Marie, Anne et Elisabeth...
Texte : Luc 1, 26 à 56.
Avec beaucoup de retard, cette prédication donnée au GT, le 21 décembre 2014.
Marie,
une femme à qui arrive l’incroyable.
Une
femme ?
Non.
Car
derrières elle se tiennent aussi Elisabeth, Anne, et puis Sarah. Et même un
homme, Zacharie..
Pour
ne parler que d’elles.
La
péricope proposée en ce 4ème dimanche de l'avent est de lire
seulement l'annonciation faite à Marie… Mais il m’a paru impossible de nous en
tenir là.
Car
derrière Marie se bousculent toutes ces femmes, tous ces visages, toutes ces
histoires de stérilité, de malheur. Et même celui d'un homme, Zacharie, privé
lui aussi de descendance..
Mais
revenons aux femmes..
Ces
femmes qui s'affrontent au pire, à la stérilité de leur ventre, mais aussi et
surtout de leur vie.
Car
la stérilité n’est pas seulement celle des entrailles.
Elle
est aussi celle de la vie, lorsque nous croyons que notre vie est vide de sens,
et qu’elle ne sert plus a rien.
Alors
nous devenons contemporains de ces femmes.
Sarah,
Anne, Elisabeth.
Et
puis il y a Marie.
Marie,
Elle, elle n’est pas stérile.
Elle
n’est seulement pas mariée.
Mais
pour chacune de ses femmes, l’improbable survient.
Chaque
fois par la grâce d’une parole.
Alors
qu’elles sont si différentes.
1.
Et c'est là un premier point qu'il faut souligner : il n’y a pas de bonne
attitude pour obtenir la suprême récompense.
Pas
de recette.
Pas
de bon élève de la foi ou de la vie, seulement des humains.
-
Sarah n’y a pas cru et s’est moquée : elle a rit.
-
Anne, elle, a marchandé avec Dieu : « donnant, donnant ».
-
Seule Elisabeth était juste et pieuse, nous dit le texte.
- Zacharie, lui était prêtre et juste devant
Dieu.. et fidèle à son ministère.
-
Et de Marie, nous ne savons rien.
Rien, sinon qu’elle devait se marier.
Et
que ce qui lui arrive vient mettre en péril ce mariage :
comment
son fiancé pourrait-il encore l’épouser, elle, enceinte d’un autre ?
Pourtant
sa seule réponse sera :
« Je suis la servante su seigneur,
qu’il m’advienne ce que tu dis »[1].
Car
dans sa vie une parole avait été semée ;
et
rien désormais ne serait plus comme avant.
Jamais.
Car
la voici désormais grosse d'une parole.
Une parole reçue qui change tout, car une parole
peut changer une vie !
-
Comme pour
Sarah : par la seule parole de ses voyageurs étrangers que son mari avait
invité à partager son repas.
-
Comme Anne :
par la parole d’Elie, qui pourtant lui aussi s’était d’abord moqué d’elle.
-
Comme Elisabeth,
par la parole adressée à son époux, parole étonnante qui le rendit muet.
Tiens, c'est drôle, ça, une parole qui nous prive,
dans un premier temps, de notre propre parole.
Comme
s'il fallait ce temps de silence pour faire un peu de place à cette parole
autre, à une autre parole que la sienne.
C'est
qu'il faut du temps pour accueillir la parole, la laisser murir en soi..
Du
temps pour accueillir l'impossible, pour consentir à l'impossible…
Marie,
enfin, qui , répondant à la salutation
de sa cousine, rompt le silence et laisse s’élever le chant de sa joie.
Chaîne
de l’impossible, chaîne de l’impensable, chaîne de Dieu.
Marie,
Elisabeth,
La trop jeune et la trop vieille,
Toutes
les deux désormais porteuse de paroles.
Première
mère porteuse, mais mère porteuse de l'alliance, d'une parole de vie, d'une
parole de confiance et d'espérance ; bref, d'une parole d'amour.
Vraie.
Pleine. Qui retentie pour la première fois dans la secousse même du ventre,
dans le tressaillement des entrailles.
Dans
une rencontre entre le précurseur et le fils de l'homme.
Luc
ne nous racontera pas de rencontre
physique entre Jésus et le baptiste, mais une rencontre intra utérine :
surprenant, non ?
Marie, à jamais porteuse de la Parole même, celle de
Dieu.
Et
c'est la rencontre entre ces deux porteuses de paroles qui les ouvre, à leurs
tours, à une parole possible.
"
Marie consent, elle aménage en elle de l'espace, dans son âme et dans ses
entrailles, pour abriter l'enfant qui n'existe pas encore, qu'elle n'attendait
pas, qu'elle ne pouvait même pas encore désirer dans son état de jeune vierge,
mais que d'emblée elle a aimé"[2].
Mais
comment dire l'indicible, lorsque les mots sont dérisoires ?
Marie,
alors s’enracine dans la parole de ses pairs.
Marie,
dont le magnificat n’est qu’une gigantesque compilation de citations biblique,
pas moins de 29 citations, dont 11 psaumes différents.
Marie,
qui chante, comme Anne avait chanté sa joie,
Mais
ici s’arrête la comparaison : car lorsque Marie chante, il ne s’est encore
rien passé.
Lorsque
Anne chante, elle peut logiquement le faire, Samuel est né ; elle laisse
éclater sa joie.
Mais
lorsque Marie chante, rien ne s’est encore passé.
Elle
chante, par le seul fait de la Parole reçue.
Elle
chante, par le seul fait de sa confiance en cette Parole reçue.
Elle
chante, parce qu’elle ne peut pas faire autrement.
Elle
chante, parce que Dieu fait chanter sa
vie.
Elle
est prise au piège par la Parole de Dieu.
Rien ne sera plus désormais comme avant.
Et pourtant, rien ne s’est encore passé.
« Déjà
là – Pas encore ».
Car
elle va chez Elisabeth «en ces
jours là »[3] et cela signifie
qu’elle n’a pas encore la preuve de sa grossesse.
Mais
Marie chante son cantique.
A
cause de la parole de l'ange ?
Pas
seulement.
A
cause de la parole de sa cousine, Elisabeth.
C'est
par et dans la parole d'Elisabeth que Marie découvre toute l'ampleur de
l'évènement qui se prépare et qui, au plus profond d'elle-même, c'est déjà
produit !
Ainsi, nous avons toujours besoin de la parole d'un autre pour
comprendre un peu..
Ainsi,
nous avons toujours besoin de la parole de l'autre pour oser soi-même une
parole.
Marie,
comme nous, parle par la foi. Fiance. Confiance.
Par
la foi .
Et
ce faisant, Marie devient le nouvel
Abraham, qui par la foi, cru et parti.
Et texte d'ailleurs le suggère : verset 39 :
c'étant levé (tiens, anastasis, le
verbe de la résurrection, elle alla..).
Car
la foi nous met toujours en chemin.
Ainsi,
j’aime Marie, comme j’aime la figure d’Abraham.
Marie
ne représente pour moi ni la vierge, ni la mère, qui ne sont que des
états transitoires de son histoire.
Elle
est pour moi la femme, et ma
sœur en la foi,
celle
qui sut accrocher sa vie à l’irruption de la Parole en elle.
Elle
est notre sœur ainée dans la foi,
véritablement
la première chrétienne.
Elle
est la figure même de ce que tout
croyant est appelé à devenir : une crèche pour que Dieu naisse en nous.
car
j’ose dire que nous sommes tous, nous aussi, appelé à cette expérience :
-
enraciner notre
vie dans la folle promesse d’une Parole reçue,
-
Découvrir dans ma
vie, dans ta vie, la trace de la présence de cette Parole, qui s’en vient tout
bousculer.
Et
se découvrir ainsi arche de Dieu, temple d'une présence.
·
Mais de quoi
parle-t-il ?
Ça y est, il est encore parti en
vrille.
Que
nenni.
Enfin,
pas plus que d'habitude.
Le
lien entre Marie et l'arche d'alliance est fait par la phrase d'Elisabeth : et
elle éleva la voix d'un grand cri et dit.
Cette
tournure de phrase ne se retrouve nul part ailleurs dans le NT, mais ce
retrouve 5 fois dans l'AT grec, la Septante, et toujours en lien avec l'arche,
pour désigner l'exclamation du peuple devant la présence de Dieu dans l'arche
d'alliance.
Ainsi,
Marie se découvre temple de Dieu, comme chacun d'entre nous est appelé à le
découvrir à son tour.
Je cite Paul de Tarse : 1
Corinthiens 3:16 "Ne savez-vous pas
que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?"
Et Pierre : 1 Pierre
2:5 "et vous-mêmes, comme des pierres vivantes
édifiez - vous pour former une maison
spirituelle, un temple saint… ".
L’expérience
de cette Parole en nos vies va tout bousculer, et ne sera pas sans conséquence.
Car
être arche d'alliance, le temple de Dieu, les pierres vivantes de sa maison
n'est pas sans conséquences..
Et
cela, seul le chant d'abord peut en rendre compte.
J'ai
dit que Marie chante. Que Anne chante.
Elles
chantent, et cela, Malgré le deuil.
Car
chaque fois, dans ses histoires bibliques, il y a du deuil.
Ces
femmes ne sont pas autres que nous et l’irruption de la Parole ne les placent
pas sur l’orbite d’un petit nuage rose.
-
Avec Sarah, il
faudra perdre Agar et Ismaël,
-
Avec Anne, il
faudra perdre le fils donné : Samuel, qui sera consacré à Dieu,
-
Avec Elisabeth,
il faudra que Zacchari, le père, celui qui nomme dans la tradition juive,
perdre la parole, et Jean, son fils, sera exécuté par Hérode ;
-
Avec Marie, il
faudra tout perdre, jusqu'à ce fils promis sur une croix.
Et
pourtant elle chante, la fille de Nazareth, et rien ne fera plus taire son
chant, comme rien ne fera plus taire les cantiques de nos églises.
-
Alors n’éteins pas le chant de ton cœur.
Et
n’attend pas d’être comblé pour chanter.
Au
contraire, chante, comme l’alouette avec le printemps qui vient.
Comme
le dit Lytta Basset :
« Ecoute le mystère : la
parole vient éclairer l’histoire d’une autre intensité.
Marie préfigure l’église, vous, moi, qui
chante la foi en dialogue avec Dieu.
Viens !
Marie, nous a donné le départ pour
croire comme elle,
Pour accueillir la Parole et nous
laisser travailler par elle.
Marie nous tire en avant,
elle chante comment Dieu se conjugue à sa vie,
comment Dieu se mêle de son histoire.
Viens ! Chantons avec
Marie ! »[4]
Cantique
171 !
Amen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire