Prédication donnée au monastère « La Paix Dieu »
le 07 février 2016
Luc 5,
versets 1 à 11
« Je te ferai pêcheur
d’hommes ».
Nous nous précipitons
spontanément sur la fin du texte et sur ces fortes paroles de Jésus à Simon-Pierre, comme si elles étaient le
couronnement, l’aboutissement du récit.
D’ailleurs, ne disons-nous pas
spontanément : la conclusion du texte ?
Comme si tout était là, résumé en
quelques lignes, à la fin de l’histoire !
Et c’est vrai qu’il en va ainsi
en français, en littérature française.
Oui, mais voilà, en faisant cela,
nous risquons de passer à côté de l’essentiel, car nous faisons alors un
immense anachronisme. En effet, les règles de l’écriture dans le grec des évangiles,
il y a près de 2000 ans, ne sont pas celles de nos compositions et dissertations françaises.
A l’époque,
on construisait plutôt le récit comme une pièce de théâtre où l’essentiel ne se
dit pas dans le tombé du rideau mais au milieu de la pièce, au centre de
l’histoire, ce que l’on nomme aujourd’hui : le cœur de récit.
Et quel est-il, ce cœur du récit
pour notre péricope de ce matin ?
Qu’est-ce qui va rendre possible
cette parole finale adressée à Pierre ?
Reprenons l’histoire.
D’abord, il y
a l’échec.
La pêche d’où
l’on revient bredouille.
Et nous connaissons bien
cela :
Lorsque l’effort semble vain, lorsque la
maison s’est vidée, lorsque l’on a fait tout ce qu’il nous semblait devoir être
fait et même peut-être davantage encore et que pourtant le résultat est...nul !
Vide, notre filet !
Et combien
cela résonne plus fort encore pour nous, hommes, femmes au service de l’Eglise
quand malgré tous nos efforts pour dire l’Evangile et tenter d’en vivre, le
filet revient …vide !
Vide, comme
nos communautés qui se vident ;
Comme nos
enfants qui se détournent de l’Evangile.
Monte alors en nous la tentation de
désespérer et d’abandonner.
Et là, très
exactement là, survient l’impossible, l’impensable, l’incroyable : dans la
réponse même de Pierre à ce Jésus qui lui commande de jeter à nouveau le filet :
-
« Sur ta parole, je jetterai encore le filet » (v. 5).
C’est là, me semble-t-il, le cœur du récit, le
ressort du texte.
C’est là tout
ce qui nous est demandé et promis en même temps ; oser dire :
-
« Sur ta parole, je jetterai encore le
filet ».
Cette parole qui permet d’aller
au-delà de la peine, de l’échec et de la résignation.
Cette parole qui, comme le dit le
théologien Paul Tillich, donne à Pierre et à chacun d’entre nous le « courage
d’être ».
Ce courage de recommencer une
fois encore, et cette fois-là devient la bonne parce qu’elle s’est appuyée sur
une autre parole que la mienne, que la tienne mais qu’elle s’est reposée sur
cette Parole de vie,
sur cette Parole vivante et
vivifiante
qu’est la parole de l’Evangile,
la Parole du Christ pour toi, pour moi, pour chacun d’entre nous
aujourd’hui.
Car cette Parole n’est pas donnée seulement à Pierre, mais à
toi, à toi et à moi, comme à chacun
d’entre nous.
Pierre, ici, est le prototype du
croyant, le premier de cordée, l’archétype de l’homme de foi.
Et l’acte même de foi repose là, dans la réponse de Pierre : « et
sur ta parole, je laisserai encore descendre le filet »
Remarquons chemin faisant que
lorsque Pierre dit cela, les filets ne sont pas encore revenus pleins.
Non, les filets sont encore
vides.
Pas de miracle encore. Et l’acte
de foi réside très exactement là, quand à vue humaine, tout semblant perdu,
prendre pourtant le risque d’y retourner par la seule force d’une Parole reçue.
Juste la Parole.
Seulement par la seule force de
cette Parole.
N’y voyez pas, mes Sœurs, je ne
sais quelle obsession de prédicateur protestant !
Non !
Non, car c’est une expérience que
tous nous avons déjà expérimentée, celle même qui fait que nous sommes là ce
matin et que nous sommes ce que nous sommes.
Parce que nous avons parié notre
vie elle-même sur une Parole reçue.
Et sur cette même Parole nous
voulons encore tout risquer.
Cette Parole qui nous prend, nous saisit et nous entraîne ailleurs, plus
loin, plus profond.
Car allons plus loin ; qu’est-ce qui a rendu
possible cette réponse de Simon-Pierre ?
L’appel de Christ.
L’enseignement du Christ qui a résonné
pour Pierre comme il résonne pour toi,
pour moi, pour nous.
Mais quel est-il cet appel
adressé à Pierre et par-delà à chacun d’entre nous ?
Notre traduction
de ce matin donne : « Avance au large ».
Avance en profondeur.
Avance dans la profondeur de ton
être.
Ne reste pas à la périphérie.
Nous, nous aimons bien la
périphérie.
Nous aimons bien les
périphériques, ils nous permettent de faire vite le tour des villes sans y
pénétrer.
Mais le Seigneur, lui, nous invite à aller au centre et à descendre
au plus profond.
Sans tricher.
Au plus
profond de nos peurs,
au plus
profond de nos échecs,
au plus
profond de nos lâchetés aussi,
mais toujours
au plus profond de nos souffrances et de
nos errances.
Car il ne s’agit pas de fuir ni de
tricher.
Mais au contraire de prendre le
risque d’aller en bas, au plus profond, dans « l’en bas » même de
notre existence comme le dit Maurice Bellet, car c’est bien là que se tient le
Christ ressuscité, c’est là et nulle part ailleurs qu’il se tient pour nous
transformer et tout illuminer.
-
« Avance en eau profonde » : Va,
prends le risque même de te perdre, de sombrer peut-être car c’est là qu’est la
vérité de ta vie, mais c’est là que se tient pourtant le Christ de l’Evangile.
Comment
ferons-nous cela ?
Comment prendrons-nous
ce risque-là ?
Nous connaissons désormais la réponse : « Sur ta parole, je jetterai le filet » !
Par la seule force d’une Parole
reçue d’un Autre.
Avec la seule force de cette Parole.
Vous l’aurez compris, mes Sœurs,
mon frère Guy, frères et sœurs, l’appel adressé à Pierre l’est à chacun d’entre
nous.
Faire de nous, de ces hommes, de ces femmes qui se risquent dans la
profondeur de leurs existences et de la vie, jusque dans ses ambiguïtés même,
et cela par la seule force d’une Parole
reçue.
Et qui découvrent émerveillés, et comme Pierre, un peu effrayés aussi,
qu’une vie pleine et riche les attend là, à portée de filet,
lorsque nous osons le lancer une fois encore, une fois de plus, alors
même que tout semblait raté.
Relancer le
file,
dans la
persévérance,
dans l’enracinement
de cette Parole reçue qui fait de nous des pêcheurs de vivants,
des pêcheurs de
vies,
des pécheurs de confiance et d’espérance,
et des témoins pour les autres de cette formidable pêche possible, par la seule force d’une Parole reçue.
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