même qu’il semble confronté à son échec, et qu’il croupit en prison.
C’est du fond de sa prison, de son échec, que le prophète devient disciple.

Certain trouveront que j’insiste peut-être  trop sur Jean, et que je ne parle pas assez de Jésus.
Car quoi, monsieur le pasteur, la question de Jean porte bien sur qui est Jésus, et non pas qui est Jean ?
Et pourtant.
L’avez-vous remarqué ?
Jésus, cette fois encore, ne répond pas, ou plutôt il répond à coté.
Jésus déplace la question, pour la retourner vers ses auditeurs.
De lui-même, Jésus ne dit presque rien : Il cite seulement les résultats de sa parole.
Mais tout de suite il renvoie sur Jean : il est le plus grand parmi  les hommes, et puis dans le même temps, sur chacun d’entre nous :
-        Mais n’importe qui d’entre vous est plus grand que Jean.

A la question : mais qui est Jésus ?
Lui-même nous répond :
-        Mais qui es-tu, toi homme ?

Jésus répond en tournant son regard sur Jean, puis vers la foule.
Un regard qui relève, un regard qui libère.

Alors que, comme Jean, le monde nous est si souvent semblable à une prison ; alors que, comme Jean, le désarroi semble si souvent nous envahir ;
Alors que, comme Jean, il semble que nous ayons le plus souvent échoué,
le Maître nous répond en réorientant notre regard.
Par delà la tyrannie des apparences et des évidences :

Je cite quelques lignes de Philippe Zeissig (une minute par jour, p. 18).
"Un des plus antiques documents dont l'histoire ait connaissance – une tablette provenant de la  couche la plus ancienne des ruines de Babylone – débute par ces mots : « Hélas ! Hélas ! Les temps ne sont plus ce qu’ils ont été…. »
C’est bizarre mais c’est ainsi : génération après génération, à travers les siècles, l’homme se montre persuadé que le présent ne vaut pas cher et que l’avenir sera une catastrophe. Souvent même, il lui arrive de dire : « heureusement que je vais mourir avant d’avoir vu ce qui va arriver.»
Voici notre mot d’ordre : « sauve qui peut ! »
Notre monde est le monde de la fuite.
Dieu, Lui, dit : « Je viens ! »
« Là où vous ne voulez pas rester, j’installe mon Fils. Et je mise sur cet avenir auquel vous ne croyez pas »
Noël nous sauve de la fuite, il nous ramène au cœur de l’ouvrage, il nous réinstalle dans ce que nous ne pensions plus aimer.
Terre de décembre, comme tu seras neuve quand Dieu, à Bethléem, nous aura réappris à croire à demain…et même à après-demain.

Et même à "par-s-demain".

En nous apprenant un autre langage, que celui de hurler avec les loups ou de bêler comme des moutons de panurge : le langage de la quête, de l’interrogation, de la remise en question, de l’écoute authentique.
Et chemin faisant, le Maître nous donne aussi les seuls critères d’évaluations de sa parole :
Retrouver la vue.
Reprendre la marche.
Avoir des oreilles pour entendre.
Relever ceux qui étaient morts.
Annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Aux petits. Aux oubliés.

Voilà les verbes qui résument  l’Evangile :
Ouvrir, là où tout semble fermé,
Ecouter, malgré le brouhaha et les hurlements du monde, écouter pourtant la vie          qui vient ;
Se remettre en marche. Par delà tous les échecs et toutes les chutes,
S’éveiller à la vie.
Et Annoncer.

Sortir de nos lamentations et changer notre regard,
Changer notre écoute, retrouver le goût de la marche,
S’éveiller à la vie qui vient, qui survient, dans l’émerveillement d’un regard d’enfant devant la neige, dans une main tendue, dans une oreille qui devient attentive.

De cela, le plus petit d’entre nous est capable.
En cela, le plus petit d’entre nous est l’égal du baptiseur.
En cela, le plus petit d’entre nous est même plus grand que lui.

Mon frère, ma sœur, posons-nous la question : pourquoi nous préparons-nous à fêter Noël ?
Mais nous posons-nous encore des questions ?
De vraies questions, de ces questions qui font vivre, et non des questions qui ne sont que des lamentations ?

Et j'en termine avec ces lignes de Maurice Bellet :
(In L'épreuve, p. 62. et 63.)
"Dieu est avant tout question "
Dieu, c'est quand je vais le plus loin possible sans désespérer ; et quand je laisse être ce qui est au-delà du plus lointain, comme la source bénéfique qui ne cesse pas en l'origine…
Dieu, c'est quand la divine douceur vient en moi, sans que je la refuse et la méconnaisse ;
Dieu est n'importe où, n'importe quand, à propos de n'importe quoi, mais quand se fait en l'homme cette ouverture, parce qu'il cesse de tuer, dans son envie féroce de tout prendre.
Dieu, c'est le plus humain de l'homme. C'est pourquoi l'image de Dieu est l'homme enfin totalement démuni de ses défenses contre l'homme, non par faiblesse; mais parce qu'il est don même ;  et que même dans l'écrasement, il ne dévie pas d'une ligne de cette justice.
Et le plus humain de l'homme  n'est pas réduit à l'homme, c'est justement le contraire : c'est ce qui en l'homme témoigne,  témoigne qu'il n'est pas contraint de se faire prison à lui-même…

Tourne-toi vers la vie, camarade, puisqu'on t'en donne encore un bout !
Et fais ce que tu peux".

Du reste, Dieu s'occupe.
Amen.



                                   Pasteur Jean-François Breyne

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