Matthieu
11, 1-11, Troisième dimanche de l’Avent,
14
décembre 2013, MdA et Fraternité
Jean
est l’archétype du croyant, je l'ai déjà dit : car il est homme de
l’histoire, homme de justice, homme de racine, et pourtant, dans le même temps,
homme toujours tourné vers l’avenir,
pour voir le présent autrement.
Il
est homme de charnière, homme de frontière, tout tendu entre la première
alliance qu’il représente, et l’annonce de ce messie, de ce salut pour le monde
qu'il pressent et attend. Attente active, remarquons-le… attente attentive,
attente pleine de bruit et de fureur…
Pourtant, comme nous, Jean se trompe dans son attente,
dans son annonce : car il espère en un messie justicier, guerrier, avec la
pelle à vanner et les méchants qui brûlent au feu...
et
c’est l’Evangile qui vient.
Si
Jean est celui qui nous invite à changer de regard, il est lui-même, d’abord,
celui qui doit changer son regard.
Ainsi
est Jean, le dernier prophète, lorsque nous le rencontrons pour la première
fois dans l’évangile, au bord du Jourdain…
Ainsi
est Jean, lorsque nous le croisons, pour la seconde fois.
Mais
la situation a changé. Jean n’est plus celui que l’on vient, par foule entière,
entendre et voir baptiser au bord du
Jourdain.
Jean,
cette fois, est en prison.
Il
semble alors que Jean ait échoué.
Il
se retrouve victime de sa propre parole, emprisonné par elle, à cause de sa
rigueur, de son intransigeance.
Il
y aurait de quoi se lamenter, se résigner, ou alors se révolter.
Même
contre ce Jésus qui semble échapper à sa prédiction, à sa confiance, à sa
raison.
Mais
Jean ne se résigne pas.
Et
en cela Jean reste l’archétype de la foi.
Car
que fait-il, du fond même de sa prison ?
Il
interroge sa foi, il interroge ses disciples, il fait interroger ce Jésus que
décidément, lui, Jean, ne comprend pas.
Et
sa question se résume en une phrase :
-
Es-tu celui qui doit venir ? Es-tu celui que nous
attendions ?
Et
cette question résume toute vie de foi.
Voilà
le ressort même de la foi : es-tu celui que nous attendions ?
Jean
ne se résigne pas.
Même
du fond de sa prison, même du fond de son échec, il continue à réaliser
l’essentiel : s’interroger sur la
vie, s’interroger sur la foi, s’interroger et chercher à entendre.
C'est le Mah de l'hébreu, le quoi, qui
est la question majuscule, celle qui ouvre à la vie !
Peut-être
même lui faut-il faire l’expérience de la prison pour se la poser enfin ? !
Dans
le succès de sa prédication sur les bords du Jourdain, il ne pouvait pas
s’interroger.
Mais
là, au fond de l’échec, surgit la question possible. Et le désespoir devient
occasion de chance.
Et
c’est en ce sens, me semble-t-il, que Jésus dit de lui :
-
Il est le plus
grand parmi les hommes.
Car
oui, voilà un homme qui n’a pas renoncé à sa quête.
Il
ne s’est pas enfermé dans ses idées toutes faites. Lui, l’homme de la
tradition, lui, l’homme du passé, voilà qu’il se révèle homme du présent, homme
prêt à l’imprévu de Dieu.
Jean
est l’homme vivant par excellence, alors même qu’il semble confronté à son
échec, et qu’il croupit en prison.
C’est
du fond de sa prison, de son échec, que le prophète devient disciple.
Certain
trouveront que j’insiste peut-être trop
sur Jean, et que je ne parle pas assez de Jésus.
Car
quoi, monsieur le pasteur, la question de Jean porte bien sur qui est Jésus, et
non pas qui est Jean ?
Et
pourtant.
L’avez-vous
remarqué ?
Jésus,
cette fois encore, ne répond pas, ou plutôt il répond à coté.
Jésus
déplace la question, pour la retourner vers ses auditeurs.
De
lui-même, Jésus ne dit presque rien : Il cite seulement les résultats de
sa parole.
Mais
tout de suite il renvoie sur Jean : il est le plus grand parmi les hommes, et puis dans le même temps, sur
chacun d’entre nous :
-
Mais n’importe
qui d’entre vous est plus grand que Jean.
A
la question : mais qui est Jésus ?
Lui-même
nous répond :
-
Mais qui es-tu,
toi homme ?
Jésus
répond en tournant son regard sur Jean, puis vers la foule.
Un
regard qui relève, un regard qui libère.
Alors
que, comme Jean, le monde nous est si souvent semblable à une prison ;
alors que, comme Jean, le désarroi semble si souvent nous envahir ;
Alors
que, comme Jean, il semble que nous ayons le plus souvent échoué,
le
Maître nous répond en réorientant notre regard.
Par
delà la tyrannie des apparences et des évidences :
Je
cite quelques lignes de Philippe Zeissig (une minute par jour, p. 18).
"Un
des plus antiques documents dont l'histoire ait connaissance – une tablette
provenant de la couche la plus ancienne
des ruines de Babylone – débute par ces mots : « Hélas ! Hélas !
Les temps ne sont plus ce qu’ils ont été…. »
C’est
bizarre mais c’est ainsi : génération après génération, à travers les
siècles, l’homme se montre persuadé que le présent ne vaut pas cher et que
l’avenir sera une catastrophe. Souvent même, il lui arrive de dire :
« heureusement que je vais mourir avant d’avoir vu ce qui va arriver.»
Voici
notre mot d’ordre : « sauve qui peut ! »
Notre
monde est le monde de la fuite.
Dieu,
Lui, dit : « Je viens ! »
« Là
où vous ne voulez pas rester, j’installe mon Fils. Et je mise sur cet avenir
auquel vous ne croyez pas »
Noël
nous sauve de la fuite, il nous ramène au cœur de l’ouvrage, il nous réinstalle
dans ce que nous ne pensions plus aimer.
Terre
de décembre, comme tu seras neuve quand Dieu, à Bethléem, nous aura réappris à
croire à demain…et même à après-demain.
Et
même à "par-s-demain".
En
nous apprenant un autre langage, que celui de hurler avec les loups ou de bêler
comme des moutons de panurge : le langage de la quête, de l’interrogation,
de la remise en question, de l’écoute authentique.
Et
chemin faisant, le Maître nous donne aussi les seuls critères d’évaluations de
sa parole :
Retrouver la vue.
Reprendre la marche.
Avoir des oreilles pour entendre.
Relever ceux qui étaient morts.
Annoncer
la bonne nouvelle aux pauvres. Aux petits. Aux oubliés.
Voilà
les verbes qui résument
l’Evangile :
Ouvrir, là où tout semble fermé,
Ecouter, malgré le brouhaha et les hurlements du monde, écouter pourtant la vie qui vient ;
Se
remettre en marche. Par delà tous les échecs et toutes les chutes,
S’éveiller
à la vie.
Et Annoncer.
Sortir
de nos lamentations et changer notre regard,
Changer
notre écoute, retrouver le goût de la marche,
S’éveiller
à la vie qui vient, qui survient, dans l’émerveillement d’un regard d’enfant
devant la neige, dans une main tendue, dans une oreille qui devient attentive.
De
cela, le plus petit d’entre nous est capable.
En
cela, le plus petit d’entre nous est l’égal du baptiseur.
En
cela, le plus petit d’entre nous est même plus grand que lui.
Mon
frère, ma sœur, posons-nous la question : pourquoi nous préparons-nous à
fêter Noël ?
Mais
nous posons-nous encore des questions ?
De
vraies questions, de ces questions qui font vivre, et non des questions qui ne
sont que des lamentations ?
Et
j'en termine avec ces lignes de Maurice Bellet :
(In
L'épreuve, p. 62. et 63.)
"Dieu
est avant tout question "
Dieu,
c'est quand je vais le plus loin possible sans désespérer ; et quand je laisse
être ce qui est au-delà du plus lointain, comme la source bénéfique qui ne
cesse pas en l'origine…
Dieu,
c'est quand la divine douceur vient en moi, sans que je la refuse et la
méconnaisse ;
Dieu
est n'importe où, n'importe quand, à propos de n'importe quoi, mais quand se
fait en l'homme cette ouverture, parce qu'il cesse de tuer, dans son envie
féroce de tout prendre.
Dieu,
c'est le plus humain de l'homme. C'est pourquoi l'image de Dieu est l'homme
enfin totalement démuni de ses défenses contre l'homme, non par faiblesse; mais
parce qu'il est don même ; et que même
dans l'écrasement, il ne dévie pas d'une ligne de cette justice.
Et
le plus humain de l'homme n'est pas
réduit à l'homme, c'est justement le contraire : c'est ce qui en l'homme
témoigne, témoigne qu'il n'est pas
contraint de se faire prison à lui-même…
Tourne-toi
vers la vie, camarade, puisqu'on t'en donne encore un bout !
Et
fais ce que tu peux".
Du
reste, Dieu s'occupe.
Amen.
Pasteur
Jean-François Breyne
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