Prédication donnée au GT,
le 23 aout 2015,
autour du psaume 91 et de Matth. 10, 5-24
Quel bien drôle de bestiaire, mes amis, nous propose l’Evangile
de Matthieu ce matin !
Des moutons et des loups, des serpents et des colombes !
Nous rappelant ainsi chemin faisant une bien triste vérité,
que souvent « l’homme est un loup pour l’homme » !
Le chrétien, lui, devrait être du côté des brebis, des
colombes et des … serpents ?!
Surprenant, non ?
Le chrétien, prudent[1]
comme un serpent.
Le mot grec ici employé (phronimos
– fronimoV) se traduit par habile, sage, voire rusé[2],
et ne se trouve que 4 fois[3]
chez Matthieu, et toujours connoté positivement :
-
Celui
qui bâtit sur le roc (7, 24)
-
notre
péricope de ce matin (10, 16)
-
Le
serviteur fidèle et habile (24, 45)
-
La
parabole des vierges sages (habiles), littéralement : les vierges
rusées !
Rusé comme des serpents, donc !
C’est-à-dire, à l’image de ces vierges dites sages, mais qui
sont folles en vérité, dans la folie de l’attente
de ce qui vient. Car n’est-ce pas les
rusées de la parabole qui, en vérité, sont folles ? Elles sont folles, car
contre toute attente, elles ont prévu double ration d’huile, au
cas où … restant ouvertes à l’imprévu, à ce qui vient, à ce qui
survient, malgré nous… et si c’était cela la foi ?
Mais revenons à notre texte :
Comme déjà dans les versets qui précèdent, l’Evangile nous
prend à contre-pied de toutes nos valeurs humaines, puisqu’il intègre l’échec
et le malheur à sa mission elle-même : « Si l’on ne vous accueille
pas, et si on ne vous écoute pas… ».
Nous, nous croyons souvent que la réussite est la mesure de
nos efforts.
Mais voilà, devant Dieu, il n’en est rien !
La souffrance et l’échec sont ici posés comme le lieu même de
notre humanité et le lieu où se vérifie notre foi !
C’est tout notre regard
sur l’échec qu’il nous faut apprendre à transformer ! Trop souvent, nous voyons l’échec, et
singulièrement l’échec de la mission, comme le signe d’un péché, d’un manque de
foi et de persévérance : « je n’ai pas fait ce qu’il fallait »!
Oui, mais, voilà qu’il arrive
que parfois, nous ayons tout fait, et même un peu plus, et que pourtant, cela
échoue !
Car il en va ainsi de notre humaine condition : des
échecs, il y en a, dans la vie des hommes, et il y en aura encore !
Nous venons de lire au psaume 91 « les anges te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne
heurte les pierres » (v. 12), oui mais voilà, il faut que nous osions le
dire : ce n’est pas vrai. Cela
n’est pas même possible ! Ni
même souhaitable en Christ ! Ou bien les serviteurs seraient-ils plus
grand que le Maître ? (cf. le
verset 24 de notre évangile de ce matin)
Non, ma Sœur, mon Frère, mon pied (et
le tien aussi !) souvent encore la pierre heurtera, et la foi, ce n’est
pas un coup de baguette magique qui viendrait supprimer les pierres du chemin,
la foi, c’est que la chute n’ait pas
puissance de m’empêcher de me relever !
La foi, c’est que, malgré la pierre que heurte mon pied, il me soit donné de pouvoir me relever,
de ressusciter, et de reprendre route, boiteux, tel Jacob au gué du Yabboq (Gn.
32, 32), mais vivant et plus riche alors, car
je crois que l’on apprend, en vérité, que de ses échecs !
Oui, l’échec fait partie de ma dimension d’humanité, et donc
aussi de tout chemin de foi !
De cette foi qui ne nous épargne rien, mais qui, en Christ
change tout, et transforme jusqu’à l’échec lui-même,
en une expérience et en une puissance de vie renouvelée.
Oh, il n’est pas nécessaire de provoquer, par je ne sais
quelle ascèse mal comprise, ces échecs et les souffrances qui en
découlent : la vie s’en charge très bien elle-même, et parfois
cruellement :
-
« frère
contre frère », nous dit notre texte,
-
« père
contre fils »,
-
« enfants
contre parents » !
Oui, des échecs il y en a, et il y en aura toujours dans la
vie des hommes.
Allons-nous nous laisser submerger ?
Tous seuls, à la seule force de nos petits bras musclés, il y
a fort à parier que nous n’y parviendrons-pas !
Alors que faire ?
Faut-il désespérer ?
Qu’y a-t-il à dire,
lorsqu’il n’y a plus rien à dire ?
Et là, très exactement là, surgit l’impensable :
-
« Ne
vous inquiétez pas de ce que vous direz : l’Esprit de votre Père parlera
en vous (v. 20).
Ne vous inquiétez pas de ce que vous direz ! Parfois, il
n’y a plus rien à dire en effet !
Mais une parole autre,
une autre parole, venue d’ailleurs, de très loin, de Dieu lui-même, s’en vient
redonner sens à nos existences.
Le malheur, l’échec et la souffrance n’ont pas le dernier mot, car une autre
parole nous est donnée : Parole de
vie, Parole vivante et vivifiante qui s’en vient nous retourner en chemin de
vie et nous redonner le goût de la Parole ; Parole qui vient redonner souffle à
nos vies à bout de souffle !
Et cela ne vient pas de nous, mais de Dieu !
La ruse du chrétien consiste à rester attentif à cette parole
qui vient, qui survient toujours lorsque nous ne l’attendions plus !
Reste une attente, un désir, et cela suffit.
Oui, notre foi ne nous épargne rien, mais le Christ survient
et lui s‘en vient nous labourer et nous retourner en chemin de vie.
Une image, que l’évangile nous donne : « Si l’on ne
vous accueille pas, et si on ne vous écoute pas… alors poursuit la route,
et secoue la poussière de tes sandales », c'est-à-dire :
-
Ne
laisse pas l’échec te coller au sol,
-
reprends
la route,
-
continue
le chemin.
C’est la seule réponse
à apporter.
Ne laisse pas le
malheur empêcher ta marche.
Bien sûr, tout seul, je ne peux rien faire.
Mais avec Lui, nous tiendrons des paris impossibles.
En restant persévérants dans cette écoute, cet accueil, cette
ouverture à ce qui vient, survient, même lorsque nous ne l’attendons plus.
Une parabole pour finir :
Un petit matin dans le silence de la prière…
D’abord, c’est le bruit du monde, de la ville, au loin : voitures, autoroute,
peut-être les poubelles qui passent.
Et puis le bruit s’estompe et je perçois des gémissements,
des cris. Je sais d’où ils viennent, de la maison de retraite, dont je suis le voisin ; C’est le bruit
de la souffrance de l’homme qui fait aussi écho ainsi à la mienne parfois.
Et je me dis :
-
Comment
commencer ainsi la journée ?
Et puis les gémissements s’estompent.
Et derrière le silence retrouvé surgit d’un coup le chant
d’un oiseau dans le petit matin.
Et il y va l’animal sur sa branche !
Et là, sur cette voix, je peux m’appuyer et me relever.
Et grâce au chant de l’oiseau commencer ma journée dans la
confiance et l’espérance.
Qu’il nous en soit ainsi.
Pasteur Jean-François Breyne
[1] Terme
retenu par de la Nouvelle traduction
liturgique.
[2] La LXX,
en Genèse 3, et parlant d’un autre serpent ( !) traduit le mot hébreu haroum - rusé, par notre phronimos !!!
[3] Et
d’ailleurs seulement 2 fois chez Luc, dans les parallèles du serviteur fidèle,
chapitre 12 et 16. Puis plus aucune autre occurrence dans les évangiles.
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