Prédication
pascale, les 26 et 27 mars 2016
Jean
20, 1 à 18
Et si tout était une question de regard ???
Oui, mais
attention, pas de n’importe quel regard.
Car ce sont
plusieurs regards différents qui se bousculent dans notre Évangile de la
Résurrection de ce jour.
Jean semble jouer
avec les mots, car dans le texte grec, il utilise pas moins de trois mots
différents dans notre passage que tous nous pouvons traduire par
« voir ».
Les regards se
croisent, se télescopent et rebondissent les uns sur les autres.
Voir : oui,
mais comment ?
Car le regard qui
nous semble si évident, si certain, si absolument réflecteur du réel, le plus
souvent, en vérité, nous trompe et nous ment !
La
vision est pour nous la marque absolue de la réalité, et on confond vision et
évidence, évidence et réalité.
Pourtant, ce n’est
pas l’œil qui voit, c’est la pensée.
C’est elle qui
interprète et traduit l’image pour lui
donner sens !
De l’essentiel, du
plus essentiel de ce qui nous constitue, on ne voit… jamais rien !
L’amour, l’amitié,
la confiance et l’espérance, nous n’en voyons que les traces laissées par leur
passage au plus secret de nos existences.
Voir : le
plus souvent, c’est même un piège, que
j’aime appeler celui de la tyrannie des apparences et des évidences.
Car c’est toujours
alors capturer l’autre, le réduire à son image, lui enlevant du même coup son
mystère et sa singularité fondamentale.
Deux exemples, et
je ne parle même pas de BFM TV et de
ces images en boucle qui ne nous montrent rien, en vérité.
1er
exemple. Ce jeu que j’aimais lorsque j’étais éclaireur ; jeu de nuit, jeu
de forts, et lorsque l’on pouvait voir et nommer un concurrent de l’équipe adverse, on
s’écriait :
-
« je
t’ai vu, tu es mort ! ».
« Je t’ai vu,
tu es mort » !
Quelle précieuse
sagesse contient cette petite phrase ! Lorsque l’autre est réduit à son
image, à son idole, oui, en effet, il est mort et moi avec.
2ème
exemple, très simple :
-
Fermez
les yeux, ici et maintenant. Vous ne
voyez plus rien. Pourtant le monde est toujours là !
Ce qui explique
ces mots de Jésus à Thomas quelques
versets plus loin :
-
« Bienheureux
ceux qui, sans avoir vu, ont cru ! [1]»
* * *
- - Oui, mais M. le pasteur, me direz-vous, ici, l’évangile de ce jour dit bien pourtant du
disciple bien aimé « qu’il vit et qu’il crut », et un verset plus
tôt, de Pierre qui rentre pour la première fois dans le tombeau, qu’il vit les
bandelettes et le linge ?
Mais au fait,
qu’ont-ils vu, en vérité ?
Rien, de l’événement
de la résurrection ; ils n’en voient que les traces, quelques linges
rangés…
En effet, et c’est
pourquoi il importe ce revenir aux différents « voir » de notre texte.
Il y a d’abord le voir de Marie de Magdala lorsqu’elle
arrive au tombeau : elle voit la pierre roulée. C’est le voir quotidien[2],
c’est voir avec ses yeux, c’est constater.
C’est le même regard que le Disciple bien aimé pose dans
le tombeau lorsqu’il arrive en premier : il constate.
Mais il ne sait pas encore quoi faire de cela, ce que
cela peut signifier : en effet, le corps a-t-il été volé ? Par
qui ? Pour quoi ?
Puis Pierre entre à son tour. Et là ce n’est plus le même
verbe que Jean emploie : il utilise ici un verbe[3]
qu’il réserve au regard du coeur, au regard qui voit, justement, au-delà de la
tyrannie des apparences et des évidences.
Un regard qui qui va au sens, qui sait lire les signes,
qui voit, pas seulement avec ses yeux, mais avec son cœur, avec ses tripes,
avec sa foi !
Puis le disciple Bien aimé entre à son tour. Et c’est à
présent un troisième verbe qui va être retenu par le rédacteur du 4ème
Evangile : oraô ; et oraô[4],
c’est observer, constater, et c’est aussi interpréter !
Le Disciple bien aimé voit, c’est-à-dire qu’il
interprète, qu’il comprend alors et c’est cette interprétation qui le conduit à
la foi. Il a vu, (en fait rien, seulement des traces) et il en tire une
conclusion : celle de la foi.
Survient encore Marie
de Magdala qui verra, elle, d’abord comme Pierre : avec les yeux du coeur,
elle verra les deux anges, et c’est ce regard-là qui lui donnera
d’entendre… !
Nous le voyons, si
j’ose dire, beaucoup de regards se croisent :
-
Le 1er,
celui qui reste au ras de ce qu’il voit, simple constatation.
-
Le
second, celui qui voit et qui interprète, celui de la foi, de notre foi de tous
les jours.
-
Et le
3ème enfin, le plus important peut-être : ce regard de
contemplation, qui va par delà la tyrannie des apparences et des
évidences ; ce regard-là n’a pas besoin de toucher, de preuves, c’est le
regard qui reconnaît, qui voit avec, non pas les yeux, mais avec le cœur et les
oreilles, car c’est un regard qui écoute : la suite du récit avec la
Magdala nous le montre bien…
Ainsi, la résurrection, c’est d’abord un
changement de regard,
c’est la grâce d’un autre regard possible sur le monde, sur toi, sur moi.
Un regard qui voit
avec le cœur, un regard qui interprète.
La résurrection,
c’est la libération de l’idole, du piège de l’immédiateté (d’où, aussi, tous
ces mouvements dans le texte, ces va et vient entre les différents
protagonistes).
Oui, changer notre
regard, pour découvrir celui de la foi.
Et l’urgence en
est grande dans ce « monde de fous ».
- « comment
survivre en effet dans ce monde de fous », me demandait-on hier
soir ?
En découvrant la
grâce de Pâques, c’est-à-dire celle d’un autre regard sur le monde : qui
vient nous libérer et nous faire sortir du piège du « réalisme
pessimiste », ou du « pessimisme réaliste » si vous préférez,
car ce pessimisme réaliste nous conduit tout droit dans 3 autres pièges :
- - Soit
celui du cynisme (et après moi le déluge),
- - Soir
celui du désespoir (à quoi bon),
- - Soit
enfin celui de la violence qui veut plier le réel à sa guise et en imposer sa
vision aux autres.
Non, il nous faut
sortir de ces idoles.
Il nous faut
sortir de ce tombeau.
La pierre en a
déjà été roulée et la parole de vie a retenti.
A nous d’en vivre.
Car la résurrection n’est pas à croire,
mais à vivre.
Il suffit pour
cela d’être juste à l’écoute, dans cette écoute attentive à ce qui vient, survient.
Comme le dit
Alexis Jenni : « la foi est un organe supplémentaire, non pas pour
découvrir le sens secret de toutes choses, mais pour en percevoir la vitalité.
L’acte de croire est une confiance, un état de disponibilité, une sensibilité
extrême de tous les sens, et du sens du sens […] La foi n’est pas une puissance
de consolation ; elle n’est pas pour aider à mieux vivre. Il ne s’agit pas
d’aider, mais de permettre, permettre de vivre pleinement [5]».
Il ne s’agit pas
d’aider, mais de permettre, permettre de vivre pleinement, libéré justement de
la tyrannie de toutes nos idoles, fussent-elles celles de Dieu lui-même.
La résurrection n’est pas à croire, mais à
vivre.
Mais pour pouvoir en vivre, il faut pouvoir la
nourrir sans cesse par cette parole qui vient nous labourer au plus profond de
nous-mêmes et nous retourner en chemin de vie.
Alors nous
pourrons voir de ce regard de foi, dans la confiance et l’espérance, fusse au
milieu de la folie des hommes et au bord du tombeau.
Car entendons-nous
bien, « l’optimisme chrétien n’est pas seulement une manière de voir la
situation présente, mais il est une force vitale, une force de l’esprit ; là
où d’autres se résignent, il a la force de garder la tête haute lorsque tout
semble s’écrouler, de supporter les revers, de ne pas abandonner l’avenir à
l’adversaire mais de le revendiquer pour soi[6] ».
Ne pas abandonner
l’avenir à l’adversaire, mais le revendiquer pour soi !
Voilà la grâce de
la Résurrection, de cet autre regard possible :
Mais au fait,
n’est-ce pas tout simplement le regard de Dieu ?
Ce regard que Dieu
pose sur nous et sur le monde ?
Oui, voilà la
grâce de Pâques : voir avec le regard de Dieu, ce regard qui roule les
pierres de nos désespoirs, roule à côté des bandelettes de nos chagrins et les
suaires de nos deuils, et nous retourne vers la vie !
Amen.
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