Culte de la Cité, le 25 novembre
2012 au Temple de l'Oratoire.
Texte
retenu : Jean 18, versets 33 et ss
-
"Es-tu roi ? "
Tragique quiproquo sur la
vocation de l'homme de Nazareth,
et cela depuis le jour même de sa
naissance,
et jusqu'à la veille de sa mort.
Souvenez-vous :
Hérode, apprenant la naissance de
Jésus, et craignant pour son trône, fait passer par le fil de l'épée tous les nouveau-nés
de Bethléem et des environs... (Matthieu 2, 16)
Déjà, cette terrible méprise qui
provoqua le sang et la violence injuste et cruelle ;
En passant par Caïphe et jusqu'à
Pilate, sous oublier la foule et les disciples eux-mêmes,
Pierre en tête (Matt. 16, 23),
cela sera toujours la même
méprise, tragique :
celle qui veut faire de l'homme
de Nazareth un chef, un roi.
A la mode de ce monde.
Pour régner sur ce monde,
comme un chef,
comme un roi de ce monde.
Et les chefs de ce monde n'aiment
pas ceux qui semblent avoir les mêmes prétentions qu'eux, et on les comprend,
car ils risquent de perdre leur place.
C'est cette très vieille histoire
de la guerre des égos et des chefs, dont l'actualité récente nous rejoue le Xème
épisode.
-
Qui sera roi ?
-
Qui sera chef ?
L'Evangile nous raconte que Jésus
surprit les disciples eux-mêmes en flagrant délit de cette étrange
maladie :
-
« Qui sera le chef à la mort du
maître ?
Qui
sera le plus grand dans le royaume des cieux ? »
(Marc
9, 34)
Pathétique attitude si elle
n'était si courante et pouvait se révéler si destructrice d'humanité...
Ce jour là, Jésus devant Pilate
coupe court :
-
« mon royaume n'est pas de ce monde ».
Ma
royauté n'est pas à cette mode là !
Si
ma royauté était à cette mode,
mes
gens auraient combattu pour moi...
Et le 4ème évangile nous raconte
en effet, quelques versets
auparavant, que Pierre avait tiré l'épée
pour défendre son maître au moment de son arrestation.
Mais l'homme de Nazareth avait
dit à Pierre :
-
« Remets ton épée au fourreau » (Jean
18, 11).
Scellant ainsi et à jamais toutes
revendications de puissances, de violences et de recours au bras séculier de la
part des Eglises...
qui malheureusement n'ont pas
toujours, loin s'en faut, été fidèles sur ce point...
Mon royaume n'est pas de ce
monde.
Serait-ce alors à dire que les
Eglises n'ont rien à dire au monde ?
Serait-ce alors à dire, comme
d'aucuns le croient,
que les Eglises devraient rester
dans leurs sacristies ?
Eh bien non.
Je ne le crois pas.
Et même, nous vous invitons, ce
matin, représentants du monde.
Parce que la Parole de l'Evangile
ne nous invite pas à sortir du corps social, mais elle nous invite,
dans et pour le corps social,
à témoigner d'une parole qui ne
vient pas de nous,
d'une parole autre qui nous
traverse et nous invite à un autre regard.
A une autre manière d'être.
Dans ce monde.
Mais d'une parole qui ne relève
pas des logiques de ce monde.
Peut-être pour nous inviter à
découvrir et à bâtir ensemble la possibilité d'un monde autrement ?
Mais attention, si et seulement
si, comme le disait mon vieux prof de math, si et seulement si nous prenons
garde à ne jamais retomber dans la logique du glaive.
Notre posture dans le monde devra
toujours être celle du refus du glaive.
C'est à dire le refus de toute
contrainte, de toute violence.
Mais allons plus loin.
Le « remets ton épée au
fourreau » de Jésus à Pierre, c'est pour moi l'abandon de prétention à
détenir une parole qui dirait le bien et le mal, d'une parole qui serait la vérité, et en plus celle de Dieu,
pour risquer une parole qui
accompagne nos questions, qui nous traverse, par-delà nos choix bons ou
mauvais,
une parole qui nous déplace et
nous décale,
une parole qui n'a pas la vérité, mais qui la cherche.
Ø Parenthèse :
pour nous, chrétiens, la vérité n'est pas un dogme, ni même une attitude, elle
est un homme, celui de Nazareth, et nous n'aurons de cesse de la chercher.
Et
toujours elle nous échappera !
Car
qui peut dire détenir Christ ???
Alors nous voilà des cherchants, avec les autres.
« Remets ton épée au
fourreau », c'est faire le deuil de toutes paroles prescriptives et normatives,
pour risquer une parole qui ouvre
à un autrement possible,
une parole désarmée,
une parole balbutiante et
pourtant parfois décapante, percutante,
qui nous prend à rebrousse-poil,
car elle nous convoque à un autre
regard et désigne un autrement possible,
autrement que la loi du plus
fort,
autrement que la loi de la jungle,
autrement que la loi du marché,
autrement que la loi du glaive,
autrement, enfin, que la loi du
jugement et de la condamnation.
pour découvrir une autre loi
possible,
celle non plus du plus fort mais
celle qui passe par le plus faible,
non plus celle de la jungle, mais
celle de l'entrée en humanité,
non plus celle du marché mais
celle de la grâce et du partage,
non plus celle du glaive mais
celle de notre fragilité enfin acceptée.
Non plus celle du jugement mais
celle de l’accueil.
Une loi qui n'en est plus une,
mais qui dit un autre chemin possible.
Refus du glaive.
C'est à dire le refus même d'un
quelconque retour à l'idéal de chrétienté.
Nous ne sommes plus en
chrétienté, et peut être est-ce tant mieux.
Je fais partie de ceux, avec frère
Enzo Bianchi[1],
qui pensent que c'est certainement notre plus grande chance.
Car nous pourrons alors
redécouvrir notre vocation d'être :
semence dans les cœurs,
grain de sel dans nos débats,
levain dans la pâte de notre
vivre ensemble.
Non, le royaume de Dieu n'est pas
de ce monde, car qu'il ne relève pas de
la logique de ce monde, qui est celle, légitime, du glaive, mais il est bien
pour le monde, lorsqu'il ouvre à un royaume
autrement,
pour découvrir qu'il attend de
naître, sous nos pas, dans le terreau de notre fragilité enfin acceptée.
Ensemble, artisans de ce royaume.
Avec les autres.
Avec pour seule vocation
désormais :
être témoins et désigner, à temps
et à contretemps,
que de l'humain, une autre
version est possible.
Que personne, jamais, ne se
réduit à ses échecs,
à ses errances, à ses
différences,
fussent-elles religieuses ou
d'orientations sexuelles.
Pour proclamer, contre toutes les
formes de malédictions, une parole de bénédiction.
Proclamer que l'homme, dans le
regard est Dieu,
est toujours plus grand qu'il ne
le croit.
Et nous inviter ainsi à poser sur
les autres comme sur nous mêmes,
un autre regard.
Non pas celui de la condamnation,
ça, les Pilate et Caïphe de tous les temps s'en chargeront bien,
mais un regard qui relève.
Non pas un regard qui exclut,
mais un regard qui accueille
l'autre, dans la dignité de sa différence.
Une petite histoire, pour finir,
que l'on m'a racontée avant-hier : une histoire vraie, bien sur.
Imaginez : une rue de Nîmes,
la nuit finit, le petit matin n'est pas encore tout à fait levé. C'était jour
de féria.
Celui qui m'a raconté l'histoire
rentre cher lui.
Devant, marche un homme, le pas pas très assuré. Débraillé.
Lourdement chargé. Il porte sur
son dos un camarade de beuverie incapable de tenir debout.
Il le dépasse, et charitable
comme il se doit, lui propose son aide en disant à l'homme :
-
tu portes
un sacré poids, dis-donc
Et l'homme de lui répondre :
-
C'est pas un poids, c'est mon ami !
Derrière la voix un peu avinée de
l'homme se murmura le cœur même de l'Evangile :
c'est pas un poids, c'est un ami.
L'autre ne devrait jamais être un
poids, car c'est ton frère.
Et cela change tout, et rend plus léger le plus lourd fardeau.
Invitation à changer notre
regard,
regard sur nous-mêmes,
sur les autres, sur le monde,
sur Dieu lui-même aussi peut-être.
Invitation à devenir artisan,
bâtisseur,
d'un royaume autrement,
ou l'autre n'est plus à condamner
mais à accueillir.
le Grand Rabbin de Londres, Benjamin Sacks, écrit :
"Avons-nous la
capacité de reconnaître dans le "tu" humain un fragment du
"tu" divin ? Avons-nous la capacité de reconnaître l'image de Dieu
dans celui qui ne nous ressemble pas ?[2]"
Voilà peut être là où nous
attend, aujourd'hui, le royaume de Dieu. Dans le cœur et l'intelligence de
celui qui s'ouvre et reconnaît l'autre dans la dignité de sa différence,
Dans la main qui se tend et qui
refuse la logique du glaive,
Dans la parole qui se risque à
balbutier un chemin…
Car mon royaume, dit Dieu, en
vérité, est naissance,
il se tient au cœur de la
rencontre avec la femme étrangère et rejetée,
Il se dévoile dans l’accueil des
tout petits, enfants, pauvres ou exclus.
Mon royaume se dit dans l’eau
devenue vin, et dans les yeux qui s’ouvrent.
il se murmure dans le silence des
petits matins, dans la solitude du désert où se risque la prière.
Mais il se dresse comme un fouet
de corde devant toutes les logiques de sacrifice, devant tous les pouvoirs
corrompus, devant les clergés fanatiques ; devant toutes les formes
d’avilissement.
Mon royaume, dit Dieu, se risque alors que les vagues du désespoir
viennent se briser sur ta barque.
Il s’écrit sur le sable par le
refus de jeter la pierre.
Mon royaume se révèle avec
le paralytique et le boiteux qui se relèvent, il se jette en travers de la route de tous tes
démons.
Mon royaume trébuche avec l’homme
qui porte le poids de sa souffrance, il se cache au cœur d’une nuit privée
d’étoiles.
Il se chante comme un cantique au
matin de Pâques.
Mon royaume, c’est l’homme qui
lutte et qui bénit,
Mon royaume, c’est la vie qui
triomphe, c’est la vie qui vient.
Mon royaume, c’est ta vie,
renouvelée, dit Dieu.
Puisse notre nouveau Conseil Presbytéral
que nous allons reconnaître dans quelques instants être un témoin fidèle de ce
royaume-là !
Amen.
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