samedi 28 février 2015

Marie, Anne et Elisabeth... 

Texte :  Luc 1, 26 à  56.

Avec beaucoup de retard, cette prédication donnée au GT, le 21 décembre 2014.

                             


Marie, une femme à qui arrive l’incroyable.
Une femme ?
Non.
Car derrières elle se tiennent aussi Elisabeth, Anne, et puis Sarah. Et même un homme, Zacharie..
Pour ne parler que d’elles.
La péricope proposée en ce 4ème dimanche de l'avent est de lire seulement l'annonciation faite à Marie… Mais il m’a paru impossible de nous en tenir là.
Car derrière Marie se bousculent toutes ces femmes, tous ces visages, toutes ces histoires de stérilité, de malheur. Et même celui d'un homme, Zacharie, privé lui aussi de descendance..
Mais revenons aux femmes..
Ces femmes qui s'affrontent au pire, à la stérilité de leur ventre, mais aussi et surtout de leur vie.
Car la stérilité n’est pas seulement celle des entrailles.
Elle est aussi celle de la vie, lorsque nous croyons que notre vie est vide de sens, et qu’elle ne sert plus a rien.
Alors nous devenons contemporains de ces femmes.
Sarah, Anne, Elisabeth.
Et puis il y a Marie.
Marie, Elle, elle  n’est pas stérile.
Elle n’est seulement pas mariée.
Mais pour chacune de ses femmes, l’improbable survient.
Chaque fois par la grâce d’une parole.
Alors qu’elles sont si différentes.

1. Et c'est là un premier point qu'il faut souligner : il n’y a pas de bonne attitude pour obtenir la suprême récompense.
Pas de recette.
Pas de bon élève de la foi ou de la vie, seulement des humains.
- Sarah n’y a pas cru et s’est moquée : elle a rit.
- Anne, elle, a marchandé avec Dieu : « donnant, donnant ».
- Seule Elisabeth était juste et pieuse, nous dit le texte.
-  Zacharie, lui était prêtre et juste devant Dieu.. et fidèle à son ministère.

- Et de  Marie, nous ne savons rien.   

Rien,  sinon qu’elle devait se marier.
Et que ce qui lui arrive vient mettre en péril ce mariage :
comment son fiancé pourrait-il encore l’épouser, elle, enceinte d’un autre ?
Pourtant sa seule réponse sera :
« Je suis la servante su seigneur, qu’il m’advienne ce que tu dis »[1].
Car dans sa vie une parole avait été semée ;
et rien désormais ne serait plus comme avant.
Jamais.
Car la voici désormais grosse d'une parole.

Une  parole reçue qui change tout, car une parole peut changer une vie !
-        Comme pour Sarah : par la seule parole de ses voyageurs étrangers que son mari avait invité à partager son repas.

-        Comme Anne : par la parole d’Elie, qui pourtant lui aussi s’était d’abord moqué d’elle.

-        Comme Elisabeth, par la parole adressée à son époux, parole étonnante qui le rendit muet.

Tiens, c'est drôle, ça, une parole qui nous prive, dans un premier temps, de notre propre parole.

Comme s'il fallait ce temps de silence pour faire un peu de place à cette parole autre, à une autre parole que la sienne.
C'est qu'il faut du temps pour accueillir la parole, la laisser murir en soi..
Du temps pour accueillir l'impossible, pour consentir à l'impossible…

Marie, enfin,  qui , répondant à la salutation de sa cousine, rompt le silence et laisse s’élever le chant de sa joie.
Chaîne de l’impossible, chaîne de l’impensable, chaîne de Dieu.
Marie, Elisabeth,
La  trop jeune et la trop vieille,
Toutes les deux désormais porteuse de paroles.

Première mère porteuse, mais mère porteuse de l'alliance, d'une parole de vie, d'une parole de confiance et d'espérance ; bref, d'une parole d'amour.
Vraie. Pleine. Qui retentie pour la première fois dans la secousse même du ventre, dans le tressaillement des entrailles.

Dans une rencontre entre le précurseur et le fils de l'homme.
Luc ne nous racontera pas  de rencontre physique entre Jésus et le baptiste, mais une rencontre intra utérine : surprenant, non ?

Marie,  à jamais porteuse de la Parole même, celle de Dieu.
Et c'est la rencontre entre ces deux porteuses de paroles qui les ouvre, à leurs tours, à une parole possible. 

" Marie consent, elle aménage en elle de l'espace, dans son âme et dans ses entrailles, pour abriter l'enfant qui n'existe pas encore, qu'elle n'attendait pas, qu'elle ne pouvait même pas encore désirer dans son état de jeune vierge, mais que d'emblée elle a aimé"[2]
Mais comment dire l'indicible, lorsque les mots sont dérisoires ?
Marie, alors s’enracine dans la parole de ses pairs.

Marie, dont le magnificat n’est qu’une gigantesque compilation de citations biblique, pas moins de 29 citations, dont 11 psaumes différents.
Marie, qui chante, comme Anne avait chanté sa joie,
Mais ici s’arrête la comparaison : car lorsque Marie chante, il ne s’est encore rien passé.
Lorsque Anne chante, elle peut logiquement le faire, Samuel est né ; elle laisse éclater sa joie.

Mais lorsque Marie chante, rien ne s’est encore passé.
Elle chante, par le seul fait de la Parole reçue.
Elle chante, par le seul fait de sa confiance en cette Parole reçue.
Elle chante, parce qu’elle ne peut pas faire autrement.
Elle chante, parce que  Dieu fait chanter sa vie.
Elle est prise au piège par la Parole de Dieu.
Rien ne sera plus désormais comme avant.
Et pourtant, rien ne s’est encore passé.
« Déjà là – Pas encore ».
Car elle va chez Elisabeth «en ces jours là »[3]  et cela signifie qu’elle n’a pas encore la preuve de sa grossesse.

Mais Marie chante son cantique.
A cause de la parole de l'ange ?
Pas seulement.
A cause de la parole de sa cousine, Elisabeth.
C'est par et dans la parole d'Elisabeth que Marie découvre toute l'ampleur de l'évènement qui se prépare et qui, au plus profond d'elle-même, c'est déjà produit !
 Ainsi, nous avons toujours  besoin de la parole d'un autre pour comprendre un peu..
Ainsi, nous avons toujours besoin de la parole de l'autre pour oser soi-même une parole.
Marie, comme nous, parle par la foi. Fiance. Confiance.
Par la foi .
Et ce faisant,  Marie devient le nouvel Abraham, qui par la foi, cru et parti.
Et  texte d'ailleurs le suggère : verset 39 : c'étant levé (tiens, anastasis, le verbe de la résurrection, elle alla..).
Car la foi nous met toujours en chemin.
Ainsi, j’aime Marie, comme j’aime la figure d’Abraham.
Marie ne représente  pour moi  ni la vierge, ni la mère, qui ne sont que des états transitoires de son histoire.
Elle est pour moi la femme, et ma sœur  en la foi,
celle qui sut accrocher sa vie à l’irruption de la Parole en elle.
Elle est notre sœur ainée dans la foi,
véritablement la première  chrétienne.
Elle est la figure même de ce que  tout croyant est appelé à devenir : une crèche pour que Dieu naisse en nous.
car j’ose dire que nous sommes tous, nous aussi, appelé à cette expérience :

-        enraciner notre vie dans la folle promesse d’une Parole reçue,

-        Découvrir dans ma vie, dans ta vie, la trace de la présence de cette Parole, qui s’en vient tout bousculer.

Et se découvrir ainsi arche de Dieu, temple d'une présence.

·       Mais de quoi parle-t-il ?
          Ça y est, il est encore parti en vrille.

Que nenni.
Enfin, pas plus que d'habitude.
Le lien entre Marie et l'arche d'alliance est fait par la phrase d'Elisabeth : et elle éleva la voix d'un grand cri et dit.
Cette tournure de phrase ne se retrouve nul part ailleurs dans le NT, mais ce retrouve 5 fois dans l'AT grec, la Septante, et toujours en lien avec l'arche, pour désigner l'exclamation du peuple devant la présence de Dieu dans l'arche d'alliance.
Ainsi, Marie se découvre temple de Dieu, comme chacun d'entre nous est appelé à le découvrir à son tour.
Je cite Paul de Tarse : 1 Corinthiens 3:16  "Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?"
Et Pierre : 1 Pierre 2:5  "et  vous-mêmes, comme des pierres vivantes édifiez - vous pour former une maison  spirituelle, un temple saint…  ".

L’expérience de cette Parole en nos vies va tout bousculer, et ne sera pas sans conséquence.
Car être arche d'alliance, le temple de Dieu, les pierres vivantes de sa maison n'est pas sans conséquences..


Et cela, seul le chant d'abord peut en rendre compte.
J'ai dit que Marie chante. Que Anne chante.
Elles chantent, et cela, Malgré le deuil.
Car chaque fois, dans ses histoires bibliques, il y a du deuil.
Ces femmes ne sont pas autres que nous et l’irruption de la Parole ne les placent pas sur l’orbite d’un petit nuage rose.

-        Avec Sarah, il faudra perdre Agar et Ismaël,
-        Avec Anne, il faudra perdre le fils donné : Samuel, qui sera consacré à Dieu,
-        Avec Elisabeth, il faudra que Zacchari, le père, celui qui nomme dans la tradition juive, perdre la parole, et Jean,  son fils,  sera exécuté par Hérode ;
-        Avec Marie, il faudra tout perdre, jusqu'à ce fils promis sur une croix.

Et pourtant elle chante, la fille de Nazareth, et rien ne fera plus taire son chant, comme rien ne fera plus taire les cantiques de nos églises.

- Alors n’éteins pas le chant de ton cœur.
Et n’attend pas d’être comblé pour chanter.
Au contraire, chante, comme l’alouette avec le printemps qui vient.

Comme le dit Lytta Basset :
« Ecoute le mystère : la parole vient éclairer l’histoire d’une autre intensité.
Marie préfigure l’église, vous, moi, qui chante la foi en dialogue avec Dieu.
Viens !
Marie, nous a donné le départ pour croire comme elle,
Pour accueillir la Parole et nous laisser travailler par elle.
Marie nous tire en avant,
elle chante comment  Dieu se conjugue à sa vie,
comment Dieu se mêle de son histoire.
Viens ! Chantons avec Marie ! »[4]

Cantique 171 !
Amen.





[1] Luc 1, 38.
[2] Sylvie Germain, in Songes du temps, Desclée de Brouwer, p. 17.
[3]  Verset 39
[4] In Traces vives, Genève, Labor et Fides, 1997, p. 143-144.

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