lundi 24 novembre 2014

Culte du 10 aout 1014
Au Grand Temple. Matthieu 14


Mes amis, comme le disait avec humour André Dumas[1], Dieu n'aime pas les surdoués de la foi.
L'Evangile n'aime pas les super croyants, car l'Evangile est pour les moyens croyants, les petits croyants, les mal croyants, bref, pour vous et moi !

Car l'Evangile est pour tous les Pierre de la vie, pour ceux qui osent et qui pourtant ont peur et doutent.
Etonnant personnage en vérité que celui de Pierre.
Tour à tour enflammé de zèle, doutant, reniant même, et pourtant toujours là, fidèle à sa façon… 
Pierre qui nous ressemble tellement, en vérité.
J'aime ce texte, étonnant et déroutant, et peut-être pas si facile que cela à interpréter…

Voyons  plutôt !
Ce récit des disciples, perdus au milieu des vagues et de leur peur, se situe juste après celui de la multiplication des pains.
Comme en un étonnant contraste, à l'image de nos vies.

Il y a quelques heures encore, quelques jours, quelques mois, c'est selon, c'est le temps du repas, de la paix, du partage, de l'abondance :
Le Maître est là.
Il fait reposer les disciples, nourrit la foule.
Et il y a du rab, du reste, plein de restes.
Temps de l'abondance, du bonheur et de la plénitude.

Et puis survient la nuit.
Le Maître n'est plus là.
Solitude.
Le vent se fait contraire et c'est la peur qui s'invite.

A l'image de nos vies où tout bascule en quelques secondes :
annonce d'un diagnostic, téléphone apprenant la mort d'un être aimé, licenciement brutal, divorce, trahison...
ou bien encore cette terrible litanie des désastres, en Israël, Palestine, en Ukraine, ou avec Ebola et puis ceux qui fuient, encore et toujours, la purification ethnique, j'y reviendrai.

Nous connaissons bien, et cela quel que soit notre âge, ces brusques changements de temps :
-        heures d'abondance et de plénitude
-        et subitement, les vagues du malheur qui montent à l'assaut de la barque de notre vie.

Alors, pour tous, petits et grands, croyants ou pas, c'est d'abord la peur qui semble s'imposer, l'un des Evangiles dira même : l'angoisse.
Et avec elle l'isolement, l'enfermement, la solitude.

A l'image des  disciples qui sont seuls, cette nuit là, sur le lac aux vents contraires,  faces aux vagues assassines et impétueuses.
Et notre réaction est souvent la même, nous nous replions sur notre peur, nos malheurs, nos deuils : recroquevillé sur ma souffrance !
C'est comme si les vagues bouchaient tout l'horizon, nous empêchant de voir que pourtant, le rivage existe.

Survient alors le Christ.
Sur lui, la peur et la mort n'ont plus de prises.
Il marche sur les eaux.
Figure symbolique par excellence : l'étendue liquide, la mer, le lac, c'est,  dans la symbolique biblique,  le lieu de la mort,  de la "non vie".
Jésus marchant sur l'eau, cela veut nous dire que la mort n'a pas de prise sur lui !

Et j'ai envie de dire :
-        Super !
Mais en fait, à quoi cela sert-il, si cela ne change rien pour moi ?
Si je ne peux pas sortir de mon recroquevillement ?
C'est alors  juste un fantôme, comme un fantasme dans la nuit…

Mais là, la voix du Christ perce la nuit:
-        Confiance
-        Moi, je suis là ;
-        Ne craignez pas !

Et ce 1er  mot est le cœur de ce récit :
Confiance.
Le mot littéralement est : tharseïte ;  courage voire même audace.
Mot rare qui n’apparaît que 7 fois dans tout le NT.
Avant même la foi : le courage !
Comme pour nous dire : ne te résigne pas, jamais !
Notre plus grand ennemi est la résignation.
Le plus grand péché est la résignation.
Notre plus grand ennemi est la résignation.
Pas la mort, pas le deuil, pas la souffrance, mais s'y résigner !

Et la voix de Pierre lui répond:
-        Puisque c'est ainsi, alors, moi aussi je viens.

Ne voyons surtout  pas dans ce geste de Pierre, une quelconque provocation, mise à l'épreuve ou bravade orgueilleuse.
Non, j'y vois pour ma part le geste même de la foi :
Pierre se jette à l'eau;
Il se mouille;
Il y croit;
Il y va.
Il veut vivre de cette parole là !
Loin de la peur, de l'angoisse et des vagues meurtrières…
Il veut vivre de cette parole là !
N'est-ce pas cela la foi ?

Et ça marche. Si j'ose dire !
Oui, il marche sur l'eau!
C'est à dire que l'espace de quelques secondes, de quelques minutes, la mort et la peur n'ont plus le dernier mot.

Et c'est encore cela la foi: refuser à la souffrance d'avoir le dernier mot.

Oui mais voilà,  le vent redouble et voyant le vent, dit le texte, Pierre s'enfonce.
Et oui, Pierre, ce n’est pas Jésus !
Pierre, c'est un homme,
comme toi,
comme moi.

Car ce n’est pas magique la foi : la force du vent contraire reste là,  puissante. Toute puissante ?
Alors finalement la peur aurait-elle toujours le dernier mot?
Cela ne servirait-il donc à rien ?

Non !
Car voilà que Jésus tend la main à Pierre et le sort de
l'eau !
Car c'est cela l'Evangile : La main de Dieu tendue au monde.

La main de Dieu tendue à chaque homme
La main de Dieu tendue à chaque femme.
-        à toi,
-        à moi,
pour nous inviter à sortir de la toute puissance de la peur ;
Pour nous arracher à la toute puissance de nos deuils et nous inviter à placer notre vie devant une autre puissance :
celle de l'amour,
celle de la Parole,
celle de l'Evangile,
plus fort que la mort elle-même.


Mais revenons un instant sur ce qui provoqua le doute de Pierre.
Il regarda le vent.
Il regarda le vent au lieu de regarder  au Maître, ou au rivage, ou aux autres....
Et si là était  le secret ?
-        Ne regarde pas au malheur,  ne te recroqueville pas sur ta souffrance,
-        regarde au delà, par delà la tyrannie des apparences et des évidences.

On n'apprend pas à marcher en regardant ses pieds ; voilà le secret !
Apprendre à regarder plus loin,  par delà !
Malgré les souffrances.
Ou n'aurions-nous plus personne à aimer?
Et cela malgré et peut-être grâce à nos doutes.

Car allons plus loin encore, et revenons à ces mots que le Maître dit  à Pierre en lui prenant la main.
Souvent nos traductions donnent : "homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? " (NBS).
Et là un piège terrible nous guette : celui de comprendre que le doute s'oppose à la foi.
Et d'entendre ces paroles de Jésus comme un reproche…

Le texte grec donne littéralement :
-        petit croyant, pourquoi  tu doutas ?

Arrêtons nous encore un instant sur ces deux mots : petit croyant et douter.
Encore deux mots rares, jugez en plutôt :
Petits croyants, en grec oligopiste (oi), n’apparaît que chez Matthieu, 5 fois, et toujours comme une constatation gentille et comme avec tendresse dans la bouche de Jésus, et puis une fois chez Luc, dans un des parallèles de Matthieu (6, 30).
La remarque s'adresse soit au pluriel, à l'ensemble des disciples (8, 26) ou comme ici, au singulier, à Pierre seulement.

Et le mot doute ( distazö) n’apparaît que deux fois seulement dans tout le NT, ici et toujours chez Matthieu, dans le dernier chapitre.
Au moment de l'envoi en mission des disciples.
Juste avant l'ascension.  (28, 16 et suivants).
Soit les derniers versets du dernier chapitre.
Souvenez-vous : Les disciples voient Jésus. Ils se prosternent et le texte de préciser : "et ceux-ci doutèrent".  Et s'approchant d'eux, Jésus leur dit : toute puissance m'a été donnée… "
Mes amis, c'est sur le doute des disciples que ceux-ci ont pourtant été envoyés.
L'ordre de la phrase est essentiel : c'est sur ce doute que peut se faire l'envoi en mission.

C'est tellement énorme que toutes les traductions ajoutent ce petit mot : "certains", "certains doutèrent", comme pour disculper la majorité des disciples, en en accusant d'autres… mais le grec est catégorique : ils doutèrent (tous ) !
Et c'est important, c'est essentiel, car cela vient définitivement casser cette terrible évidence que le doute serait l'opposé de la foi.
Non, non et non.

L'opposé de la foi, c'est la certitude. C'est l'idole.
La foi se nourrit du doute, car le doute, c'est aussi notre humanité qui s'interroge.
C'est ce qui peut m'empêcher de tomber dans le piège du fondamentaliste.
Mais attention, ici une distinction s'impose : Attention, car  il y a doute et… doute !

Il y a un doute mauvais, c'est celui qui ronge Pierre dans l'eau, celui qui vient miner la confiance. Mais c'est dans notre nature humaine. A cela Jésus répond, nous l'avons vu, en nous tendant la main et en nous relevant de nos peurs.
Et puis il y a un bon doute, le doute méthodologique, ce doute qui me conduit à toujours m'interroger, à ne jamais m'enfermer dans mes certitudes qui peuvent très vite devenir mes idoles.

Mes amis, les douteurs n'ont jamais allumé de buchers…
La certitude aveugle, elle, allume des bûchers, provoque l'exode de populations, au simple fait que ceux là ne croient pas comme il faudrait…
Comme je le disais en commençant : je ne crois pas que Dieu aime les super croyants, car ceux là peuvent vite se transformer en intégristes tuant et suant la haine de l'autre.
C'est la face ignoble, cachée, le revers de la médaille de la foi : le fondamentalisme sectaire, caricature haineuse du chemin de la foi.

Ainsi, deux pièges nous guettent, en une terrible alternative :
-        ou nous  "croyons trop", sans jamais nous interroger et nous remettre en question, et nous nous aveuglons, et nous risquons de devenir à notre tour des mercenaires de la haine ;
-        ou nous ne croyons plus en rien, et nous nous réfugions dans le cynisme et la "désabusion"[2], et nous perdons la confiance, l'espérance et la force même d'aimer !

Mais l'Evangile nous propose une autre voix (voie !) :
-        n'ayons pas peur de nos doutes, n'ayons pas peur de nous interroger.
N'ayons pas peur d'être des petits croyants : mais de ces croyants "quand même", des croyants  pourtant qui osent se jeter à l'eau de la vie, dans la confiance et l'espérance, avec la seule force d'aimer.
Et cela sans nous résigner,  jamais ; certains que Dieu, par- delà nos peurs, nous tend la main de son amour.

A nous de ne pas regarder toujours du coté du vent violent mais aussi vers la lumière!
Oh, bien sûr, nous doutons, et c'est normal car nous sommes des petits croyants,  des .....oligopistoi !
Mais Dieu aime les oligopistoi.... qu'Il relève sans  se lasser jamais de leurs peurs. Amen




                                   Pasteur Jean-François Breyne



[1] In Cent prières possibles, p. 66.
[2] Expression que j'emprunte à Nino Ferrer 

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