Prédication autour de Luc 4, 38 et ss.
prononcée au monastère de la Paix-Dieu, à Cabanoule, le 8 février 2015
Nous
aurions pu nous arrêter sur le petit matin, et la prière de Jésus dans la nuit
noire…
Mais
je préfère nous arrêter sur cet étonnant récit de la guérison de la belle-mère
de Simon, que je choisis de travailler dans la leçon de Luc.
Je
relis donc, chez Luc, les 2 versets 38 et 39 du chapitre 4 ....
Etonnant,
en vérité, que ce court récit de la guérison de la belle-mère de Pierre.
Le
mot belle-mère, en effet, n’apparaît que 6 fois dans tout le Nouveau
Testament : seulement ici et dans les parallèles de Matthieu, et en deux
autres occurrences, lorsque Jésus dira qu’un temps viendra, celui des persécutions
où "le père se dressera contre le fils, la mère contre la fille, la
belle-mère contre la belle-fille"….
Etonnant,
surtout, car Luc, que j’ai préféré à Marc, situe cet épisode avant même celui
de l’appel des disciples et de Pierre lui-même, alors que Marc, en toute
logique, situe notre épisode après l’appel des disciples…
Etonnant,
enfin, car après les premières paroles publiques de Jésus dans la synagogue de
Nazareth, la scène passe directement
cette fois à huis-clos, dans une maison, chez un particulier.
C’est
là que va Jésus : après la place publique et la synagogue, il entre dans la
maison, l’oïkos grec, lieu privé par
excellence, royaume des femmes, lieu peut-être aussi du for intérieur.
De
cet étonnement, je voudrais retenir 4 verbes :
-
solliciter : ils sollicitent Jésus pour elle
-
se pencher : Il se penche sur elle
-
se relever : elle se relève
-
servir : elle les sert.
Quatre
verbes qui sont comme le programme et le résumé de tout l’Evangile, et c’est
peut-être pour cela que Luc choisit de nous les présenter AVANT l’appel des
disciples.
1.
Solliciter, tout d’abord.
Littéralement,
ils l’interrogent, ils lui demandent, ils
le questionnent.
Pas pour
eux-mêmes, mais pour un autre qu’eux.
Pour
celle qui est malade, qui brûle de fièvre, littéralement qui « brûle de
feu ».
Nous
savons qu’en ce temps-là, les fortes fièvres pouvaient souvent être fatales.
Appliquons
l’image à nos Eglises ; n’est-ce pas cela d’abord notre vocation :
D’abord
intercéder, interroger, questionner, poser son regard sur celui qui souffre.
Ne
pas poser d’abord un "savoir" mais bien une interrogation, un
étonnement.
Le
texte biblique n’est-il pas là comme une question d’abord posée à notre
humanité ? Afin de nous remettre en question, pour que nous puissions
découvrir que notre vocation est de ne pas être là d’abord pour soi, mais
pour l’autre ?
"Ils"
l’interrogent.
Mais
qui sont ces "ils" ?
Les
apôtres ?
(Mais
chez Luc, je l’ai dit, ils ne sont pas encore appelés).
Des
parents anonymes de Simon-Pierre ?
Les
disciples à venir ?
Peut-être.
Mais
si c’était aussi toi, moi, nous ensemble ?
Et
si c’était cela, le premier mouvement de la foi, l’interrogation, qui peut nous
ouvrir à l’émerveillement ?
Le
père Maurice Zundel disait : "Dieu, c’est quand on s’émerveille
".
Ma
sœur, mon frère, la foi, comme un émerveillement, une interrogation, un
étonnement ?
Alors
je me dis qu’il nous faut peut-être d'abord cette qualité-là, première, pour devenir disciple : s’interroger, s’étonner et se soucier de
l’autre.
Qu’il
faut peut-être d’abord cela, pour devenir chrétien, et tout simplement humain :
Le souci de l’autre ;
L’étonnement de l’autre !
2.
Le
second verbe : se pencher.
Cette
fois c’est Jésus qui est sujet du verbe.
Il
se penche vers la femme.
Le
même verbe est employé dans la Septante, la traduction grecque du Premier
Testament (faite au 3nd siècle avant JC) lorsqu’Elie se penche sur le fils de la veuve
de Sarepta pour lui redonner vie.[1]
Notons-
le : Jésus agit d’abord par le geste, ensuite par la parole.
Le
geste décrit, dit l’exégète François Bovon, la position rapprochée d’où il peut
exhaler le souffle de vie, la ruhar hébraïque.
Il redonne ainsi
souffle à cette vie à bout de souffle.
Parabole, encore, pour nos Eglises : redonner
souffle à tous ceux qui sont à bout de souffle.
Non
pas le nôtre, fusse à la seule force notre prière… Non !
Mais
celui que nous avons reçu d’un autre, de Dieu lui-même.
Transmettre
le souffle.
Passer
le souffle. Si et seulement si nous savons nous pencher vers l’autre !
3.
Troisième
verbe : se relever.
« Et
puis la femme se relève ».
Le
mot peut passer, peut-être ici,
inaperçu, sauf si vous lisez le texte en
grec (le Nouveau Testament a été écrit en grec).
Car
le mot ici employé est celui-là même de la Résurrection dans nos Evangiles.
En
effet, 2 verbes sont traduits dans nos Bibles par "résurrection" :
-
Egeïrô : littéralement se réveiller, s’éveiller.
-
Et
An-istémi : faire se lever.
Et
c’est ce An-istémi que nous
lisons ici.
Qu'est-ce qui nous
ressuscite ?
Le souffle même de
Dieu, que l’Evangile vient nous communiquer.
Voilà
encore ce que nous pouvons offrir au monde :
Une
parole et une présence qui relèvent,
qui
ressuscitent en nous la foi, l’espérance et l’amour.
4.
Enfin, quatrième et dernier mot : servir
Diakoneô en grec, qui donne en français la diaconie et le
diacre.
Que
fait la femme relevée ?
Elle
se met au service.
Que
fait le chrétien lorsqu’il entend l’évangile ?
Puisse-t-il
lui aussi se mettre au service,
au
service de son Dieu et des autres,
de
tous les autres, quels qu’ils soient.
Et
pas seulement les nôtres, ceux de chez nous.
Non
: mais de tous les fiévreux, de tous ceux qui brûlent…
Alors surgit une question : quelles sont les fièvres
d’aujourd’hui ?
De
quelle fièvre souffrons- nous ?
Alors
je vous propose pour conclure 3 éléments de réponse.
-
la fièvre éternelle, celle de toujours : Incurvatus in se !
Incurvatus in se. C'est-à-dire :
Être
recroquevillé sur soi-même.
Voilà
la lèpre originelle, disait Martin Luther :
l’homme
"replié sur lui-même",
"en boucle";
l’homme qui ne
sait plus s’ouvrir à l’autre, à la rencontre, à la parole, à la vie.
L’homme qui se brûle
et se consume de devoir être à lui-même sa propre mesure !
Et
Dieu sait si notre monde post-moderne prend le risque majeur de devenir un
monde incurvatus in se, en boucle.
Où
le profit, la technique, où la revendication identitaire seraient à eux seuls
une fin en soi.
Non.
Il nous faut nous
ouvrir à l’Ailleurs, à l’altérité, à Dieu.
Retrouver
la grâce de l’Icône, ouvrir une fenêtre sur le ciel et nous laisser irriguer de
la grâce.
Alors
nous pourrons, peut-être, devenir à notre tour acteur et témoin qu’une autre
manière de vivre est possible,
dans
l’accueil de l’autre,
et
dans l’accueil du Tout-Autre.
-
Une
autre des fièvres contemporaines, c’est celle, me semble-t-il, de la
"perte du sens", qui découle directement d'ailleurs de l’homme incurvatus in se.
Ainsi,
l’homme n’est pas, seulement, à aider matériellement, à guérir
physiquement, mais peut-être d’abord et surtout, spirituellement.
Et
le service qui est le nôtre, c’est sûrement celui d’une "diaconie du
sens".
Où
nous pourrons témoigner que, oui, vivre à un sens ;
que
tout cela peut prendre sens,
par
la seule force d’une Parole reçue,
qui
nous relève,
et
nous met au service.
-
Mais
il est encore une troisième fièvre, celle de l’intégrisme, quel qu’il soit et
d’où qu’il provienne.
Lorsque
la foi n’entend plus les questions, les étonnements mais ne veut que des
réponses et des réponses toutes faites,
et les imposer aux autres, fusse par la force… (et c’est encore la résultante
d’un incurvatus in se…)
A
nous, mes Sœurs, mon Père, mes Frères, de devenir pour tous,
Diacres
et Diaconesses du sens, pour aider à
éteindre les fièvres et relever tous ceux qui sont à terre.
Ma
Sœur, mon Frère
Existe-t-il
plus belle vocation, en vérité ?
Mais
si nous venons à douter, et si nous venons à faillir, souvenons-nous :
Christ lui-même se penche vers nous, dans le secret de sa présence et vient
redonner souffle à nos vies à bout de souffle, dans le petit matin de notre
prière.
Amen
Pasteur
Jean-François Breyne
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