Château de Saint Privat, le dimanche 14 juin 2015
Journée d'Eglise de Nîmes. Lecture de Néhémie 8, versets 1 à 12.
587
avant Jésus Christ.
C’est
la chute de Jérusalem,
C’est
une catastrophe !
Le monde semble s’arrêter de tourner et
c’est comme si jamais le soleil ne se lèverait plus…
Exil,
déportation, le temple est détruit…
C’est
la fin d’une histoire.
Serait-ce
la fin d’un peuple ?
Non.
C’est le début d’une nouvelle histoire,
l’invention de quelque chose de nouveau, et qui
durera longtemps, jusqu’à aujourd’hui.
Année - 538 ; Cyrus, nouvel empereur perse, est le
nouveau roi du monde. Et, à l’étonnement général, lui le païen, va autoriser la
reconstruction du temple de Jérusalem, après avoir autorisé le retour des
exilés, après 50 ans de captivité, soit 2 générations.
Conduit par Zorobabel, le nouveau roi
d’Israël et les prophètes Josué et Aggé, le peuple va entreprendre la
reconstruction du temple, après avoir relevé les murailles de la ville.
Puis vint cet évènement que nous venons de
lire !
Lire, justement.
Car c’est la première lecture du livre de
la Loi,
première lecture publique,
première lecture solennelle,
première apparition d’un couple de
mots : Livre de la Loi.
Littéralement : sepher thora ; rouleau de la loi.
Car que s’est-il passé pendant cinquante
ans ?
Le peuple privé de ses rois, de ses
prêtres, du centre de la foi qu’était Jérusalem et son temple, le peuple s’est
demandé :
Comment tenir ?
Comment tenir bon ?
Comment rester fidèle aux
commandements ?
Qu’est qui fera centre, point axial ?
Réponse :
- Notre
histoire. Et la Parole même de notre Dieu qui a traversé notre histoire.
Alors, on recueille les textes sacrés.
On compile, on tisse
ensemble des traditions jusque-là éparses, déjà écrites ou encore orales.
Et là, au creuset de la déportation, au
creuset de l’exil, naît le Sepher Thora,
le livre de la Loi.
Et
rentrant à Jérusalem, que va-t-on en faire ?
N’était-ce
qu’une étape ?
Non !
Il deviendra, avec le temple reconstruit,
le cœur du cœur de la fidélité juive.
Deux noms émergent de cet épisode :
Esdras
et Néhémie.
Deux scribes, deux lettrés qui vont poser
désormais et à jamais au cœur du judaïsme le livre comme étant la référence ultime, le ressort secret de toute
la foi désormais.
Et on invente le premier culte…
Tout y est : La chaire, l’estrade, le
peuple assemblé, même l’heure : du matin au milieu du jour.
Premier enseignement, chemin
faisant : de la crise la plus ultime, la destruction du temple et la
déportation, va naître le joyau le plus précieux de nos vies : Le
Livre ;
Le
Livre de la Loi ; Le
premier testament.
Parabole pour notre foi
Et si nous changions de regard ?
Et si les temps de crise, de
bouleversements radicaux pouvaient aussi être les creusets pour reconstruire et
découvrir ce qui est au centre et ce qui fait sens véritablement ?
Non plus seulement des pierres, fussent
celles du temple de Jérusalem ou de nos temples à Nîmes, mais bien une Parole pour donner sens à tout cela !
Mais surgit une question redoutable :
- Peut-on
vivre selon les livres ?
- Le livre n’est-il pas toujours quelque
chose qui risque de se figer ? De
nous figer ?
Et
au lieu de nous remettre en route, de nous arrêter ?
Et
au lieu de nous relever, de nous écraser ?
Trois petits verbes viennent irriguer le récit :
Lire
-
Expliquer
-
Comprendre
Le tryptique des bons rapports au livre
peut-être…
Lire ! Il faut lire et relire ensemble.
Mais il faut aussi expliquer car attention
au piège de l’immédiateté !
Attention que le livre ne devienne notre
ultime idole : « C’est écrit, c’est comme cela » !
Pas
si simple en vérité…
C’est
écrit, mais qu’est-ce que cela veut dire ?
Ou
plutôt qu’est-ce que cela voulait dire ?
Et
qu’est-ce que cela veut me dire, veut
nous dire, à nous ce matin ?
Il me faut expliquer : expliquer se
dit parach en hébreux, verbe rare qui signifie
littéralement : Eclairer le texte ; Le clarifier ; Rendre
distinct. La racine est la même que pour le mot de : cavalier !
Ainsi, Lire comme on monte en selle,
chevaucher les mots pour se laisser emporter par eux, mais attention de ne pas
se faire désarçonner, et de vider des étriers…
Et le troisième mot, c’est comprendre.
Le mot revient de nombreuses fois dans notre récit…
Comprendre. Car il ne suffit pas de lire,
fût-ce même clairement. Encore faut-il comprendre.
Le mot hébreu est bin qui
signifie : Apercevoir,
distinguer, comprendre, être sage, expliquer, construire…
De sorte que tout est là, tout est là dans
ce « travail de l’interprétation », dirait-on aujourd’hui…
- Peut-on
vivre selon les livres ?
Non, si j’en fige la lettre !
Oui,
si je les travaille et me laisse travailler par eux…
On dit souvent que nous sommes la religion
du livre :
Et bien, Oui et non !
Non,
car en fait nous sommes une religion de la parole.
C’est
la parole qui fait vivre.
Oui,
car la parole surgit du vieux livre.
Elle
se tient là, cachée parfois, tapie au cœur des vieux mots usés ; mais elle
est là et peut faire ressort au plus profond de nous-mêmes.
Et
surgit alors la grâce de pouvoir appuyer nos
propres mots, notre propre parole - si souvent, trop souvent maladroite,
malheureuse, malhabile - nous pouvons appuyer nos paroles, dis-je, à une autre
Parole, qui vient redonner sens à nos
vies insensées, qui veut redonner souffle à nos vies à bout de souffle.
Luther dit que la Bible, ce livre est
comme le berceau de joncs qui portait Moïse sur les eaux… Le livre est l’écrin,
le fourreau d’une parole qui nous attend. Je dirais : La Bible est le lieu du rendez-vous avec la Parole.
C’est là qu’elle nous y attend, pour nous transformer et nous retourner en
chemin de vie.
Mais encore, faut-il pour cela prendre le
risque de lire, d’expliquer et d’interpréter, comme le musicien interprète sa
partition et nous donne d’entendre la
musique qui sinon serait restée lettre morte.
Esdras,
Néhémie, deux noms d’hommes.
Première
lecture du livre de la Thora.
Refondation
du judaïsme et de Jérusalem.
Mais
attention, ici surgit un piège : l’ultime !
Celui
du fondamentalisme,
De
la lecture littérale,
De
l’explication partisane,
De
la compréhension fermée et exclusive.
Car Esdras, c’est aussi une sorte
d’inquisiteur, de taliban avant l’heure !
C’est
l’inventeur de la purification ethnique…
Car
pendant cinquante ans, certains s’étaient mariés avec des païennes, des non
juives… Que dit alors Esdras :
- renvoyer
les femmes étrangères,
- renvoyer
vos bâtards ! (cf. Esdras 9 et 10 )
En
fait, Esdras n’est pas un personnage très sympathique.
Il
représente le piège même de sa lecture publique :
une
lecture fermée, excluante, condamnante.
Face
à Esdras, c’est une figure de femme qui va se dresser pour dire qu’une autre
lecture est possible, une autre compréhension possible :
Ruth. La moabite.
Et
face à Néhémie cela sera Noémi, une
autre femme.
Même si l’histoire de Ruth se passe 500
ans avant le retour de l’exil, les exégètes nous apprennent que le livre fut
rédigé au retour d’exil, en même temps que celui d’Esdras et de Néhémie.
Que nous dit le livre de Ruth ?
Que cette femme, cette fille de Moab,
ennemi héréditaire d’Israël, peut devenir la croyante par excellence, exemple
même de la fidélité dans la foi, et l’arrière-grand-mère de David.
Rien que cela !
Ainsi : Retour d’exil ; période
de crise et de reconstruction.
Deux théologies s’affrontent à
travers deux livres, et deux figures : Esdras et Ruth.
Une compréhension fermée et restrictive de
l’alliance,
ou une compréhension ouverte et englobante de l’alliance !
Conflits des interprétations, déjà.
L’évangile tranchera pour nous le débat,
donnant raison à Ruth et à la femme…
Et nous, de quelle lecture
vivons-nous ?
Sur quelle parole pouvons-nous appuyer nos paroles ?
« Que des millions d’hommes se soient
nourris de son nom, qu’ils aient peint son visage avec de l’or, fait retentit
sa parole sous les coupoles de marbre, cela ne prouve rien quant à la vérité de
cet homme. On ne peut accorder crédit à sa parole en raison de la puissance
historique qui en est sortie : Sa
parole n’est vraie que d’être désarmée. Sa puissance à lui, c’est d’être
sans puissance, nu, faible, pauvre-mis à nu par son amour, Affaibli par son
amour, Appauvri par son amour. Telle est la figure du grand roi d’humanité, du seul souverain qui
ait jamais appelé ses sujets un à un, à voix basse de nourrice. Le monde ne
pouvait l’entendre. Le monde n’entend que là où il y a un peu de bruit et de puissance.
L’amour est un roi sans puissance, Dieu est un homme qui marche bien au-delà de
la tombée du jour »…
Pasteur
Jean-François Breyne.
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