vendredi 13 février 2015

Prédication autour de Luc 4, 38 et ss.
prononcée au monastère de la Paix-Dieu, à Cabanoule, le 8 février 2015

Nous aurions pu nous arrêter sur le petit matin, et la prière de Jésus dans la nuit noire…
Mais je préfère nous arrêter sur cet étonnant récit de la guérison de la belle-mère de Simon, que je choisis de travailler dans la leçon de Luc.
Je relis donc, chez Luc, les 2 versets 38 et 39 du chapitre 4 .... 

Etonnant, en vérité, que ce court récit de la guérison de la belle-mère de Pierre.
Le mot belle-mère, en effet, n’apparaît que 6 fois dans tout le Nouveau Testament : seulement ici et dans les parallèles de Matthieu, et en deux autres occurrences, lorsque Jésus dira qu’un temps viendra, celui des persécutions où "le père se dressera contre le fils, la mère contre la fille, la belle-mère contre la belle-fille"….

Etonnant, surtout, car Luc, que j’ai préféré à Marc, situe cet épisode avant même celui de l’appel des disciples et de Pierre lui-même, alors que Marc, en toute logique, situe notre épisode après l’appel des disciples…

Etonnant, enfin, car après les premières paroles publiques de Jésus dans la synagogue de Nazareth, la scène  passe directement cette fois à huis-clos, dans une maison, chez un particulier.
C’est là que va Jésus : après la place publique et la synagogue, il entre dans la maison, l’oïkos grec, lieu privé par excellence, royaume des femmes, lieu peut-être aussi du for intérieur.
De cet étonnement, je voudrais retenir 4 verbes :
- solliciter : ils sollicitent Jésus pour elle    
- se pencher : Il se penche sur elle
- se relever : elle se relève
- servir : elle les sert.

Quatre verbes qui sont comme le programme et le résumé de tout l’Evangile, et c’est peut-être pour cela que Luc choisit de nous les présenter AVANT l’appel des disciples.

1.      Solliciter, tout d’abord.
Littéralement, ils l’interrogent, ils lui demandent, ils le questionnent.
Pas pour eux-mêmes,  mais pour un autre qu’eux.
Pour celle qui est malade, qui brûle de fièvre, littéralement qui « brûle de feu ».
Nous savons qu’en ce temps-là, les fortes fièvres pouvaient souvent être fatales.
Appliquons l’image à nos Eglises ; n’est-ce pas cela d’abord notre vocation :
D’abord intercéder, interroger, questionner, poser son regard sur celui qui souffre.
Ne pas poser d’abord un "savoir" mais bien une interrogation, un étonnement.
Le texte biblique n’est-il pas là comme une question d’abord posée à notre humanité ? Afin de nous remettre en question, pour que nous puissions découvrir que notre vocation est de ne pas être là d’abord pour soi, mais pour l’autre ?

"Ils" l’interrogent.
Mais qui sont ces "ils" ?
Les apôtres ?
(Mais chez Luc, je l’ai dit, ils ne sont pas encore appelés).
Des parents anonymes de Simon-Pierre ?
Les disciples à venir ?
Peut-être.
Mais si c’était aussi toi, moi, nous ensemble ?
Et si c’était cela, le premier mouvement de la foi, l’interrogation, qui peut nous ouvrir à l’émerveillement ?
Le père Maurice Zundel disait : "Dieu, c’est quand on s’émerveille ".
Ma sœur, mon frère, la foi, comme un émerveillement, une interrogation, un étonnement ?

Alors je me dis qu’il nous faut peut-être d'abord cette qualité-là, première,  pour devenir disciple : s’interroger, s’étonner et se soucier de l’autre.
Qu’il faut peut-être d’abord cela, pour devenir chrétien, et tout simplement humain :
Le souci de l’autre ;
L’étonnement de l’autre !

2.     Le second verbe : se pencher.
Cette fois c’est Jésus qui est sujet du verbe.
Il se penche vers la femme.
Le même verbe est employé dans la Septante, la traduction grecque du Premier Testament (faite au 3nd siècle avant JC)  lorsqu’Elie se penche sur le fils de la veuve de Sarepta pour lui redonner vie.[1]

Notons- le : Jésus agit d’abord par le geste, ensuite par la parole.
Le geste décrit, dit l’exégète François Bovon, la position rapprochée d’où il peut exhaler le souffle de vie,  la ruhar hébraïque.
Il redonne ainsi souffle à cette vie à bout de souffle.
Parabole,  encore, pour nos Eglises : redonner souffle à tous ceux qui sont à bout de souffle.
Non pas le nôtre, fusse à la seule force notre prière… Non !
Mais celui que nous avons reçu d’un autre, de Dieu lui-même.
Transmettre le souffle.
Passer le souffle. Si et seulement si nous savons nous pencher vers l’autre !

3.     Troisième verbe : se relever.
« Et puis la femme se relève ».
Le mot peut passer,  peut-être ici, inaperçu,  sauf si vous lisez le texte en grec (le Nouveau Testament a été écrit en grec).
Car le mot ici employé est celui-là même de la Résurrection dans nos Evangiles.
En effet, 2 verbes sont traduits dans nos Bibles par  "résurrection" :
-        Egeïrô : littéralement se réveiller, s’éveiller.
-        Et An-istémi : faire se lever.
Et c’est ce An-istémi  que nous lisons ici.

Qu'est-ce qui nous ressuscite ?
Le souffle même de Dieu, que l’Evangile vient nous communiquer.
Voilà encore ce que nous pouvons offrir au monde :
Une parole et une présence qui relèvent,
qui ressuscitent en nous la foi, l’espérance et l’amour. 

4.     Enfin,  quatrième et dernier mot : servir
Diakoneô en grec,  qui donne en français la diaconie et le diacre.

Que fait la femme relevée ?
Elle se met au service.
Que fait le chrétien lorsqu’il entend l’évangile ?
Puisse-t-il lui aussi se mettre au service,
au service de son Dieu et des autres,
de tous les autres, quels qu’ils soient.
Et pas seulement les nôtres, ceux de chez nous.
Non : mais de tous les fiévreux, de tous ceux qui brûlent…

Alors  surgit une question : quelles sont les fièvres d’aujourd’hui ?
De quelle fièvre souffrons- nous ?
Alors je vous propose pour conclure 3 éléments de réponse.

-         la fièvre éternelle, celle de toujours : Incurvatus in se !
Incurvatus in se. C'est-à-dire :
Être recroquevillé sur soi-même.
Voilà la lèpre originelle,  disait  Martin Luther :
l’homme "replié sur lui-même",  "en boucle";
l’homme qui ne sait plus s’ouvrir à l’autre, à la rencontre, à la parole, à la vie.
L’homme qui se brûle et se consume de devoir être à lui-même sa propre mesure !
Et Dieu sait si notre monde post-moderne prend le risque majeur de devenir un monde incurvatus in se,  en boucle.
Où le profit, la technique, où la revendication identitaire seraient à eux seuls une fin en soi.    
Non.
Il nous faut nous ouvrir à l’Ailleurs, à l’altérité, à Dieu.
Retrouver la grâce de l’Icône, ouvrir une fenêtre sur le ciel et nous laisser irriguer de la grâce.

Alors nous pourrons, peut-être, devenir à notre tour acteur et témoin qu’une autre manière  de vivre est possible,
dans l’accueil de l’autre,
et dans l’accueil du Tout-Autre.
-        Une autre des fièvres contemporaines, c’est celle, me semble-t-il, de la "perte du sens", qui découle directement d'ailleurs de l’homme incurvatus in se.
Ainsi, l’homme n’est pas, seulement, à aider matériellement, à guérir physiquement,  mais peut-être d’abord et surtout, spirituellement.
Et le service qui est le nôtre, c’est sûrement celui d’une "diaconie du sens".
Où nous pourrons témoigner que, oui, vivre à un sens ; 
que tout cela peut prendre sens,
par la seule force d’une Parole reçue,
qui nous relève,
et nous met au service.

-        Mais il est encore une troisième fièvre, celle de l’intégrisme, quel qu’il soit et d’où qu’il provienne.
Lorsque la foi n’entend plus les questions, les étonnements mais ne veut que des réponses et des réponses  toutes faites, et les imposer aux autres, fusse par la force… (et c’est encore la résultante d’un incurvatus in se…)
A nous, mes Sœurs, mon Père, mes Frères, de devenir pour tous,
Diacres et Diaconesses du sens,  pour aider à éteindre les fièvres et relever tous ceux qui sont à terre.

Ma Sœur, mon Frère
Existe-t-il plus belle vocation, en vérité ?
Mais si nous venons à douter, et si nous venons à faillir, souvenons-nous : Christ lui-même se penche vers nous, dans le secret de sa présence et vient redonner souffle à nos vies à bout de souffle, dans le petit matin de notre prière.

Amen


Pasteur Jean-François Breyne



[1] 1 Rois 17. 

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